Meurtre de Jamal Khashoggi : MBS est “responsable mais pas coupable” ?

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Prière funéraire en hommage à Jamal Khashoggi à la Mosquée de Fatih à Istanbul - Photo : Capture vidéo

Par Abdel Bari Atwan

L’administration Biden tourne-t-elle vraiment le dos à MBS ou le met-elle simplement en retrait ?

La chose la plus remarquable à propos de la publication du rapport des services de renseignement américains sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, est qu’elle n’a été accompagnée d’aucune sanction contre le prince héritier Muhammad Bin-Salman.

La publication du résumé du rapport était censée démontrer l’engagement de l’administration Biden à défendre les droits de l’homme et à punir les contrevenants, ainsi qu’à réévaluer les relations des États-Unis avec les dirigeants saoudiens.

Ce rapport est basé sur une énorme quantité de preuves documentaires et d’enregistrements audio et vidéo sur l’équipe de criminels envoyée pour assassiner et dépecer Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul, et il se termine par la conclusion que que le meurtre était approuvé ou ordonné à Bin-Salman.

Mais la liste des 76 Saoudiens soumis au gel des avoirs aux Etats-Unis et aux interdictions de voyager pour leur implication dans le crime, n’incluait pas le prince héritier.

Il n’y avait plus qu’à attendre à ce que le ministère saoudien des Affaires étrangères publie une déclaration en termes virulents condamnant le rapport et ses «informations et conclusions inexactes» et soulignant qu’il ne contenait aucun document ni aucune preuve. Ce qui est vrai.

Mais il ne fait aucun doute de la véracité des informations et des enregistrements sur lesquels l’évaluation est basée. Ces détails ne sont généralement révélés que dans le cadre de procédures judiciaires et non dans un résumé analytique de quatre pages.

Au cours de sa campagne électorale, Biden a promis de demander des comptes aux dirigeants saoudiens responsables à propos du meurtre de Khashoggi et des horreurs de la guerre au Yémen, en grande partie parce qu’il avait besoin des votes des libéraux et de la gauche radicale pour gagner les élections.

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De nombreux groupes de défense des droits humains demandent maintenant que Bin-Salman soit sanctionné en vertu de la loi Magnitsky, ou inculpé pour un procès aux États-Unis.

Alors Biden va-t-il tourner le dos à cette partie de son électorat ou au contraire tenir ses promesses?

Il ne fait aucun doute que le «MBS» est devenu un fardeau majeur pour l’administration démocrate à Washington. Il y a deux choix possibles: soit se débarrasser de lui en faisant pression sur le roi pour le remplacer.. ou alors le garder sous la main et lui soutirer des milliards de dollars comme Trump l’a fait.

Il semble que les opinions soient partagées au sein de l’administration Biden sur la voie à suivre. Certains considèrent la première possibilité comme plus décisive, moins coûteuse et préférable en termes de “sauver la face”.

D’autres préfèrent la seconde option en raison de considérations pragmatiques sur les intérêts financiers et militaires des États-Unis, étant donné le poids économique et politique de l’Arabie saoudite, la relation stratégique vieille de plusieurs décennies entre les deux parties et la crise actuelle avec l’Iran.

Le silence total maintenu par le roi Salmane sur l’affaire Khashoggi soulève d’autres questions. En connaît-il simplement les détails ? ou est-il délibérément laissé dans le noir ? Ou ne dit-il rien parce qu’il envisage de prendre des mesures pour répondre au désir déclaré des Américains d’une relation réformée, basée sur différents fondements, notamment la transparence et le respect des droits de l’homme ?

Les journalistes saoudiens et les porte-parole semi-officiels ont pris l’habitude de prévenir que si les États-Unis sanctionnaient MBS, il pourrait tourner le dos à Washington et s’allier avec Moscou ou Pékin, ou les deux.

On a beaucoup parlé de la visite de l’ambassadeur de Chine dans la mégapole en projet de Neom, où il a fait l’éloge du projet et de son cerveau MBS. Mais ces experts comprennent-ils ce qui pourrait résulter d’un tel revirement ? Les dirigeants saoudiens pourraient-ils réellement en retirer un avantage et en supporter les conséquences ?

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Deux exemples peuvent être pertinents ici: (1) Le dictateur panaméen Manuel Noriega était une marionnette américaine fiable, mais une fois qu’il a voulu un peu d’autonomie, ils ont envahi son pays et l’ont traîné dans une prison américaine. (2) Lorsque l’Ukraine a cherché à abandonner son alliance avec la Russie et à se ranger du côté de ses adversaires occidentaux, elle a dû payer un prix exorbitant: perdre la péninsule de Crimée et le contrôle d’une grande partie de son territoire oriental.

La guerre au Yémen et le meurtre brutal de Khashoggi ont coûté à l’Arabie saoudite une grande partie de son image et de sa réputation dans les mondes arabe et islamique – en plus des coûts financiers s’élevant à des centaines de milliards de dollars extorqués par Trump et son administration.

L’argent, avec les dirigeants saoudiens pensaient pouvoir acheter n’importe quoi et n’importe qui, s’épuise. Les dettes extérieures et intérieures augmentent et les réserves financières stratégiques s’épuisent rapidement. En d’autres termes, derrière les façades flashy, l’Arabie saoudite n’est plus ce qu’elle était.

Nous ne nous sommes jamais fait d’illusions sur la politique ou le comportement des États-Unis au Moyen-Orient, que ce soit sous l’administration démocrate ou républicaine. Ils sont responsables d’une grande partie du chaos actuel dans la région, par leurs guerres sanglantes et destructrices contre l’Irak, la Libye et la Syrie, et leur soutien inconditionnel à la cruelle colonisation israélienne de la Palestine.

Les États-Unis peuvent facilement abandonner et détruire leurs alliés une fois que ceux-ci ont épuisé leurs ressources et que les objectifs ont été atteints.

Le problème est que ces alliés n’écoutent que les voix américaines. Ils se lient, eux et leurs pays, inextricablement aux États-Unis et à leurs projets destructeurs, et n’apprennent jamais de leurs erreurs.

A1 * Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

1 mars 2021 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine