Israël et la guerre OTAN-Russie : duplicité et dissimulation

Mariupol, République populaire de Donetsk - 13 Juin 2022 : Un militaire à l'usine sidérurgique Azovstal lors d'une visite de presse organisée par le ministère russe de la Défense pour les médias russes et étrangers - Photo : Vladimir Gerdo/TASS

Par Ramzy Baroud

Depuis toute une année, Israël a eu du mal à formuler une position claire et définitive concernant la guerre de l’OTAN contre la Russie. La raison de cette position israélienne apparemment confuse est que l’état sioniste risque d’y « laisser des plumes », quelle que soit l’issue du conflit. Mais Israël peut-il être considéré comme un élément neutre ?

L’état sioniste abrite près d’un million de citoyens russophones, dont un tiers est arrivé d’Ukraine peu avant et immédiatement après l’effondrement de l’Union soviétique. Les Israéliens qui conservent de profondes racines culturelles et linguistiques dans leur patrie d’origine, représentent un groupe d’intérêt essentiel dans la politique israélienne si divisée.

Après des années de marginalisation suite à leur arrivée en Israël, essentiellement dans les années 1990, ils ont réussi à créer leurs propres partis et à exercer au fil du temps une influence directe sur la politique israélienne.

Le dirigeant ultranationaliste russophone du parti d’extrême-droite Yisrael Beiteinu, Avigdor Lieberman, est le produit direct de l’influence politique croissante de ce groupe électoral.

Si certains dirigeants israéliens ont compris que Moscou détenait de nombreuses cartes importantes y compris au Moyen-Orient, d’autres étaient davantage préoccupés par l’influence des juifs russes, ukrainiens et moldaves en Israël.

Peu après le début de la guerre de l’OTAN contre la Russie, le ministre israélien des Affaires étrangères du moment, Yair Lapid, a affiché une position qui a pris de nombreux Israéliens et, bien sûr, la Russie de court. « L’attaque russe contre l’Ukraine est une violation grave de l’ordre international », a déclaré Lapid. « Israël condamne cette attaque ».

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L’ironie dans les propos de Lapid est trop palpable pour que l’on s’y arrête ; il suffit de rappeler qu’Israël a violé plus de résolutions de l’ONU traitant de « l’ordre international » que tout autre pays dans le monde.

Son occupation militaire de la Palestine est également considérée comme la plus longue de l’histoire moderne. Mais Lapid s’en fichait bien de « l’ordre international ». Son public cible était les Israéliens – environ 76 % d’entre eux étant contre la Russie et en faveur de l’Ukraine – et Washington, qui a dicté à tous ses alliés que les demi-positions sur la question étaient inacceptables.

La sous-secrétaire d’État américaine aux affaires politiques, Victoria Nuland, a averti Israël en mars dernier qu’il devait adopter une position claire sur la question et « se joindre aux sanctions financières » contre la Russie si « vous [le gouvernement de Tel Aviv] ne voulez pas devenir le dernier refuge de l’argent sale ».

Alors que des millions d’Ukrainiens ont fui leur pays, des milliers ont atterri en Israël. Dans un premier temps, la nouvelle a été accueillie favorablement par le gouvernement israélien, qui s’inquiète du phénomène alarmant de Yordim, ou fuite hors du pays de ses ressortissants.

Mais comme beaucoup de réfugiés ukrainiens n’étaient pas juifs, cela a créé un dilemme pour Israël… Le Times of Israel a rapporté le 10 mars que « des images diffusées par Channel 12 news montraient un grand nombre de personnes à l’intérieur d’un des terminaux de l’aéroport [Ben Gurion], avec de jeunes enfants dormant sur le sol et sur un carrousel à bagages, ainsi qu’une femme âgée soignée après s’être apparemment évanouie ».

En janvier dernier, le ministère israélien de l’Alya et de l’Intégration a décidé de suspendre les subventions spéciales accordées aux réfugiés ukrainiens.

Pendant ce temps, la position politique d’Israël semblait contradictoire. Alors que Lapid est resté fidèle à sa position anti-russe, le Premier ministre de l’époque, Naftali Bennett, a adopté un ton plus conciliant, se rendant à Moscou le 5 mars pour consulter le président russe Vladimir Poutine, prétendument à la demande du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy.

Plus tard, Bennet a affirmé que Zelenskyy lui avait demandé de prier Poutine la promesse de « ne pas le faire assassiner » [sic]. Bien que cette révélation faite plusieurs mois après la rencontre, ait été rejetée avec véhémence par Kiev, elle illustre l’incohérence de la politique étrangère d’Israël tout au long du conflit.

Au cours de la phase initiale de la guerre, Israël a vprétendu jouer le rôle de médiateur, proposant à plusieurs reprises d’accueillir à Jérusalem des pourparlers entre la Russie et l’Ukraine.

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Bennet voulait faire passer plusieurs messages : illustrer la capacité d’Israël à être un acteur important dans les affaires mondiales ; assurer à Moscou que Tel-Aviv reste neutre dans le confli ; justifier auprès de Washington pourquoi, en tant qu’allié majeur des États-Unis, il reste passif dans son manque de soutien direct à Kiev ; et, également, marquer un point politique, contre les Palestiniens et la communauté internationale, en voulant affirmer que Jérusalem occupée est le centre de la vie politique d’Israël.

Le stratagème israélien a échoué. C’est la Turkiye, et non Israël, qui a été choisie par les deux parties pour ce rôle.

En avril 2022, des vidéos ont commencé à apparaître sur les médias sociaux montrant des Israéliens combattant aux côtés des forces ukrainiennes. Bien qu’aucune confirmation officielle de Tel Aviv n’ait suivi, cela a signalé qu’un changement était en cours dans la position israélienne.

Celle-ci a évolué au fil des mois pour aboutir finalement à un changement majeur lorsque, en novembre, Israël aurait accordé aux membres de l’OTAN l’autorisation de fournir à l’Ukraine des armes contenant de la technologie israélienne.

En outre, le journal Haaretz a rapporté qu’Israël avait accepté d’acheter pour des millions de dollars de « matériel stratégique » pour les opérations militaires ukrainiennes. En d’autres termes, Israël avait mis fin à tout semblant de neutralité dans la guerre.

Toujours vigilante quant à la position alambiquée d’Israël, Moscou a envoyé ses propres signaux à Tel Aviv. En juillet, des responsables russes ont déclaré que Moscou envisageait de fermer la branche russe de l’Agence juive pour Israël, le principal organisme chargé de faciliter la migration des juifs vers Israël et la Palestine occupée.

Le retour de Benjamin Netanyahu au poste de Premier ministre en décembre était censé représenter un retour à la prétendue neutralité. Toutefois, le dirigeant israélien d’extrême-droite a promis, lors d’interviews accordées à CNN et à la chaîne française LCI, respectivement les 1er et 5 février, qu’il « étudierait cette question [de la fourniture à l’Ukraine du système de défense antimissile Dôme de fer] en fonction de notre intérêt national ».

Là encore, Moscou a prévenu que la Russie « considérera [les armes israéliennes en Ukraine] comme des cibles légitimes pour les forces armées russes. »

Alors que la Russie et l’Iran développaient rapidement leur coopération militaire, Israël s’est senti justifié de s’impliquer davantage.

En décembre, Voice of America a fait état de la croissance exponentielle des ventes d’armes d’Israël à l’Ukraine, en partie grâce à un accord avec la société américaine Lockheed Martin Cooperation, l’un des principaux fournisseurs d’armes américains.

Le mois suivant, Le Monde rapportait qu’ « Israël ouvre peu à peu son arsenal en réponse aux demandes pressantes de Kiev. »

L’avenir nous en dira encore plus sur le rôle d’Israël dans la guerre de l’OTAN contre la Russie. Cependant, ce qui est clair pour l’instant, c’est qu’il n’est plus un intervenant neutre, même si le gouvernement de Tel Aviv continue de répéter de telles affirmations.

14 février 2023 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah