Hypocrisie et double langage sur fond de génocide

21 mars 2025 - Une mère en larmes s'occupe de son enfant malade au complexe médical Nasser à Khan Younis - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Ramzy Baroud

Commençons par décrypter l’hypocrisie et le double langage en Occident, nous dit Ramzy Baroud.

Le 29 février 2024, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin a provoqué un choc lorsqu’il a informé les élus de la commission des forces armées de la Chambre des représentants que plus de 25 000 femmes et enfants palestiniens avaient été tués par Israël à Gaza jusqu’à cette date.

Austin, le chef militaire de l’administration Biden, a révélé un fait qui a immédiatement contredit le discours de son propre gouvernement.

Cette annonce était avant tout choquante à double titre : premièrement, Austin lui-même avait orchestré l’approvisionnement ininterrompu d’Israël en armements US, permettant ainsi directement la campagne qui a massacré tous ces innocents ; deuxièmement, le chiffre fourni était encore pire que le bilan des victimes rapporté par le ministère palestinien de la Santé à Gaza pour la même période, soit 22 000 femmes et enfants au cours des 146 premiers jours de la guerre.

Le nœud du problème réside toutefois dans le fait que le rapport détaillé d’Austin sur les atrocités commises par Israël à Gaza avec le financement des États-Unis contredisait directement le discours officiel régulièrement diffusé par la Maison Blanche.

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En fait, dès le 25 octobre 2023, à peine deux semaines après le début de la guerre génocidaire, le président Joe Biden lui-même a commencé à vouloir nier des estimations du ministère palestinien de la Santé concernant le nombre de morts.

« Je n’ai aucune confiance dans les chiffres avancés par les Palestiniens », a-t-il déclaré sans honte.

Naturellement, la déclaration d’Austin n’a ni ébranlé son soutien indéfectible à Israël ni diminué l’attitude méprisante de Biden envers les Palestiniens. Au contraire, le soutien militaire et politique des États-Unis à Israël a augmenté de manière exponentielle après cette audience au Congrès.

Le soutien militaire et financier des États-Unis au génocide israélien pendant la première année de la guerre sous l’administration Biden est estimé à au moins 17,9 milliards de dollars.

Ces contradictions apparentes ne sont toutefois pas du tout des incohérences, mais une politique parfaitement pensée et délibérée. Historiquement, cette approche permet aux États-Unis de bafouer systématiquement leurs propres principes affichés.

L’Irak a été envahi, au prix d’horribles pertes humaines et de la destruction de la société, sous la bannière des « bonnes intentions » : démocratie, droits de l’homme, etc… et l’Afghanistan a connu deux décennies de guerre et d’instabilité au nom de la lutte contre le terrorisme, de l’exportation de la démocratie et des droits des femmes.

La partie pratique de l’opération de communication satisfait les stratèges militaires et politiques, tandis que la rhétorique creuse sur la démocratie et les droits de l’homme maintient les intellectuels, tant de droite que de gauche, enlisés dans un débat interminable et perpétuellement stérile, qui sert à dissimuler plutôt qu’à influencer la politique appliquée.

Si le gouvernement américain a peut-être perfectionné l’art des contradictions délibérées, il n’en est pas l’inventeur. Dans l’histoire moderne, ce phénomène a été presque exclusivement le fait de l’Occident : le colonialisme a été présenté comme une solution à l’esclavage, et les conversions forcées ont été justifiées sans vergogne comme des missions civilisatrices.

La position de l’Occident sur le génocide israélien à Gaza offre cependant l’exemple le plus flagrant et le plus actuel de cette contradiction délibérée. Un examen succinct du comportement de l’Allemagne au cours des deux dernières années suffit à illustrer ce point.

L’Allemagne est le deuxième plus grand fournisseur d’armes à Israël au monde, après les États-Unis. Non seulement elle a refusé d’accepter la définition du génocide reconnue par de nombreux pays, et finalement par la Cour internationale de justice (CIJ), mais elle s’est également battue avec acharnement pour protéger Israël de la simple accusation.

Au niveau national, elle a brutalement réprimé les manifestations pro-palestiniennes, arrêté d’innombrables militants et interdit l’utilisation du drapeau palestinien, parmi de nombreuses autres mesures draconiennes. Pourtant, dans le même temps, l’Allemagne a continué à « défendre » la liberté d’expression et la démocratie, et à critiquer les pays du Sud qui auraient limité ces mêmes valeurs.

Comme on pouvait s’y attendre, l’Allemagne a continué à armer Israël, inventant toutes les justifications imaginables pour soutenir Tel-Aviv, même après que la Cour pénale internationale (CPI) ait émis des mandats d’arrêt contre les principaux dirigeants israéliens pour crime d’extermination à Gaza.

Ce n’est que sous une pression énorme que Berlin a finalement cédé et accepté de limiter [temporairement] les exportations d’armes vers Israël.

Revenons à ces derniers jours. La BBC, parmi d’autres médias, a rapporté le 17 novembre que l’Allemagne allait rétablir ses exportations d’armes vers Israël, justifiant cette décision par l’annonce, le 10 octobre, d’un cessez-le-feu à Gaza – un cessez-le-feu qu’Israël a violé de manière flagrante à des centaines de reprises.

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« La décision de l’Allemagne de lever sa suspension partielle des livraisons d’armes à Israël est imprudente, illégale et envoie un message tout à fait erroné à Israël », a déclaré Amnesty International dans un communiqué de presse, une condamnation qui, bien sûr, a été totalement ignorée.

Une semaine plus tard, de nouvelles recherches menées par deux institutions universitaires de premier plan et très réputées ont démontré que le nombre de Palestiniens tués à la suite du génocide israélien est nettement supérieur aux chiffres avancés par le ministère de la Santé de Gaza.

Pire encore, l’espérance de vie à Gaza a chuté de près de moitié en raison de la guerre israélienne.

Parmi ces deux institutions, l’Institut Max Planck pour la recherche démographique (MPIDR) est allemand. Cet organisme de recherche de renommée mondiale est en grande partie financé par des fonds publics provenant directement du gouvernement fédéral, l’entité même qui expédie les armes qui, avec le soutien des États-Unis, ont alimenté l’explosion du nombre de morts à Gaza.

Dans tous ces scénarios, l’Occident joue à la fois le rôle de juge et de bourreau, d’intervenant honnête et de fabricant d’armes, de violateur et de défenseur autoproclamé des droits humains.

Mais le reste d’entre nous, dans les pays du Sud, ne devons pas nous contenter de jouer le rôle de victimes, dont les vies sont détruites mais comptées avec précision. Pour retrouver notre capacité d’action collective, nous devons toutefois commencer par prendre conscience, tous ensemble, que les contradictions calculées de l’Occident sont spécifiquement conçues pour perpétuer aussi longtemps que possible la relation inique entre les puissances occidentales et le reste d’entre nous.

Ce n’est qu’en dénonçant rigoureusement et en rejetant avec force cette hypocrisie que nous pourrons enfin nous libérer de l’illusion historique selon laquelle la solution à notre problème serait d’origine occidentale.

3 décembre 2025 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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