Meurtre de Nahel : l’Histoire nous enseigne qu’il n’y a guère de justice à attendre

« Marche blanche » à Nanterre, le jeudi 29 juin 2023 - Photo : via Atlantico.fr

Par Nabila Ramdani

Le meurtre de Nanterre est une tragédie, mais l’histoire de la France montre que la famille de la victime n’obtiendra aucune justice. Nahel M. n’est que la dernière des victimes d’une longue série d’assassinats ignobles.

La mort d’un jeune français d’origine algérienne, abattu par la police à Nanterre, a de profondes résonances historiques pour ceux d’entre nous qui sont d’origine arabe nord-africaine.

Si la manière dont Nahel M, âgé de 17 ans, a trouvé la mort à la suite de ce qui était censé être un banal contrôle routier, mardi matin, suscite la stupeur et la colère, il n’y a cependant guère de surprise.

L’un des policiers, qui a depuis fait l’objet d’une enquête pour meurtre, aurait été filmé et entendu en train de dire « Je vais te mettre une balle dans la tête », tandis qu’un autre aurait crié « Tire-lui dessus ! ».

Il y a eu ensuite une forte détonation. Après avoir reçu une balle mortelle dans la poitrine à bout portant, Nahel s’est brièvement éloigné de ses bourreaux avant de s’effondrer au volant. L’avocat de sa famille a qualifié ce qui s’est passé de meurtre « de sang-froid ».

Si un passant n’avait pas filmé ce qui semble être le crime, l’excuse initiale de la police rapportée au quartier général – « Il a essayé de nous écraser » – aurait pu fournir toute la justification dont le meurtrier présumé avait besoin.

Accuser la victime et tenter de la criminaliser est certainement une tactique classique. C’est exactement ce qui se passait à l’époque où Nanterre abritait le plus grand bidonville de France, avec 10 000 travailleurs immigrés venus d’Afrique du Nord pendant la guerre d’indépendance algérienne.

La plupart des jeunes hommes rassemblés dans des camps sans électricité ni eau courante entre 1956 et 1962, étaient considérés par l’État répressif français comme un ennemi intérieur.

Qualifiés d’ « insurgés », ils ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires, de mauvais traitements avec blessures et de tortures, en particulier par la police de Paris, dont la réputation d’extrême brutalité n’est plus à faire.

Elle a atteint le pire en octobre 1961, lorsque des brigades anti-émeutes ont massacré de sang-froid jusqu’à 300 manifestants algériens lors d’une manifestation pacifique contre la guerre.

Les victimes ont été frappées à coups de crosse, abattues et tuées dans les postes de police ou pendues dans les bois avoisinants. Nombre d’entre elles ont également été jetées d’un pont dans la Seine et abandonnées à la noyade.

Les dépouilles se sont ensuite échouées à des kilomètres à la ronde, à proximité de la cathédrale Notre-Dame et de la tour Eiffel, jusqu’à la ville de Nanterre et au-delà.

Ces crimes ont été couverts pendant des décennies et, conformément à la manière dont Paris traite traditionnellement ses Algériens, personne n’a jamais été traduit en justice pour ces faits.

Le temps passe, mais il ne fait aucun doute que l’héritage de ces atrocités affecte l’atmosphère fébrile que nous trouvons en France aujourd’hui.

La Cinquième République elle-même a été créée en 1958 pour répondre dans l’urgence au conflit algérien, alors que la France était au bord de la guerre civile. Quelques années plus tard, de nombreux policiers parisiens en service ont rejoint l’Organisation de l’armée secrète (OAS), un groupe terroriste meurtrier déterminé à conserver l’Algérie, joyau de la couronne impériale de la France.

L’OAS détestait particulièrement les musulmans d’Afrique du Nord, surtout lorsque la France a perdu la guerre et que des centaines de milliers de colons européens expropriés, connus sous le nom de Pieds-Noirs, ont dû rentrer d’Algérie dans la désolation.

Nombre d’entre eux ont contribué à fonder le Front national, parti notoirement xénophobe, aujourd’hui connu sous le nom de Rassemblement national, et dont la force ne cesse de croître.

Sa candidate désignée à l’élection présidentielle, Marine Le Pen, est arrivée deuxième derrière Emmanuel Macron lors des deux dernières élections. Elle reste persuadée qu’elle peut devenir chef de l’État grâce à un programme anti-immigration, renforcé par un engagement en faveur d’une politique de maintien de l’ordre très restrictive.

Cela implique qu’elle soutient la police à chaque fois qu’elle en a l’occasion, même lorsque ses excès semblent indéfendables. Après la fusillade, Mme Le Pen a déclaré que le policier en question avait droit à la « présomption d’innocence ».

M. Macron a condamné les circonstances « inexplicables » et « inexcusables » entourant la mort du jeune Nahel. Pendant ce temps, les politiciens d’extrême droite se sont focalisés sur les barricades, les bâtiments et les voitures en feu dans les villes où des émeutes ont éclaté depuis la fusillade.

Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’est à son tour engagé à envoyer des milliers de policiers paramilitaires supplémentaires dans ces zones, afin de tenter de mettre fin aux troubles, évoquant ainsi les mesures de « l’état d’urgence » basées sur la législation de la guerre d’Algérie datant de 1955.

C’est traditionnellement la réaction automatique de toutes les autorités françaises lorsqu’elles sont confrontées au mécontentement lié à l’Algérie, en particulier dans des villes comme Nanterre.

Les bidonvilles s’y sont transformés en mornes cités HLM, où les descendants des Algériens de la période de la guerre d’indépendance continuent de subir des discriminations dans tous les domaines de la vie, du logement à l’emploi.

Il y a également des plaintes constantes concernant le profilage racial de la part de la police, ce qui signifie que les Arabes à la peau brune et les Noirs font l’objet de fouilles uniquement en raison de leur apparence.

S’écarter de policiers armés devient ainsi un fait de la vie quotidienne, quelle que soit la raison présumée d’un contrôle de police.

Dans ces conditions, Nahel n’est que la dernière victime d’une longue série de meurtres ignobles qui ont caractérisé l’histoire troublée de la France moderne, et en particulier les relations tendues entre les Français et quelque deux millions de leurs concitoyens conservant un lien toujours fort avec l’Algérie.

29 juin 2023 – Inews -Traduction : Chronique de Palestine