Par Ramzy Baroud
L’aide humanitaire ne devrait jamais être politisée, mais il arrive, assez souvent, que la survie même d’une nation soit utilisée comme monnaie d’échange politique.
Malheureusement, la bande de Gaza en est un excellent exemple. Même avant la guerre actuelle, la bande de Gaza souffrait d’un blocus hermétique depuis 17 ans, qui a appauvri ce coin de terre jusqu’à le rendre pratiquement “invivable”.
C’est Michael Lynk, alors rapporteur spécial des Nations unies qui a utilisé le terme « invivable » pour décrire la situation de la Palestine, en 2018.
À la mi-décembre, « près de 70 % des 439 000 habitations de Gaza et environ la moitié de ses bâtiments avaient été endommagés ou détruits », a rapporté le Wall Street Journal, citant des experts qui avaient procédé à une analyse approfondie des données satellitaires.
Aussi tragique qu’ait été la situation en décembre, elle est aujourd’hui bien pire.
67 % de l’eau, des installations sanitaires et des infrastructures de Gaza ont été détruites ou endommagées, selon un communiqué de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) du 19 juin, ce qui a entraîné la propagation de maladies infectieuses dans la population assiégée.
La propagation des maladies est également liée à l’accumulation d’ordures partout dans Gaza. L’agence pour les réfugiés a indiqué que « depuis le 9 juin, plus de 330 000 tonnes de déchets se sont accumulées dans ou près des zones peuplées de Gaza, posant des risques catastrophiques pour l’environnement (et) la santé ».
La situation était déjà désastreuse avant cette guerre génocidaire. Trois ans avant le 8 octobre dernier, l’Institut mondial pour l’eau, l’environnement et la santé (GIWEH) a déclaré, dans une déclaration commune avec l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, que 97 % de l’eau de Gaza était imbuvable et impropre à la consommation humaine.
Pourtant, jusqu’à présent, toutes les considérations sur l’autorisation de l’aide à Gaza, ou sur la reconstruction de Gaza après la guerre, ont été subordonnées aux enjeux politiques.
En fermant tous les points de passage, y compris le point de passage de Rafah entre l’Égypte et Gaza – qui a été incendié le 17 juin – Israël a politisé la nourriture, le carburant et les médicaments pour en faire des outils dans sa guerre contre la bande de Gaza.
Ce fait est attesté par le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, qui a déclaré, le 9 octobre, qu’il avait ordonné un « siège complet » et qu’ « il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, pas d’eau » dans la bande de Gaza.
Le moment choisi pour cette déclaration, qui a effectivement été mise en œuvre dès le premier jour de la guerre, montre que cette stratégie n’est pas un pis-aller. Elle constitue un des plus importants éléments de la tactique de guerre d’Israël, qu’il continue d’appliquer à ce jour.
Au lieu de faire pression sur Israël, Washington a tenté de se créer lui aussi un levier politique, notamment en politisant l’aide. Le 3 mars, l’armée de l’air américaine a commencé à larguer de l’aide dans le nord de Gaza. Il aurait été beaucoup plus efficace et moins humiliant pour les Palestiniens que les États-Unis exercent une pression directe sur Israël pour qu’il autorise l’accès aux camions d’aide arrivant par Rafah, Karem Abu ou ailleurs.
Le spectacle de milliers de Palestiniens affamés courant après les caisses d’aide parachutées à Gaza restera gravé dans la mémoire collective de l’humanité comme un exemple de notre totale absence d’éthique.
Gaza redoute que le port flottant américain ne serve à l’expulsion des Palestiniens
Les médias ont parlé de familles entières tuées sous le poids de l’ « aide » larguée, dont une grande partie est tombée dans la Méditerranée, sans jamais pouvoir être récupérée.
Même l’embarcadère de Gaza, construit par l’armée américaine sur le littoral de Gaza le mois dernier, n’a guère contribué à améliorer la situation. Il a simplement permis de transporter 137 camions d’aide, selon les propres estimations des États-Unis, ce qui n’a permis de couvrir les besoins alimentaires de Gaza que quelques heures.
Pendant les années de siège, une moyenne de 500 camions arrivant chaque jour à Gaza a permis aux 2,3 millions d’habitants de la bande de rester en vie, tout en souffrant de malnutrition.
Pour faire face aux conséquences de la guerre et pour éviter la famine actuelle, en particulier dans le nord, le nombre de camions d’aide devrait être beaucoup plus élevé. Pourtant, des jours entiers s’écoulent sans qu’un seul camion ne parvienne à la population affamée. Cette situation est inacceptable.
Non seulement la communauté internationale n’a pas réussi à mettre fin à la guerre, mais elle n’a pas non plus réussi à dissocier l’aide humanitaire des enjeux politiques et militaires.
Le problème de la politisation de l’aide est que les civils innocents deviennent une monnaie d’échange pour les politiciens et les militaires. Cela va à l’encontre des fondements mêmes du droit international humanitaire.
Selon la Croix-Rouge internationale, citant les conventions de La Haye, « le droit international humanitaire est la branche du droit international qui a pour but d’imposer des limites aux destructions et aux souffrances causées par les conflits armés ».
À Gaza, aucune « limite » de ce type n’a été « imposée » par qui que ce soit.
Fournir de l’aide à Gaza et assurer la reconstruction de la bande ne devrait pas servir de monnaie d’échange dans les négociations politiques. Il s’agit d’un droit humain fondamental qui doit être respecté en toutes circonstances.
Il faut exercer une véritable pression sur Israël pour qu’il mette fin au siège de Gaza, et il faut que les représentants des institutions humanitaires des Nations unies, de la Ligue arabe et des autorités palestiniennes et de Gaza s’organisent, dès aujourd’hui, pour acheminer de l’aide à Gaza.
L’aide humanitaire à Gaza ne doit pas servir de levier ou d’outil politique dans une guerre cruelle dont les premières victimes sont des millions de civils palestiniens.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out ». Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
2 juillet 2024 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet