Déconstruire la « hasbara », la machine de propagande israélienne

6 juin 2023 - Funérailles de Muhammad Tamimi, âgé de deux ans, dans le village de Nabi Saleh en Cisjordanie. Le tout petit enfant palestinien est mort quatre jours après avoir été abattu d'une balle dans la tête par les forces coloniales israéliennes près de l'entrée de sa maison à Nabi Saleh, alors qu'il se trouvait dans la voiture avec son père, qui a également été blessé par les tirs israéliens indiscriminés. En 2023, 27 enfants palestiniens ont été assassinés par les forces coloniales israéliennes - Photo : Oren Zeiv / Activestills

Par M. Reza Behnam

Tel-Aviv a de plus en plus de mal à faire oublier l’apartheid et le génocide dont les Palestiniens sont victimes, surtout à la lumière des politiques et pratiques ouvertement racistes de l’actuel régime d’extrême droite mises en place par un Premier ministre, Benjamin Netanyahu, qui a des problèmes judiciaires.

Presque chaque matin, je regarde BBC News pendant que je me prépare pour aller courir. Dernièrement, le présentateur a annoncé, avec la sobriété proverbiale des Britanniques, le nombre de Palestiniens tués la veille par l’armée israélienne pendant ses raids nocturnes dans les maisons et les camps de réfugiés des territoires palestiniens occupés.

Lorsque je parcours les sites d’information américains pour en savoir plus, je ne trouve aucune mention de ces atrocités. Les ondes sont pourtant remplies d’informations sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine et sur la mort de civils.

Ce que beaucoup d’Américains n’apprendront pas par ces sources d’information, c’est qu’en 2022, l’armée israélienne a tué plus de 170 civils palestiniens, dont 30 enfants, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et que depuis le début de l’année 2023, l’armée d’occupation israélienne a déjà tué 158 Palestiniens, dont 26 enfants.

Ils n’apprendront pas qu’Israël contrôle la vie et les ressources (accès à l’eau potable) d’environ 7 millions de Palestiniens, et que les villes, villages, maisons, vergers et entreprises palestiniens ont été systématiquement détruits et repeuplés par plus de 750 000 squatters juifs illégaux ( « colons ».

Ils n’entendront pas parler des 56 années d’occupation israélienne, de dépossession, de démolition de maisons, de couvre-feu, de points de contrôle, de murs, de barrages, de permis, de raids nocturnes, d’assassinats ciblés, de tribunaux militaires, de détention administrative, de milliers de prisonniers politiques, d’enfants palestiniens torturés, et de 56 années d’oppression et d’humiliation.

Un traitement « exceptionnel »

Comment expliquer le traitement « exceptionnel » dont bénéficie Israël, alors que beaucoup d’autres entités ou individus qui violent les droits humains sont condamnés ou sanctionnés par les États-Unis et leurs alliés ?

Une grande partie de l’explication est liée à l’industrie étatique des relations publiques d’Israël, qui manie de manière extrêmement efficace le mensonge et la duplicité. Depuis sa création en 1948, Israël a réussi à faire adopter une manière de voir les choses qui ne s’applique qu’à lui seul, une forme d’inversion de la réalité qui fait passer l’illégal pour légal, l’immoral pour moral et l’antidémocratique pour démocratique.

Il a magistralement répandu un certain nombre de mythes qui sont devenus partie intégrante du discours des politiques et des médias grand public.

Dès le départ, les fondateurs sionistes d’Israël ont dissimulé leur véritable objectif qui était de créer un « Grand Israël » – un État juif non seulement en Palestine, mais aussi en Jordanie, au Sud-Liban et sur les hauteurs du Golan syrien – derrière un récit épique.

L’histoire qu’ils ont inventée à base d’images toutes faites de « bons » Israéliens qui exploitaient une terre inhabitée, faisaient miraculeusement fleurir le désert et s’établissaient de plein droit sur une terre historique que Dieu leur avait promise est profondément ancrés dans les esprits.

En réalité, les sionistes, comme le premier Premier ministre d’Israël, David Ben-Gourion, né en Pologne, considéraient le plan de partage de la Palestine adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948 comme la première étape d’une future expansion.

Les projets coloniaux d’Israël

Dans son livre « Righteous Victims », Benny Morris écrit que, dans une lettre adressée à son fils en 1937, Ben-Gourion a défini le plan sioniste de colonisation de la Palestine : « Aucun sioniste ne peut renoncer à la moindre portion de la terre d’Israël. [Un État juif dans une partie [de la Palestine] n’est pas une fin, mais un commencement (…) Grâce à ce petit état, nous augmentons notre pouvoir, et chaque augmentation de pouvoir facilite la prise de contrôle du pays dans sa totalité. L’établissement d’un [petit] État (…) servira de levier très puissant dans notre effort historique pour récupérer le pays tout entier ».

Le récit israélien fait évidemment l’impasse sur le fait que le plan de colonisation d’Israël passe par la déportation et/ou l’élimination de la population palestinienne autochtone.

Grâce à l’efficacité de sa campagne de désinformation, de nombreux Américains en sont venus à croire qu’Israël est un État démocratique, progressiste et humaniste, une nation petite mais courageuse qui se défend contre la violence et le terrorisme « extérieurs ».

Dans le cadre de son projet de “Grand Israël”, Israël a créé une autre fiction pour légitimer la guerre qu’il a décidé de mener en 1967. Bien que la guerre des six jours, qui a débuté le 5 juin 1967, se soit révélée être un tournant crucial dans l’histoire moderne du Moyen-Orient, Israël a réussi à maintenir le mythe de sa vulnérabilité et parvient toujours à se faire passer pour une « nation assiégée ».

Les fabricants de mythes sionistes

Il y a 56 ans, l’armée de l’air israélienne a attaqué des bases aériennes en Égypte, en Syrie et en Jordanie, détruisant plus de 80 % de leurs avions de guerre au sol. Les troupes israéliennes ont rapidement occupé la péninsule égyptienne du Sinaï, la bande de Gaza, la Cisjordanie jordanienne et le plateau syrien du Golan.

Selon les procès-verbaux du gouvernement israélien, l’attaque n’était pas défensive, c’était une frappe préventive planifiée.

Les Israéliens étaient parfaitement conscients de la nécessité de lancer une campagne de désinformation parallèlement à leurs attaques militaires contestables, afin d’apaiser les réactions négatives de Washington et d’autres puissances occidentales.

Les dirigeants politiques et le public américains croyaient aveuglément au mythe israélien selon lequel l’État juif luttait pour sa survie physique contre un ennemi arabe plus puissant. En réalité, les dirigeants arabes n’avaient aucune intention d’envahir Israël et les dirigeants israéliens savaient qu’ils gagneraient facilement la guerre.

Le mensonge de l’anéantissement est devenu un dogme inattaquable à Washington – le mantra du « droit de se défendre » – qui a permis à Tel-Aviv de poursuivre son annexion illégale de terres palestiniennes saisies.

Les créateurs de mythes sionistes ont repris du service dans les années 1980. Pour contrer les critiques engendrées par ses bombardements aveugles sur le Liban et le massacre de Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila à Beyrouth en 1982, Israël a concocté le Projet Hasbara (« explication » en hébreu) en 1983.

Cette année-là, l’American Jewish Congress a parrainé une conférence à Jérusalem réunissant des cadres supérieurs, des journalistes et des universitaires d’Israël et des États-Unis, afin d’élaborer une stratégie visant à améliorer l’image d’Israël, à cimenter le soutien économique et militaire des États-Unis et à rendre extrêmement difficile la critique des actions d’Israël.

La hasbara a mis en place des structures permanentes aux États-Unis et en Israël pour influencer la façon dont le monde, et en particulier les Américains, se représenterait Israël et du Moyen-Orient à l’avenir.

Les points qu’ils ont développés sont toujours au cœur de la rhétorique actuelle : l’importance stratégique d’Israël pour les États-Unis, sa vulnérabilité physique, les valeurs culturelles qu’il partage avec l’Occident et son désir de paix. Israël qualifie désormais de « diplomatie publique » la poursuite de sa propagande hasbara.

Les organes de presse, les journalistes, les universitaires, les hommes politiques et les artistes savent qu’ils subiront des pressions s’ils parlent d’Israël en des termes qui ne plaisent pas à l’état hébreu et à ses partisans.

Toute tentative pour dénoncer les abus d’Israël est rejetée comme anti-Israël ou antisémite. Les propagandistes israéliens ont réussi à faire passer la critique du régime – l’antisionisme – pour de l’antisémitisme. L’accusation d’antisémitisme est un outil puissant pour protéger Israël de toute critique. Elle a détruit des carrières et des réputations.

Le prix à payer pour critiquer des mythes israéliens

Helen Thomas, journaliste de renom aujourd’hui décédée, Norman Finkelstein, éminent intellectuel juif, politologue et auteur, et Fatima Mohammed, diplômée de la faculté de droit de CUNY en 2023, font partie de ceux qui ont accepté de braver les critiques auxquelles ils sont inévitablement confrontés pour « oser » remettre en question les mythes israéliens.

Helen Thomas, icône nationale et correspondante principale de l’UPI à la Maison Blanche, a été contrainte de mettre fin à sa carrière de 57 ans en 2010 parce qu’elle persistait à remettre publiquement en question le soutien des États-Unis à Israël. Mme Thomas a déclaré plus tard : « On ne peut pas critiquer Israël dans ce pays et garder sa vie ».

En 2007, l’université DePaul a refusé de titulariser Norman Finkelstein en raison de ses critiques à l’égard d’Israël. Dans ses livres, Finkelstein affirme que l’antisémitisme a été utilisé pour étouffer les critiques des politiques israéliennes à l’égard des Palestiniens et que l’ « holocauste » est exploité par certaines institutions juives pour leur profit personnel et pour couvrir l’occupation illégale de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël.

Son nom ayant été sali, Finkelstein n’a plus jamais pu enseigner.

