La Société Max Planck doit cesser son support inconditionnel à l’état génocidaire

Institut Max Planck de biochimie et d'intelligence biologique à Martinsried, près de Munich - Photo : MPI de biochimie/ Tim Laugks

Une lettre ouverte des employés demande à la Société Max Planck de reconsidérer sa position sur Israël au vu des actions génocidaires israéliennes.

Nous, un groupe d’employés [des différents instituts] de la Société Max Planck [SMP], la plus grande institution de recherche d’Allemagne, écrivons cette lettre pour exprimer notre désapprobation de la position prise par notre employeur sur le conflit Israël-Palestine et appelons à un changement sérieux du discours y afférent, à la fois au sein de la SMP et en Allemagne dans son ensemble.

Le 11 octobre, la SMP a publié une « déclaration sur les attaques terroristes contre Israël », qui commençait par une condamnation des « horribles attaques du Hamas contre Israël dans les termes les plus forts possibles ».

Elle a ensuite exprimé sa solidarité avec Israël, sa douleur pour les Israéliens et les autres vies perdues, et sa sympathie pour les familles, les amis et les proches touchés. Elle déplore que des étudiants, de jeunes universitaires et d’autres employés d’universités et d’instituts de recherche soient « appelés comme réservistes » et réaffirme son engagement à maintenir des « liens scientifiques et personnels étroits » avec les instituts de recherche en Israël, et à utiliser ces liens pour « apporter un soutien partout où cela est possible ».

La seule phrase mentionnant les Palestiniens est celle qui attribue la responsabilité de leurs « souffrances indicibles » non pas à Israël ou à l’armée israélienne, mais au mouvement Hamas.

L’Allemagne et Israël : solidaires en génocide

Cette déclaration n’a pas été du goût de nombreux employés de la SMP, pas plus que ses déclarations et actions ultérieures au cours des six derniers mois. ***

En novembre, le président de la SMP, Patrick Cramer, s’est rendu en Israël et à l’Institut Weizmann des sciences et a exprimé son soutien aux chercheurs israéliens, mais n’a pas critiqué les actions de l’armée israélienne à Gaza.

En décembre, la SMP a annoncé qu’elle allouait un million d’euros (1,1 million de dollars) à la collaboration germano-israélienne en matière de recherche. Le programme vise à « aider à stabiliser la communauté scientifique israélienne, leader mondial, pendant la crise actuelle ».

La manière dont le programme a été présenté au public reflète la perception des dirigeants de la SMP selon laquelle il n’y a qu’une seule victime à soutenir : la communauté scientifique israélienne, qui souffrirait gravement des conséquences de « l’attaque du Hamas contre Israël » – ce qui signifie que seule la communauté scientifique israélienne souffre de la guerre incessante menée par Israël contre Gaza.

Nous ne comprenons pas pourquoi l’argent des contribuables allemands devrait être dépensé pour stabiliser une communauté de recherche affectée par les actions de son propre gouvernement.

En revanche, pas un seul euro, ni même un seul mot, n’a été dépensé pour offrir une aide quelconque aux communautés scientifiques de Gaza et de Cisjordanie, qui sont les premières victimes de la guerre et des politiques d’occupation violente d’Israël.

Selon une déclaration de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, « l’armée israélienne a tué 94 professeurs d’université, ainsi que des centaines d’enseignants et des milliers d’étudiants, dans le cadre de sa guerre génocidaire contre les Palestiniens de la bande de Gaza ».

En février, un article est paru dans le journal allemand Die Welt, attaquant l’éminent chercheur libano-australien Ghassan Hage, employé à l’Institut Max Planck d’anthropologie sociale, qui fait partie de la SMP. Quelques jours plus tard, la SPM a annoncé qu’elle le licenciait pour avoir « exprimé des points de vue incompatibles avec les valeurs fondamentales de la Société Max Planck ».

M. Hage avait critiqué Israël dans ses publications en ligne.

Une lettre ouverte des chercheurs de la société Max Planck a été diffusée pour protester contre le licenciement de M. Hage, appelant à l’annulation de cette décision.

Nous soutenons cette lettre ainsi qu’une déclaration antérieure de collègues publiée le 17 décembre, critiquant la position de la SPM sur Israël-Palestine et lui demandant de reconsidérer sa position de soutien inconditionnel à Israël et à ses institutions académiques dans leur intégralité.

Les événements de ces derniers mois ont pleinement confirmé qu’un tel réexamen est absolument nécessaire. En particulier, en tant que membres de la SMP, nous ne devrions pas soutenir les assassinats aveugles de civils, la destruction massive d’infrastructures civiles et le déni presque total des conditions humanitaires pour les Palestiniens de Gaza.

Dans sa déclaration du 26 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ) a imposé à Israël l’obligation de prendre toutes les mesures possibles pour protéger la vie civile à Gaza, de garantir la fourniture de services de base et d’une aide humanitaire adéquate, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir l’incitation au génocide et les actes de génocide.

Pour la classe politique allemande, c’est toujours « Israël über alles »

Rien de tout cela ne s’est produit jusqu’à présent. Au contraire, Israël poursuit sans honte sa campagne inhumaine d’anéantissement à Gaza.

La participation à l’Holocauste de scientifiques du prédécesseur de la SMP, la Kaiser Wilhelm Society, nous oblige à nous dresser ensemble contre tous les crimes contre l’humanité et la possibilité d’un génocide : « Plus jamais ça » doit être « Plus jamais ça maintenant ».

En tant qu’héritiers de ce legs, nous formulons quatre demandes claires pour un changement rapide de la position de la SMP sur Israël-Palestine :

  • Afin de respecter la stipulation de la CIJ de tout faire pour protéger les civils à Gaza, nous demandons que la SPM appelle à un cessez-le-feu complet, inconditionnel et immédiat.
  • Nous demandons que la SMP prenne une position publique claire contre l’occupation israélienne de longue date de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est et contre la violence qu’elle exerce contre le peuple palestinien.
  • Nous exigeons que ls SMP alloue à la reconstruction des institutions scientifiques à Gaza le même montant que celui consacré au programme israélien. Ceci est d’autant plus important que toutes les universités de Gaza ont été complètement détruites.
  • Enfin, nous demandons une déclaration publique de la part de la SMP pour savoir si – et si oui, de quelle manière – elle a été et continue d’être impliqués dans la recherche à double usage, c’est-à-dire la recherche qui peut être utilisée à des fins pacifiques aussi bien que militaires, avec ses partenaires académiques en Israël.

Toute poursuite du soutien unilatéral et inconditionnel des institutions universitaires israéliennes par la SMP menace de rendre la SMP et tous ses membres complices des crimes commis par Israël à Gaza. Nous rejetons catégoriquement cette idée.

Outre ces questions immédiates de moralité, de droit et de justice, nous souhaitons, en tant qu’universitaires de la SMP, soulever certaines questions pertinentes et attendues depuis longtemps, d’ordre politique et académique :

  • Quels sont les effets de l’exclusion des Palestiniens de l’articulation par la SMP de sa relation historique avec l’État d’Israël ?
  • Comment la collaboration avec des scientifiques en Israël, mais pas en Palestine, a-t-elle façonné le contenu et les contours des connaissances scientifiques produites ?
  • Comment cette collaboration est-elle liée à la formation de la violence structurelle envers les Palestiniens, que ce soit en Israël, à Gaza, en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est ?
  • Dans un contexte de censure publique et de dénigrement des voix dissidentes sur cette question en Allemagne – ce qui nous a incités à ne pas signer cette lettre de nos noms individuels – la SMP ne se sent-elle pas obligée d’encourager et d’appeler activement à un dialogue ouvert et critique sur la Palestine-Israël, au sein de l’organisation et, plus important encore, dans la sphère publique allemande au sens large ?
  • Comment pouvons-nous, en tant que grand groupe de chercheurs internationaux vivant en Allemagne, contribuer à jeter des ponts, non seulement entre l’Allemagne et l’État d’Israël, mais aussi avec la Palestine, et, ce faisant, favoriser un avenir plus pacifique et plus juste ?

Ces questions, ainsi que d’autres, doivent être débattues de toute urgence de manière objective et critique, tant au sein de la SMP que dans l’ensemble de la communauté universitaire en Allemagne et dans le monde, si l’on veut éviter à l’avenir d’autres horribles explosions de violence et notre complicité dans ce domaine.

24 mars 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine