Il faut abroger la résolution 181 de l’ONU : la partition de la Palestine a été une grave erreur

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École de fortune ouverte pour les enfants palestiniens pendant la Nakba de 1948 - Photo : Wikicommons

Par Tony Greenstein

On pouvait comprendre pourquoi, le 29 novembre 1947, les Nations Unies (ONU) adoptaient la Résolution 181, plan de partage de la Palestine pour créer un état juif. Au lendemain de l’Holocauste, le sentiment qu’il devait y avoir une forme de compensation pour les juifs était largement partagé, même si c’était aux dépends de ceux qui n’avaient rien à voir avec l’Holocauste.

Presque trois quarts de siècle plus tard, il est évident que c’était une épouvantable erreur. Avant même la création de l’état d’Israël, environ 300 000 Palestiniens avaient été expulsés. Depuis lors, Israël a mené des guerres préventives contre tous ses voisins, mais, surtout, il a fait la guerre aux Palestiniens qui sont restés en Israël et ceux qui se sont retrouvés sous sa domination lorsqu’il a occupé la partie de la Palestine qu’il n’avait pas réussi à saisir en 1948, à savoir la Cisjordanie et la Bande de Gaza.

Le temps est venu pour l’ONU de reconnaître que la Résolution 181 fut une grave erreur et de l’abroger et avec elle la légitimité d’Israël.

L’assassinat ciblé de la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh par Israël, puis l’attaque par la police de son cortège funéraire et le refus impudent d’Israël de même ouvrir une enquête criminelle devraient être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Quand on relie ces évènements au nettoyage ethnique continu des Palestiniens par Israël, le dernier en date étant Masafer Yatta, une question simple se pose à nous : Israël peut-il, en tant qu’état juif, jamais vivre en paix avec les Palestiniens ? ou bien Israël est-il voué à n’avoir pour seuls amis au Moyen-Orient que des despotes arabes ?

Depuis plus de cinquante ans, du Plan Roger de 1969 au Plan de Paix de John Kerry en passant par les Accords d’Oslo, Israël a clairement montré qu’il préfère un Grand Israël à un règlement pacifique.

Même à l’intérieur des frontières de 1948, Israël a été incapable d’accorder une réelle égalité à ses propres citoyens palestiniens. Même aujourd’hui, il continue de voler leur terre et poursuit une politique de colonisation interne, qu’il appelle « judaïsation ». En quoi la judaïsation est-elle différente de la politique d’aryanisation de l’Allemagne nazie ?

La Loi sur l’État Nation Juif de 2018 n’a fait que codifier des pratiques existantes, rendant explicite ce qui a toujours été implicite. En vertu de cette loi, « l’implantation juive », à savoir la colonisation de davantage de terre arabe, est une « valeur nationale ». Cette même loi affirme clairement que seuls les juifs sont des nationaux de l’état israélien. Les Palestiniens, dont les citoyens arabes, ne sont que des invités tout au plus tolérés.

Israël est officiellement un état d’apartheid, et selon le droit international, l’apartheid constitue un crime. L’ONU n’a pas d’autre choix que de résilier la Résolution 181. Il est également évident qu’un état juif et un état démocratique s’excluent mutuellement.

Imaginons un instant que le gouvernement britannique ait une politique de dilution de la population noire de Londres en y implantant des Britanniques blancs. Celle-ci serait rejetée d’emblée comme étant raciste, et pourtant en Israël, c’est la norme.

Comment peut-on expliquer que la moitié des villages bédouins du Néguev ne sont pas « reconnus », ce qui signifie qu’ils ne disposent d’aucun des services de base dont jouissent les colonies juives, tels que des écoles publiques, de l’eau courante ou de l’électricité ? Il n’existe aucun bureau de vote dans ces villages. Peu importe depuis combien de temps les résidents y vivent, ils sont considérés comme des squatters.

Al-Arakhib a été détruit plus de 200 fois. Umm Al-Hiran a été détruit en 2018 pour faire place à la ville exclusivement juive de Hiran. L’état israélien a refusé d’envisager qu’une ville juive puisse coexister à côté d’un village arabe. Comme l’a exprimé Adalah : « la démolition du village bédouin d’Umm Al-Hiran et l’éviction forcée de ses résidents est un acte de racisme extrême incarnant une politique de colonisation de la terre, soutenue par la totalité du système judiciaire israélien[sic]. »

Depuis sa création, Israël, est un état anormal de colonisation de peuplement où le racisme est la norme. Benjamin Netanyahu a proclamé « Israël n’est pas un état de tous ses citoyens … Israël est l’état nation du peuple juif – et seulement cela. » Quand le député de la Knesset Bezalel Smotrich s’est adressé aux élus arabes leur disant « vous êtes ici par erreur – parce que Ben-Gurion n’a pas fini le boulot et ne vous a pas expulsés en 1948, » il a dit tout haut ce que la « gauche » sioniste dit tout bas.

La question de savoir si dans un état ethno-nationaliste juif, les Palestiniens pourront un jour vivre sur un pied d’égalité est une question que les femmes et hommes politiques occidentaux préfèrent éviter. Les questions les plus simples et les plus élémentaires, lorsqu’il s’agit d’Israël, sont trop difficiles pour eux. Au lieu de cela, ils répliquent en criant à « l’antisémitisme ».

La colonisation sioniste de la Palestine a commencé en 1882, près de 60 ans avant l‘Holocauste. Aujourd’hui le mouvement sioniste utilise l’Holocauste comme arme contre ses détracteurs. A l’époque, cependant, le mouvement sioniste voyait l’Holocauste comme une diversion par rapport à son objectif principal – la construction d’un état juif.

La presse juive de Palestine doutait même de la réalité, de l’Holocauste, citant des rapports de la presse nazie pour réfuter les déclarations selon lesquelles les juifs se faisaient exterminer : « Il est probable que même Goebbels dans ses plans les plus fous n’aurait pu susciter le genre de traitement que la presse hébraïque accordait à l’information sur l’Holocauste. »

Dans une lettre au Président Roosevelt, le dirigeant de l’American Zionism, Stephen Wise, reconnut : « il est indéniable que deux millions de civils juifs ont été immolés. Je reçois depuis quelques mois des télégrammes et des avis clandestins, parlant de ces choses. J’ai réussi, avec l’aide des dirigeants d’autres organisations juives, à faire en sorte qu’ils (les télégrammes sur le meurtre de masse systématique) n’apparaissent pas dans la presse. »

Yoav Gelber, professeur d’histoire à l’Université d’Haïfa, a remarqué : « La bataille sur le front juif pour la solution sioniste a tenu à l’écart les sionistes et le Yishouv, même avant la guerre, des tentatives et stratégies de sauvetage non liées à Eretz israël. Comme en témoigne le refus de Weizmann de participer à la Conférence d’Évian en 1938. »

Noah Lucas a commenté : « Lorsque l’Holocauste européen a surgi, Ben-Gourion l’a vu comme une occasion décisive pour le sionisme … En situation de paix … le sionisme ne pourrait déplacer la masse des juifs du monde entier. Les forces déchaînées par Hitler dans toute leur horreur doivent être exploitées à l’avantage du sionisme … A la fin de 1942 … la bataille pour un état juif est devenue la principale préoccupation du mouvement. »

Albert Einstein a clairement prédit ce qui se passerait si un état juif devait être institué. Dans une lettre du 21 janvier 1946, il a déclaré: « Je suis favorable à ce que l’on fasse de la Palestine un foyer national juif mais pas en tant qu’état séparé. Il me semble que c’est une question de simple bon sens que l’on ne puisse demander à ce que l’on nous accorde de régner sur la Palestine alors que les deux tiers de la population ne sont pas juifs. »

Lors de son témoignage le 11 octobre 1946, devant l’Anglo-American Committee of Inquiry, Einstein a confirmé : « Je n’ai jamais été en faveur d’un état … Je ne comprends pas pourquoi c’est nécessaire. C’est source de beaucoup de difficultés et lié à une étroitesse d’esprit. Je suis convaincu que c’est mauvais. »

Également en 1946, lors d’un discours au National Labor Committee for Palestine, Einstein a exprimé sa crainte du tort qu’un état sioniste ferait au judaïsme : « Je redoute le dommage interne que subira le judaïsme, notamment en raison du développement d’un nationalisme étroit au sein de nos propres rangs… un retour à une nation au sens politique du terme équivaudrait à tourner le dos à la spiritualisation de notre communauté que nous devons au génie de nos prophètes ».

Il n’était guère difficile de prédire quelle voie emprunterait Israël. La notion de « transfert » existait depuis aussi longtemps que le sionisme lui-même. La Palestine était une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». La Nakba était inévitable.

Tout étudiant en histoire européenne devrait savoir qu’un état juif est un retour en arrière à l’Europe du Moyen Age. La Révolution française de 1789 a ouvert la voie à l’émancipation juive et à la séparation de l’état et de la religion. Clermont Tonnerre a déclaré à l’Assemblée Constituante : « Nous devons tout refuser aux juifs en tant que nation et tout leur accorder en tant qu’individus. » Le sionisme haïssait l’émancipation juive parce qu’elle conduirait à l’assimilation. C’est la raison pour laquelle les sionistes ont salué les lois de Nuremberg de 1935.

Dans l’Europe des années 1940, les états ethno-nationalistes chrétiens – la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie et la Croatie – sont devenus les abattoirs pour juifs. La Croatie a été le seul état sous occupation nazie à créer son propre camp d’extermination, Jasenovac, destiné aux Serbes, aux juifs et aux musulmans. La Slovaquie a été le premier état à déporter ses juifs à Auschwitz. Dans un état où les droits civils et politiques dépendent de l’adhésion à une religion particulière, ceux d’une autre confession religieuse ne peuvent que souffrir.

Israël est né dans la violence et la terreur. Le Plan de Partage de l’ONU prévoyait que Jérusalem soit administrée sous régime international. Ceci était inacceptable pour les sionistes. Lorsque le médiateur onusien, le comte Folke Bernadotte, qui avait sauvé des nazis plus de juifs que la totalité du mouvement sioniste ne l’avait fait, se rendit à Jérusalem en septembre 1948, il fut assassiné.

La députée de la Knesset Geulah Cohen du groupe Lehi, celui qui a exécuté l’assassinat, répondit lorsqu’on lui demanda si elle soutenait encore l’assassinat de Bernadotte : « La question ne se pose pas. Nous aurions perdu Jérusalem. »

Ce qui se passe aujourd’hui en Israël est le produit d’un état juif. La violence sectaire et la poursuite de la Nakba sont parties intégrantes de l’état lui-même. Israël est un état failli dont les seules valeurs sont le culte du militarisme juif. Il est temps qu’il disparaisse.

21 mai 2022 – Middle East Monitor – Traduction: Chronique de Palestine – MJB