Fatima Mohammed, dans son récent discours de remise des diplômes, a reproché à Israël de ne pas mettre fin à la Nakba (catastrophe), et a déclaré : « notre silence n’est plus acceptable (…) La Palestine ne peut plus être exclue de notre quête pour la justice ».

Comme on pouvait s’y attendre, Mme Mohammed a été immédiatement condamnée par des politiciens américains et des groupes pro-israéliens, qui l’ont accusée d’antisémitisme et ont demandé aux donateurs de cesser de financer l’université.

En décembre 2008 et en janvier 2009, Israël a, comme par le passé, actionné sa machine de relations publiques. Cette fois, il s’agissait de contrer la critique de son bombardement massif de 22 jours de la bande de Gaza, au cours duquel 1398 Palestiniens ont été assassinés.

Le Projet Israël

Le Projet Israël (TIP), un groupe pro-israélien basé à Washington, a engagé Frank Luntz, un stratège politique républicain, pour redorer l’image d’Israël. La mission de Luntz était de trouver le moyen de faire adopter aux médias grand public le discours israélien comme leur.

Ses conclusions ont été publiées dans un document intitulé « The Israel Project’s 2009 Global Language Dictionary ».

L’étude de Luntz, avec ses recommandations et son vocabulaire destinées aux partisans d’Israël, a contaminé la pensée, le vocabulaire et les commentaires des politiciens américains, israéliens et européens, des universitaires et des médias grand public.

Dans son guide en 18 chapitres, Luntz explique aux partisans d’Israël comment adapter leurs réponses aux différents publics, ce que les Américains veulent entendre et quels sont les mots et les phrases à utiliser et à éviter.

Il donne des conseils sur la manière de contester les déclarations des Palestiniens et de feindre la compassion à leur égard. Luntz conseille de toujours mettre l’accent sur le désir de paix d’Israël, même s’il affirme au départ que ce pays ne souhaite pas vraiment une solution pacifique.

Les partisans sont invités à faire croire que le soi-disant « cycle de la violence » dure depuis des milliers d’années, que les deux parties sont également fautives et que la catastrophe Palestine-Israël dépasse leur entendement.

Il invite les défenseurs des droits de l’homme à insister sur le besoin de sécurité d’Israël, en soulignant que les Américains réagiront favorablement si les civils israéliens sont présentés comme les victimes innocentes du « terrorisme » palestinien.

Luntz affirme que si les Américains apprennent que l’Iran soutient le Hezbollah et le Hamas, ils seront enclins à soutenir davantage Israël. C’est pourquoi, lorsqu’on parle d’eux, il faut répéter à plusieurs reprises que le Hamas et le Hezbollah sont « soutenus par l’Iran ».

Les rares fois où les médias grand public parlent des abus d’Israël, ils se conforment au lexique officiel de Luntz. L’armée d’occupation israélienne, par exemple, est qualifiée de forces de « défense » ou de « sécurité », les colonisateurs sionistes (squatters) sont appelés « colons », les colonies sionistes sont appelées « implantations » ou « quartiers », les Palestiniens « attaquent », tandis que les Israéliens se contentent de « riposter ».

Normaliser l’anormal

Parmi les fabrications les plus flagrantes, on peut citer la caractérisation du bourbier israélo-palestinien comme un « conflit » entre deux peuples aux ressources politiques et militaires égales et aux revendications égales, alors qu’il s’agit en réalité d’un conflit entre le colonisateur, Israël, et le colonisé, les Palestiniens.

Depuis 75 ans, la propagande israélienne permet à ce pays de bénéficier d’un traitement d’exception et donc de bafouer les normes et les lois internationales en toute impunité.

Grâce à ces mythes, Israël a exercé une influence considérable sur la politique américaine au Moyen-Orient. Les campagnes de désinformation ininterrompues et méthodiques menées par le pays, de 1948 jusqu’à aujourd’hui, ont permis à Israël de planter le drapeau sioniste sur la terre palestinienne et dans le cœur et l’esprit des Américains.

Tel-Aviv éprouve toutefois de plus en plus de difficultés à blanchir son système d’apartheid et le génocide des Palestiniens, en particulier à la lumière des politiques et pratiques ouvertement racistes de l’actuel régime d’extrême droite que dirige le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, qui se débat en même temps dans des problèmes judiciaires.

L’industrie israélienne de la hasbara ne se laisse toutefois pas décourager. La TIP a fermé ses portes en 2019 après que son financement s’est tari, mais la Democratic Majority for Israel (DMFI) continue de poursuivre la mission de la hasbara israélienne.

Israël sait très bien que les histoires qu’il se raconte et qu’il raconte au monde sont des mensonges illusoires et que l’État juif, dans sa forme actuelle, est illégal et injuste.

C’est pourquoi Israël s’entête dans son effort pour rendre l’illusion réelle et le frauduleux légal; c’est pourquoi Israël poursuit et poursuivra jusqu’au bout sa guerre idéologique pour normaliser l’anormal en Palestine.

8 juin 2023 – The Palestine Chronical – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet