De Nabulsi à Shtayyeh : dans quel camp se place l’Autorité de Ramallah ?

Agents des services répressifs de l'Autorité de Ramallah, véritables supplétifs de l'occupant israélien - Photo via DEBKAfiles

Par Ramzy Baroud

L’arrestation d’un militant palestinien de premier plan, Musab Shtayyeh, et d’un autre militant palestinien, par la police de l’Autorité palestinienne le 20 septembre n’est pas l’unique fois où le tristement célèbre Service de sécurité préventive (SSP) de l’AP arrête un Palestinien recherché par l’occupant israélien.

Le SSP est largement impliqué dans les arrestations et les tortures systématiques de ceux qui se battent contre l’occupation israélienne. Plusieurs Palestiniens sont décédés par le passé aux mains du SSP, le dernier en date étant Nizar Banat, torturé à mort le 24 juin 2021.

Le meurtre de Banat avait déclenché une révolte populaire contre l’AP dans toute la Palestine.

Depuis des années, divers groupes palestiniens et internationaux de défense des droits de l’homme critiquent les pratiques violentes de l’AP à l’encontre des voix palestiniennes dissidentes, très souvent dans les mêmes rapports sur les droits de l’homme qui critiquent l’occupation militaire israélienne de la Palestine.

Le gouvernement du Hamas à Gaza a lui aussi sa part de responsabilité.

Dans son rapport général annuel de janvier 2022, Human Rights Watch a déclaré que « l’Autorité palestinienne (AP) gère les affaires dans certaines parties de la Cisjordanie, où elle procède systématiquement à des arrestations arbitraires et torture les dissidents. » Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’un groupe de défense des droits de l’homme portait une telle accusation.

Le lien entre les violences israéliennes et palestiniennes visant les dissidents et les militants politiques est tout aussi clair pour la plupart des Palestiniens.

Certains Palestiniens ont pu croire, à un moment donné, que le rôle de l’AP était de servir de transition entre leur projet de libération nationale et une indépendance et une souveraineté totales sur le terrain. Près de trente ans après la formation de l’AP, une telle notion s’est avérée être un vœu pieux.

Non seulement l’AP n’a pas réussi à créer l’État palestinien tant souhaité, mais elle s’est transformée en un appareil massivement corrompu dont l’existence sert essentiellement une petite classe de politiciens et d’hommes d’affaires palestiniens – et, dans le cas de la Palestine, il s’agit toujours du même groupe.

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La corruption de l’AP et la violence qui s’ensuit mises à part, ce qui continue d’irriter gravement la plupart des Palestiniens, c’est que l’AP, avec le temps, est devenue une autre réalisation de l’occupation israélienne, limitant la liberté d’expression des Palestiniens et procédant à des arrestations au nom de l’armée israélienne.

Malheureusement, bon nombre des personnes arrêtées par l’armée israélienne en Cisjordanie ont également été arrêtées par des hommes de main de l’AP.

Les scènes de violentes émeutes dans la ville de Naplouse après l’arrestation de Shtayyeh n’étaient pas sans rappeler les émeutes contre les forces d’occupation israéliennes dans cette ville du nord de la Cisjordanie ou ailleurs en Palestine occupée.

Contrairement aux confrontations précédentes entre les Palestiniens et la police de l’AP – par exemple, après le meurtre de Banat – cette fois, la violence était généralisée et impliquait des manifestants de tous les groupes politiques palestiniens, y compris la faction du Fatah au pouvoir.

N’ayant peut-être pas conscience de l’énorme changement psychologique collectif qui s’est produit en Palestine ces dernières années, le gouvernement de l’AP cherchait désespérément à contenir la violence.

Par la suite, un comité représentant les organisations palestiniennes unies de Naplouse a déclaré le 21 septembre qu’il avait conclu une « trêve » avec les forces de sécurité de l’AP dans la ville. Le comité, qui comprend des personnalités palestiniennes de premier plan, a déclaré à l’Associated Press et à d’autres médias que l’accord limite toute arrestation future de Palestiniens à Naplouse à la condition que la personne soit impliquée dans une infraction à la loi palestinienne, et non israélienne.

Cette disposition à elle seule implique une reconnaissance tacite par l’AP que l’arrestation de Shtayyeh et Ameed Tbaileh était motivée par une décision israélienne et non palestinienne.

Mais pourquoi l’AP céderait-elle rapidement à la pression de la rue palestinienne ? La réponse réside dans l’évolution de le climat politique en Palestine.

Tout d’abord, il faut dire que le ressentiment à l’égard de l’AP couve depuis des années. Les sondages d’opinion se succèdent et indiquent le peu d’estime que la plupart des Palestiniens ont pour leurs dirigeants, pour le président de l’AP Mahmoud Abbas et surtout pour la sinistre « coordination de la sécurité » avec Israël.

Deuxièmement, la torture et la mort du dissident politique Banat, l’année dernière, ont effacé toute patience des Palestiniens envers leurs dirigeants, leur démontrant que l’AP n’est pas un allié mais une menace

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Troisièmement, l’Intifada unitaire de mai 2021 a enhardi de nombreux segments de la société palestinienne dans toute la Palestine occupée.

Pour la première fois depuis des années, les Palestiniens se sont sentis unis autour d’un seul slogan et ne sont plus otages de la géographie de la politique et des factions. Une nouvelle génération de jeunes Palestiniens a fait avancer la discussion au-delà d’Abbas, de l’AP et de leur rhétorique politique sans fin et inefficace.

Quatrièmement, la lutte armée en Cisjordanie s’est développée si rapidement que le chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, a affirmé le 6 septembre que, depuis mars, environ 1500 Palestiniens ont été arrêtés en Cisjordanie et que, prétendument, des centaines d’attaques contre l’armée israélienne ont été déjouées.

En fait, les preuves d’une Intifada armée se multiplient dans les régions de Jénine et de Naplouse.

Ce qui est particulièrement intéressant, et alarmant, du point de vue d’Israël et de l’AP, concernant la nature du phénomène naissant de la lutte armée, c’est qu’il est largement dirigé par l’aile militaire du parti au pouvoir, le Fatah, en coopération directe avec le Hamas et d’autres ailes militaires islamiques et nationales.

Par exemple, le 9 août, l’armée israélienne a assassiné Ibrahim al-Nabulsi, un éminent commandant militaire du Fatah, ainsi que deux autres personnes. Non seulement l’AP n’a pas fait grand-chose pour empêcher la machine militaire israélienne de perpétrer d’autres assassinats de ce type, mais six semaines plus tard, elle a arrêté Shtayyeh, un proche camarade de Nabulsi.

Il est intéressant de noter que Shtayyeh n’est pas membre du Fatah, mais un commandant de l’aile militaire du Hamas, les brigades Al-Qassam.

Bien que le Fatah et le Hamas soient censés être d’ardents rivaux politiques, leur bras de fer politique semble n’avoir aucune importance pour les groupes militaires de Cisjordanie.

Malheureusement, davantage de violence est susceptible de suivre, pour plusieurs raisons : la détermination d’Israël à écraser toute Intifada armée en Cisjordanie avant qu’elle ne se généralise à l’ensemble des territoires occupés, la transition imminente du leadership au sein de l’AP en raison de l’âge très avancé d’Abbas, et l’unité croissante des Palestiniens autour de la question de la résistance.

Alors que la réponse d’Israël à tout cela peut facilement se déduire de son héritage de violence, la future ligne de conduite de l’AP déterminera probablement sa relation avec Israël et ses partisans occidentaux, d’une part, et avec le peuple palestinien, d’autre part.

Quel camp l’AP choisira-t-elle ?

29 septembre 2022 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah