Face à la souffrance des Palestiniennes, les féministes restent muettes

17 novembre 2023 - La nuit dernière, la famille Al-Rifi, qui a fui la ville de Gaza, a subi des bombardements israéliens. De nombreux membres ont été blessés et au moins 15 ont été tués. Environ 1,5 million de personnes sont déplacées à Gaza et se réfugient dans des écoles, des hôpitaux, des mosquées, des églises et des bâtiments publics, alors que les forces coloniales israéliennes continuent de bombarder l'enclave assiégée. A cette date, plus de 12 000 Palestiniens ont été tués par les frappes aériennes israéliennes, dont au moins 5000 enfants. Des milliers de personnes sont toujours portées disparues sous les décombres. Le ministère de la santé de Gaza a cessé de compter les victimes car le système de santé s'est effondré - Photo : Mohammed Zaanoun/Activestills

Par Afshan Khan

Il y a quelques mois, j’ai donné naissance à un bébé par césarienne faite en urgence. La simple idée que mon corps soit découpé dans une salle d’opération me terrifiait. Lors d’une césarienne, sept couches distinctes de l’abdomen d’une femme sont découpées.

Une fois les effets de l’anesthésie dissipés, je ne pouvais que penser à l’incroyable courage d’une femme qui envisageait d’avoir un autre enfant après avoir enduré une douleur aussi atroce. Pendant des mois, je ne me suis pas sentie dans mon propre corps.

Après une césarienne, les médecins prescrivent des multivitamines, des analgésiques et d’autres médicaments pour prévenir les infections. Le soulagement de la douleur est crucial, non seulement pour réduire la douleur, bien sûr, mais aussi parce que la mère doit allaiter son bébé et qu’elle doit être éveillée et alerte.

Malgré ces médicaments, j’ai été confrontée à deux types d’infections qui m’ont obligée à me rendre fréquemment à l’hôpital.

Bref, ce fut une expérience pénible et je n’ai pas pu profiter de la joie d’être une nouvelle mère, ce dont je rêvais depuis longtemps. Aujourd’hui, lorsque j’entends parler de femmes de Gaza qui subissent des césariennes sans anesthésie, mon cœur et mon âme tremblent.

Les femmes palestiniennes de Gaza ne sont pas seulement confrontées à des difficultés médicales, elles doivent aussi faire face à la famine et au manque de vêtements chauds et adéquats au cours de l’hiver rigoureux qui sévit dans l’enclave.

Nous ne pouvons imaginer les souffrances physiques et psychologiques qu’elles endurent. La question cruciale est la suivante : qui est responsable de cette situation et qui fait quoi que ce soit pour arrêter le génocide ?

Où sont nos féministes ? Le premier droit des Palestiniennes n’est-il pas le droit à la vie ?

Et surtout, je crois, où sont les féministes qui prétendent défendre toutes les femmes victimes de discrimination ?

Le terme « discrimination » rend à peine compte de l’ampleur de ce que les femmes de Gaza et du reste de la Palestine doivent endurer en conséquence directe de l’occupation et du siège israéliens.

Le mois dernier, j’étais censée présenter un exposé sur le féminisme, et j’ai été exaspérée de penser que les questions défendues par les féministes semblent dénuées de sens lorsqu’elles ne traitent pas ou ne considèrent pas toutes les femmes comme des égales.

Pourquoi les vraies questions existentielles sont-elles absentes de leur discours ? Le génocide brutal en cours à Gaza, qui dure depuis plus de cent jours (précédé par 75 ans de « génocide lent »), met en lumière le silence des féministes, y compris celles des départements d’ « études de genre » et les militantes autoproclamées des droits de la femme.

Il est scandaleux qu’elles restent silencieuses face à de telles atrocités.

Cependant, il est décourageant de constater que de nombreuses soi-disant féministes font du bruit sur des questions telles que le « foulard », mais restent silencieuses lorsqu’il s’agit de l’oppression coloniale israélienne infligée aux Palestiniens.

Ce militantisme sélectif révèle un parti pris à l’encontre des femmes musulmanes, perpétuant un discours qui les considère comme opprimées uniquement par « leurs propres hommes », les hommes musulmans.

Nous avons vu des féministes autoproclamées applaudir des femmes brûlant leur foulard en Iran, alors qu’elles restent silencieuses lorsque des femmes musulmanes subissent l’oppression de forces non musulmanes brutales.

Le récit construit par ces féministes suggère que les femmes palestiniennes sont opprimées uniquement par les hommes palestiniens ; elles ignorent les humiliations quotidiennes infligées par l’armée la plus immorale du monde, l’IDF (les soi-disant forces de « défense » d’Israël).

Grâce aux journalistes qui risquent leur vie pour couvrir les réalités du terrain, nous pouvons voir et montrer au monde ce que les hommes palestiniens représentent : les valeurs familiales, l’amour, l’attention, l’humilité et la résilience.

Je suis tombée sur une vidéo sur Instagram où une femme raconte comment elle et d’autres femmes et petites filles ont été traitées par les forces israéliennes.

Les soldats les ont déshabillées et les ont forcées à leur remettre leurs objets de valeur, notamment leurs téléphones portables et leur argent. Elles ont été qualifiées de façon péjorative d’ « animaux », le même type de langage utilisé par le ministre israélien de la défense en octobre.

Ce type d’insultes est fréquent de la part des Israéliens dans la rue et sur les réseaux sociaux.

Selon les Nations unies, Israël a tué deux mères toutes les heures et sept femmes toutes les deux heures à Gaza au cours des derniers mois.

Le taux de fausses couches à Gaza fait de la grossesse une condamnation à mort

Des vidéos déchirantes diffusées sur les réseaux sociaux montrent les conditions épouvantables dans lesquelles vivent les femmes, que ce soit dans des abris de fortune ou dans les décombres des maisons détruites par les bombes israéliennes.

Certaines d’entre elles vivent en sachant que les corps de leurs proches gisent sous les décombres, à quelques mètres de là.

Si les statistiques traduisent la gravité de la situation, il est essentiel de se rappeler que les Palestiniens ne sont pas que des chiffres ; ce sont de vraies personnes comme vous et moi ; des hommes, des enfants et des femmes, qui souffrent tous d’horreurs indicibles.

Nous devons regarder au-delà des données et penser aux femmes qui ne sont pas prises en compte dans les mises à jour quotidiennes, et les considérer comme nos sœurs, et le penser vraiment.

N’oublions pas non plus que nombre d’entre elles ont perdu leur fils, leur fille, leur père, leur mère, leur mari et peut-être même tous les membres de leur famille proche et élargie dans des circonstances épouvantables.

Il est absurde d’attendre des féministes occidentales, qui ont été – ironiquement – paternalistes dans leur ton et n’ont pas de place pour des voix diverses, qu’elles parlent au nom des femmes de Gaza.

Ce qui est vraiment décevant, cependant, c’est que les féministes non occidentales qui ont lutté pour faire entendre leur propre voix ne se sont pas exprimées contre le génocide qui se déroule à Gaza en temps réel sur les médias sociaux.

Où sont les féministes multiculturelles, postcoloniales et du tiers-monde ? Combien de souffrance et d’humiliation les femmes palestiniennes de Gaza devront-elles endurer avant que les soi-disant « féministes » ne se réveillent et ne remettent en question l’occupation coloniale ?

7 février 2024 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine