Palestine occupée : les évènements passés façonnent notre présent

Photo : Anne Paq/Activestills
Un parent du jeune Ezzaddin Tamimi pleure sur sa dépouille lors de ses funérailles dans le village de Nabi Saleh, en Cisjordanie, le 6 juin 2018. Ezzaddin Tamimi, 21 ans, a reçu dans la poitrine et le cou deux balles pour tuer, lors d'affrontements avec les soldats israéliens qui ont fait un raid sur le village pour procéder à des kidnappings. Il est le troisième habitant de Nabi Saleh à avoir été assassiné par l'armée israélienne depuis que ses habitants ont commencé à manifester il y a dix ans - Photo : Anne Paq/Activestills

Par Mariam Barghouti

Les mois d’août et de septembre ont été éprouvants. Pas seulement à cause des attaques sur Gaza ou de l’intensification de la violence des colons, mais aussi en raison de la prise de conscience que les témoignages des Palestiniens aujourd’hui font écho à des témoignages similaires que j’ai entendus dans le passé.

Au cours des 60 derniers jours, la Palestine a assisté à un kaléidoscope d’images qui ressemblent fortement à celles d’il y a presque deux décennies. C’est notamment vrai lorsque je réfléchis au phénomène croissant des « matloobeen » autrement dit les Palestiniens qui figurent sur la liste des personnes recherchées par Israël.

Il me rappelle l’époque de la Deuxième Intifada entre le 28 septembre 2000 et le 8 février, 2005 lorsque Israël utilisait toutes les occasions possibles de diffuser les noms et photos de Palestiniens avec la promesse d’une récompense en échange d’indications et informations sur la géolocalisation de « terroristes recherchés »

A l’époque, comme aujourd’hui, Israël craignait aussi la jeunesse palestinienne armée et incitait la mise en accusation des dirigeants et des défenseurs palestiniens en plus de faire un usage excessif de pratiques dégradantes et humiliantes à l’égard des corps et espaces palestiniens.

Les fouilles à nu étaient monnaie courante, la vue d’enfants tenus en joug était devenue une expérience partagée par plusieurs générations, et le couvre-feu était la norme où seules les boulangeries étaient ouvertes.

Je me souviens du sentiment d’insécurité des rues que j’avais toujours, à juste titre. Entendre les hurlements des soldats dans des jeeps militaires mettant en garde « quiconque vu en train de déambuler dans les rues sera tué » était courant. Je me souviens des mots utilisés, ce n‘était pas « sera la cible d’un tir » mais « sera tué ». Ça resemblait moins à une menace qu’à une promesse inéluctable.

Pendant la Deuxième Intifada près de 3262 Palestiniens, majoritairement des non-combattants furent tués par des colons israéliens armés et les forces militaires israéliennes. 24% des Palestiniens tués n’avaient que 18 ans ou moins. Le nombre de morts continua d’augmenter à mesure que les personnes blessées succombaient lentement à leurs blessures.

Aujourd’hui, en couvrant les évènements en Palestine Je remarque les similitudes frappantes entre ces années-là et aujourd’hui. Il se peut que les mécanismes et les technologies utilisés pour mener cette répression aient changé, mais l’élan qui y préside demeure le même.

L’usage disproportionné de la force persiste également, ainsi que le déséquilibre des dynamiques de pouvoir qui s’accentue de plus en plus chaque année.

Je me sens investie d’un sens renouvelé de responsabilité parce que la gravité de la situation l’exige. Plus encore, je prends de plus en plus conscience des défis du reportage en cette période.

D’une certaine manière un fossé artificiel entre les évènements passés et actuels continue d’être entretenu lorsqu’en fait ils sont intimement connectés. De nombreux reportages des médias courants sur les mêmes sujets et incidents que je couvre depuis longtemps ne soulignent pas comment chaque attaque israélienne est liée aux précédentes – des attaques des colons qui ont aiguillonné la résistance armée, à la détérioration économique qui poussent toujours plus les familles, mais surtout la jeunesse vers d’autres modes de survie.

Jusqu’à présent, en Palestine, le schéma est le suivant. Premièrement, il existe une intensification stratégiquement conçue des attaques israéliennes en coordination entre l’armée, les unités du renseignement, les colons, et les autorités judiciaires. Ce qui se traduit par davantage d’arrestations et d’emprisonnements par l’armée, plus de démolitions d’habitations, et une impunité croissante des colons israéliens.

Cela signifie aussi que les affrontements et la résistance des Palestiniens, armée ou non, s’intensifient et augmentent. Il se peut que la situation se calme un certain temps, mais l’affrontement est inévitable. Plus encore, une tendance à la croissance et au développement de la résistance palestinienne est perceptible depuis une décennie.

our chaque petite révolte réprimée, un nouveau mode opérationnel voit le jour avec un soutien accru de la société civile.

Je continue de constater une répétition dans l’expérience vécue des Palestiniens subissant le colonialisme de peuplement israélien, mais c’est dans les détails que je perçois changement et variation.

Ces pièces qui pas à pas s’assemblent d’une manière ou d’une autre les unes aux autres font le lien entre de nombreuses autres histoires pour donner une image complète. De cette façon, je considère nos reportages dans Mondoweiss comme les pièces d’un panorama qui montre à la fois les détails personnels des vies derrière le nombre, et qui s’additionnent pour révéler le contexte plus large dans lequel l’histoire de la Palestine se déroule.

6 October 2022 – Mondoweiss – Traduction: Chronique de Palestine – MJB