La famine est une «mort lente et très cruelle»

L'ensemble de la population de Gaza est confrontée à une crise alimentaire aiguë, selon un nouveau rapport de la classification intégrée des phases de sécurité alimentaire (IPC), commandité par les Nations unies, ce qui fait de la pénurie alimentaire à Gaza la pire que le groupe d'étude ait jamais connue. Le rapport de l'IPC publié fin décembre 2023, révèle que les 2,2 millions d'habitants de Gaza se trouvent dans ce que l'IPC qualifie de phase 3 de l'insécurité alimentaire, ou niveau de « crise », dans lequel les ménages sont confrontés à des problèmes de pénurie alimentaire aiguë, ou à un niveau plus élevé. Il s'agit du nombre le plus élevé de personnes à ce niveau d'insécurité alimentaire ou pire que l'IPC ait jamais observé, a déclaré le groupe - Photo : Abed Zagout via truthout.org

Par Simon Speakman Cordall

Alors que des famines provoquées par l’homme menacent le Soudan et Gaza, Al Jazeera explique comment le corps succombe à la famine.

Les populations de Gaza et du Soudan sont confrontées à une famine d’une ampleur catastrophique, avertissent les Nations unies et les organisations humanitaires.

À Gaza, 27 personnes – dont 23 enfants – sont mortes de faim en raison de l’utilisation de la famine comme arme de guerre par Israël, selon les organismes internationaux.

Au Soudan, le Programme alimentaire mondial (PAM) reçoit déjà des rapports faisant état de personnes mourant de faim et la situation est en passe de devenir « la pire crise de la faim au monde », comme l’a indiqué un rapport des Nations unies au Conseil de sécurité en mars de cette année.

Qu’est-ce que la « famine » ?

La famine, en quelques mots, c’est lorsque le corps humain est privé de nourriture pendant si longtemps qu’il souffre et, souvent, meurt.

« C’est une mort lente et très cruelle », explique le Dr Omar Abdel-Mannan, pédiatre et neurologue britannico-égyptien qui s’est porté volontaire à Gaza. « On ne fait que dépérir ».

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Pour des raisons éthiques, les scientifiques n’ont pas été en mesure de déterminer avec précision le temps que prend la famine pour tuer. Toutefois, sur la base d’observations, on pense que le corps humain peut tenir jusqu’à trois semaines sans nourriture.

Quand une personne est-elle considérée comme affamée ?

La privation de nourriture se produit en trois étapes :

  • la première commence dès qu’un repas est sauté ;
  • la deuxième survient lors d’une période de jeûne prolongée, lorsque l’organisme se tourne vers les graisses stockées pour obtenir de l’énergie ;
  • la troisième étape, souvent fatale, survient lorsque toutes les graisses stockées ont été épuisées et que le corps se tourne vers les os et les muscles comme sources d’énergie.

Que se passe-t-il dans l’organisme ?

Dans les premiers stades, lorsque l’alimentation est refusée, le corps se nourrit d’une substance amylacée appelée glycogène, qui est stockée dans le foie.

Dans un premier temps, le corps s’appuie sur le glycogène, avant de se tourner vers les graisses, puis vers les muscles, ce qui entraîne un rétrécissement du corps et donne à la personne affamée un aspect décharné, aux joues creuses.

Le cerveau étant privé de l’énergie dont il a besoin pour fonctionner, la personne affamée est irritable, a des sautes d’humeur et a du mal à se concentrer.

« En fait, le corps ralentit, car il puise de l’énergie dans d’autres organes pour maintenir le cerveau et le cœur en activité », explique M. Abdel-Mannan.

La fonction cardiaque finira également par être affectée, avec une baisse correspondante de la pression artérielle et du pouls. Le cœur d’un adulte pèse généralement 300 g, mais les registres montrent qu’il peut se réduire à 140 g dans les derniers stades de la famine.

À terme, si aucune infection ne s’installe dans l’organisme, le cœur cessera de fonctionner.

L’inanition provoque généralement un gonflement du ventre, ainsi que des nausées et des vomissements.

« Chez les enfants, le marasme et le kwashiorkor [grave carence en protéines entraînant une rétention d’eau et un gonflement de l’abdomen] sont les affections aiguës les plus courantes dues à la famine/malnutrition et nécessitent une prise en charge spécialisée pour éviter une mortalité précoce », a déclaré M. Abdel-Mannan.

Les muscles du tube digestif de la personne affamée sont parfois affectés et celle-ci peut perdre la capacité de pousser les aliments dans l’intestin. D’autres complications potentielles, souvent graves, peuvent survenir, comme la pancréatite.

Comme le système immunitaire s’effondre, la plupart des personnes affamées succombent à des infections secondaires comme la gastro-entérite, où le corps expulse ce qui reste de nourriture, plutôt que de mourir de faim, selon Abdel-Mannan.

L’absence de graisse et de cholestérol provenant des aliments affecte la production de testostérone, d’œstrogène et d’hormones thyroïdiennes.

Ces hormones sont nécessaires à la solidité des os et à la régulation des cycles de l’organisme. Sans elles, les os se fragilisent, la menstruation peut être affectée et les risques d’hypothermie augmentent. Des cheveux cassants ou une perte totale de cheveux peuvent également survenir.

Comment meurt-on de faim ? La douleur de la faim, à laquelle on peut s’attendre, est relativement brève avant que l’organisme ne renforce ses défenses. Cependant, la douleur causée par la faim peut entraîner une détresse physique et psychologique aiguë à court terme.

Les dommages causés au corps humain sont souvent si graves que le fait de donner à une personne affamée une trop grande quantité de nourriture ou de liquide au cours des quatre à sept premiers jours peut entraîner une accélération de la production de glycogène, de graisse et de protéines dans les cellules, ce qui peut s’avérer fatal.

« Le syndrome de réalimentation (lorsque de la nourriture est soudainement disponible) peut également tuer les patients », a déclaré M. Abdel-Mannan. « La nourriture doit être introduite progressivement et sous contrôle médical ».

Même si la réalimentation réussit, les survivants de la famine peuvent en ressentir les effets physiques et psychologiques pendant toute leur vie.

Chez les nourrissons, « du moins ceux âgés de moins de deux ans, la privation de nourriture peut limiter le développement du cerveau, empêchant les enfants d’atteindre leur plein potentiel cognitif et laissant également des effets négatifs durables sur la santé future », a déclaré M. Abdel-Mannan.

Pourquoi cela se produit-il ?

À Gaza comme au Soudan, une partie belligérante est accusée d’empêcher la population d’accéder à la nourriture dans le cadre de son arsenal de guerre.

Israël limite l’aide à quelque 2,3 millions de Palestiniens pris au piège et assiégés à Gaza, poussant 1,1 million de personnes dans une « famine catastrophique », 300 000 personnes prises au piège dans le nord de Gaza étant confrontées à la famine.

Au Soudan, les factions en guerre – l’armée nationale et les « forces paramilitaires de soutien rapide » – bloquent l’acheminement de l’aide aux personnes qui vivent dans des zones qu’elles ne contrôlent pas, ce qui fait que près de 18 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, selon le PAM.

27 mars 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau