Il est temps de reconnaître officiellement qu’Israël est un État d’apartheid

Photo : Emil Salman
Travailleurs palestiniens d'Hébron au barrage militaire de Tarqumiya - Photo : Emil Salman

Par Kamel Hawwash

Personne ne devrait lancer des accusations de racisme à la légère, car si elles sont avérées, il faut prendre des mesures rapidement. Le mouvement syndical en Grande Bretagne, qui représente plus de six millions de travailleurs britanniques, est récemment parvenu à la conclusion qu’Israël est un État raciste qui pratique l’apartheid à l’encontre du peuple palestinien.

Le Trade Union Congress (TUC) a adopté la motion 66 – “Solidarité avec la Palestine et résistance à l’annexion” – qui identifie l’annexion comme ” une autre étape importante dans la création d’un système d’apartheid”.

Le TUC a décidé “d’envoyer une lettre au premier ministre exigeant que le Royaume Uni prenne des mesures fermes et décisives, y compris des sanctions, pour obtenir qu’Israël arrête ou annule l’annexion illégale, mette fin à l’occupation de la Cisjordanie et au blocus de Gaza, et respecte le droit au retour des réfugiés palestiniens. En outre, il s’est engagé à « communiquer sa position à toutes les autres centrales syndicales nationales membres des Confédérations européennes et internationales et à les exhorter à se joindre à la campagne internationale pour arrêter l’annexion et mettre fin à l’apartheid. »

Les Palestiniens et leurs défenseurs en Grande Bretagne et au-delà ont salué cette étape importante dans la lutte pour dénoncer le racisme israélien et sa propre version de l’apartheid. La « start-up nation » auto proclamée a fait œuvre de pionnière en concevant et en appliquant des politiques et des lois discriminatoires envers les Palestiniens résidant en Palestine historique mais aussi les Palestiniens en exil depuis sa création dans leur patrie en 1948.

Adalah, le Centre juridique pour la défense des droits de la minorité arabe en Israël, a répertorié plus de 65 lois israéliennes qui exercent une discrimination directe ou indirecte à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël et/ou des résidents palestiniens des Territoires Palestiniens Occupés (TPO) au motif qu’ils ne sont pas juifs. Ces lois limitent les droits des Palestiniens dans tous les domaines de la vie, allant des droits à la citoyenneté au droit à la participation politique, aux droits à la terre et au logement, au droit à l’éducation, aux droits culturels et linguistiques, aux droits religieux, et au droit à une procédure régulière lors d’une détention.

Dans chacun de ces domaines il privilégie les juifs au détriment des Palestiniens et des autres habitants non-juifs de la terre qu’il contrôle depuis 1967. Y compris la Bande de Gaza, dont il continue, malgré les proclamations israéliennes selon lesquelles il s’en est retiré, de contrôler les frontières, l’espace aérien et les eaux territoriales ; qu’il maintient en État de siège et dont il enregistre toutes les naissances et tous les décès.

De plus, Israël interdit aux réfugiés palestiniens de retourner sur leur terre et dans leur foyer en violation de la Résolution 194 de l’ONU qui leur donne le droit au retour. Il a accueilli des centaines de juifs éthiopiens sans aucun lien avec la Palestine historique, tout en refusant aux réfugiés palestiniens, au nombre maintenant de 5 millions, le droit légitime de retourner là d’où ils ou leurs parents ou grands-parents étaient originaires.

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Ce que ces juifs, qui maintenant quittent l’Éthiopie pour s’installer en Israël, devraient comprendre c’est la nature raciste de l’État qu’ils considèrent maintenant comme « chez eux » ; son racisme n’est pas seulement dirigé contre les Palestiniens, mais aussi contre les « mauvais » types de juifs.

Afin de maintenir la proportion de juifs noirs à un certain niveau, un rapport sur l’injection de Depo-Provera aux femmes éthiopiennes en a conclu qu’il s’agissait « d’une méthode pour réduire le nombre des naissances dans une communauté noire et majoritairement pauvre ? » Les juifs éthiopiens ont aussi été en butte à de la discrimination et à un manque d’acceptation, ce qui les a fait descendre dans la rue en signe de protestation.

C’est toutefois, contre les Palestiniens qu’Israël réserve ses politiques les plus discriminatoires. Cela justifie-t-il qu’il soit étiqueté comme État d’apartheid ?

La réponse la plus complète et indépendante à cette question se trouve dans un rapport commandé par la Commission Économique et Sociale pour l’Asie Occidentale de l’ONU (CESAC) en 2017, qui a conclu que, « Israël a établi un régime d’apartheid qui domine le peuple palestinien dans son ensemble. » Conscient – comme je le suis – de la gravité d’une telle accusation, les auteurs du rapport ont déclaré que, « des preuves disponibles montrent au-delà de tout doute raisonnable qu’Israël est coupable de politiques et de pratiques qui constituent le crime d’apartheid selon la définition qu’en donnent les instruments du droit international. »

Ils expliquent que l’utilisation de l’expression « crime d’apartheid pour couvrir des politiques et des pratiques de discrimination et ségrégation raciales de caractère analogue à celles pratiquées en Afrique du Sud, s’appliquera à … des actes inhumains commis dans le but d’établir et de maintenir la domination par un groupe racial de personnes sur n’importe quel autre groupe racial de personnes et de les opprimer systématiquement. »

Ceux qui soutiennent Israël, en dépit de ses crimes, rempliront la section commentaires sous cet article arguant que le rapport a été retiré du site de la Commission Économique et Sociale pour l’Asie Occidentale de l’ONU par le secrétaire général des Nations Unies sous la pression d’Israël et des E.U. Cependant, le Dr Rina Khalaf, qui a commandé le rapport lorsqu’elle était à la tête de la CESAC et a démissionné après avoir refusé de céder à la pression exercée sur elle pour qu’elle le retire elle-même, a récemment confirmé que c’était toujours un document valide des Nations Unies, et que le problème était lié au processus plutôt qu’au contenu.

Il est aussi important de signaler que le rapport a été examiné par des pairs, universitaires indépendants, comme l’est toute revue universitaire reconnue ou tout rapport important avant publication.

Si les professeurs Richard Falk et Virginia Tilley, les auteurs du rapport de la CESAC, pensaient qu’Israël pratiquait l’apartheid en 2017, Israël a de fait confirmé que ses politiques étaient racistes quand son parlement, la Knesset, a adopté la Loi de l’État Nation en 2018. Cette loi stipule que « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est la seule prérogative du peuple juif. » Ce droit ne s’applique à aucun autre groupe en Israël, État qui n’a toujours pas défini ses frontières.

D’un trait de plume, un tel droit a été nié à la moitié de ceux qui habitent sur la terre contrôlée par Israël : ses citoyens palestiniens, ceux qui sont assiégés à Gaza ; et ceux qui sont sous occupation en Cisjordanie, Jérusalem-Est y compris.

La loi a aussi scandalisé les Druzes qui, contrairement aux palestiniens, citoyens comme eux de l’état d’Israël, servent dans l’armée israélienne. En 2018 il a été clairement démontré que leur État ne les considère pas comme les égaux des juifs. Le statut de la langue arabe a aussi été rétrogradé de langue officielle de l’État à langue n’ayant qu’un « statut spécial » au sein de l’État.

En Israël, contrairement à tout autre pays, à ma connaissance, des Commissions d’Admission dans des communautés qui comprennent jusqu’à 400 foyers sont « autorisées par le droit israélien à rejeter des demandes de résidence se basant sur les critères ‘d’adéquation sociale’ et de ‘tissus culturel et social’ de la ville. » En d’autres termes, les résidents juifs qui siègent dans de telles commissions peuvent refuser, et le font, la permission à des citoyens arabes de s’installer dans le secteur.

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J’ai été amené à écrire cet article parce qu’un tribunal israélien a cité la Loi sur l’État Nation pour rejeter une plainte dans laquelle des parents d’enfants palestiniens, tous citoyens d’Israël, réclamaient que le conseil de Karmiel soit finance une école arabophone, soit paie les frais de transport pour que les enfants puissent fréquenter une école appropriée dans une ville voisine. Le président du tribunal de première instance de Krayot, Yaniv Luzon, a écrit dans son jugement, que Karmiel, ville juive avait été créée pour établir une colonie juive en Galilée. »

Il a ajouté qu’ « ouvrir une école arabophone …. [et] financer les transports scolaires pour des élèves arabes …. pourraient modifier l’équilibre démographique et endommager le caractère de la ville. » Actuellement, environ 6 pour cent de la population de la ville est arabe, c’est donc très peu probable.

L’une des sept raisons qu’il a invoquée pour rejeter la plainte était la Section 7 de la Loi sur l’État Nation, qui stipule que , « L’État considère le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale et œuvrera pour encourager et promouvoir son établissement et son renforcement » et que « le principe de l’implantation juive en tant que valeur nationale est inscrite dans la loi fondamentale, et constitue par conséquent un facteur ‘approprié dominant’ qui devrait être pris en considération dans le cadre de la prise de décisions municipales, parmi lesquelles la construction d’écoles et la politique de remboursement des frais de déplacement hors de la ville.”

Commentant la décision, l’un des parents dont les enfants sont touchés par la décision, Qassem Bakri, a déclaré : « Ce qui est terrible, c’est l’explication. ‘C’est une ville juive’ comme s’il n’y avait pas d’autres résidents à Karmiel. Il y a des résidents de première, et de seconde classe. C’est le fruit véreux du premier ministre Benjamin Netanyahu et de la Loi sur l’État Nation.”

S’il a été estimé en 2017 qu’Israël était un État d’apartheid, alors l’adoption par la suite de la Loi sur l’État Nation comme Loi Fondamentale et son utilisation pour consacrer la discrimination au sein de l’État et de ses institutions devraient suffire à dessiller les yeux des sceptiques et leur faire voir que c’est en effet un État d’apartheid. Il n’est pas nécessaire d’en débattre davantage, et si étiqueter Israël comme État d’apartheid rend certains mal à l’aise, c’est leur problème, pas celui des chercheurs qui ont étudié ses politiques ou celui des Palestiniens qui subissent l’apartheid quotidiennement.

Si vous n’êtes pas encore tout à fait convaincu, allez alors à Hébron et voyez et respirez l’apartheid par vous-même.

Lorsque la Loi sur l’État Nation a été adoptée, j’ai demandé si le monde allait réagir, mais il ne l’a pas fait. Toutefois, par le biais de sa motion, le TUC britannique a ouvert la voie en reconnaissant et en dénonçant Israël en tant qu’État qui pratique l’apartheid. C’est une initiative d’une importance capitale, qui devrait encourager d’autres à reconnaître publiquement et à accepter les éléments de preuve accumulés. Puis, ensuite à prendre des mesures appropriées. Il n’est jamais trop tard, mais le plus tôt sera le mieux.

4 décembre 2020 – Middle East Monitor – Traduction: Chronique de Palestine – MJB