Gaza a envoyé aux oubliettes un plan israélien vieux de 20 ans

Abu Shtayyah a créé l'image d'une femme émergeant de Gaza en ruines - Illustration : Al-Jazeera

Par Ramzy Baroud

Israël avait le plan parfait pour Gaza – en fait, pour tous les Palestiniens – lorsqu’il a décidé de redéployer ses forces autour de la bande de Gaza occupée en 2005.

Malgré les déclarations faites à l’époque par les responsables israéliens, selon quoi le plan de « désengagement » visait à dissocier les responsabilités d’Israël de son rôle d’occupant, la réalité était différente.

Dov Weisglass, l’un des principaux conseillers du Premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, a expliqué les véritables raisons du redéploiement.

Weisglass savait exactement ce qu’il disait, et après tout, il était l’un des architectes du plan.

Mais dans quelle mesure le plan israélien, tel que décrit par Weisglass, a-t-il été mis en œuvre ? Et la guerre actuelle dans la bande de Gaza a-t-elle modifié les résultats anticipés il y a près de vingt ans ?

« L’importance du plan de désengagement réside dans le gel du processus de paix », a déclaré M. Weisglass à Haaretz en 2004.

Cette partie a, en effet, été entièrement réalisée. Non seulement le soi-disant processus de paix a été gelé, mais Israël a, depuis lors, pris de nombreuses mesures pour s’assurer qu’il n’y a rien qui vaille la peine d’être négocié.

La croissance exponentielle des colonies juives illégales, les meurtres de Palestiniens, la profanation des lieux saints et les plans d’annexion ont rendu irréaliste l’idée même qu’une solution à deux États soit encore possible dans la pratique.

Mais pourquoi Israël tenait-il à geler un « processus » qui était futile dès le départ ?

Ce n’est pas le processus de paix qui importait à Israël, mais le fait que, tant que de telles conversations politiques avaient lieu, l’agenda politique palestinien restait crédible.

Cette logique, longtemps défendue par les Palestiniens, a été soutenue par Weisglass lui-même, lorsqu’il a déclaré que « lorsque vous gelez ce processus, vous empêchez la création d’un État palestinien et vous empêchez toute discussion sur les réfugiés, les frontières et Jérusalem ».

« En effet, a-t-il ajouté, tout ce package appelé État palestinien, avec tout ce qu’il implique, a été retiré indéfiniment de notre ordre du jour. Et tout cela avec une approbation générale. Tout cela avec la bénédiction du président (américain) et la ratification des deux chambres du Congrès. »

Cela explique en grande partie ce qui s’est passé depuis que les hauts fonctionnaires israéliens ont fait ces révélations et ces prédictions.

Tout d’abord, tous les gouvernements israéliens, quelles que soient leurs orientations idéologiques ou politiques, sont restés fidèles au plan et n’ont jamais engagé de véritables discussions politiques sur l’avenir d’un État palestinien, les droits des Palestiniens et, a fortiori, une paix juste.

Cela indique que les intentions d’Israël n’étaient pas ouvertes au débat au sein de l’establishment politique du pays. Pour Tel-Aviv, c’était la fin des prétendus efforts de paix et le début d’une nouvelle phase, celle de l’enracinement de l’occupation.

Deuxièmement, chaque administration américaine depuis lors a soit investi dans l’agenda israélien génaral, soit désavoué le « processus de paix » que les Américains avaient eux-mêmes inventé et soutenu.

Cela non plus n’est pas le fruit du hasard. Israël a déployé beaucoup d’efforts en matière de lobbying et de diplomatie pour dissuader les Américains de poursuivre leur propre programme.

Non seulement le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a obtenu ce qu’il voulait, mais il a même réussi à convaincre l’administration Trump en 2017 de suivre le propre programme d’Israël sur Jérusalem, sur les réfugiés, sur les colonies et même sur l’annexion.

L’administration Biden n’a pas changé cette sinistre et nouvelle réalité politique établie par le président Donald Trump, même si certains de ses propos semblaient suggérer le contraire.

Troisièmement, bien qu’involontairement, Weisglass a indiqué qu’Israël ne considèrait pas les Palestiniens et leur lutte comme des fragments dissociés, mais comme un tout homogène. En bloquant un aspect de cette lutte, le processus politique, tous les autres sont censés s’effondrer comme des dominos.

La division des Palestiniens, ainsi que la capacité de Mahmoud Abbas à maintenir son Autorité palestinienne pendant toutes ces années malgré son incapacité à réaliser quoi que ce soit de substantiel, ont permis à Israël d’avancer sans entrave dans son plan initial.

Ennuyé par l’insistance de nombreux pays, dont les États-Unis, pour qu’il s’engage dans un processus politique, Israël a décidé de se « désengager x de la bande de Gaza.

« Le désengagement est en fait du formol », a déclaré M. Weisglass. « Il fournit la quantité nécessaire de formol pour qu’il n’y ait pas de processus politique avec les Palestiniens. »

Le plan israélien n’a toutefois pas été une réussite totale. Les Palestiniens ont continué à mener une campagne de résistance massive, impliquant tous les aspects de la société à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem.

Et, comme cela a toujours été le cas, Israël a répondu par une démonstration de force massive chaque fois que les Palestiniens semblaient prêts à défier leurs geôliers israéliens.

Des raids fréquents sur Jénine, Naplouse et Jéricho aux guerres meurtrières contre Gaza, Israël a fait tout ce qui était en son pouvoir, non seulement pour écraser les Palestiniens, mais aussi pour leur envoyer un message : aucune résistance, quelle qu’elle soit, ne sera tolérée, et aucune forme de résistance ne suffira jamais à remettre la Palestine à l’ordre du jour politique d’Israël, ou de ses alliés.

Un sentiment de « nous avons gagné et vous avez perdu » a envahi les institutions et la société israéliennes officielles. Les campagnes électorales israéliennes semblaient totalement désintéressées par la discussion sur les colonies, un État palestinien, le statut de Jérusalem, etc.

Les Palestiniens restaient cependant utiles. L’Autorité palestinienne sert de ligne de défense pour les colonies qui ne cessent de s’étendre. Et chaque attaque palestinienne contre des cibles israéliennes était utilisée comme une preuve supplémentaire qu’Israël n’a pas de partenaire de paix, renforçant ainsi la position anti-paix de tous les gouvernements israéliens.

Le débat dans les médias après l’attaque du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre s’est concentré sur l’attaque elle-même, sur le Hamas en tant que groupe et, plus tard, bien que de manière sélective, sur le bain de sang créé par Israël à Gaza.

Mais cette date n’a pas marqué le début de la guerre ; il s’agit d’un épisode terrible d’une guerre qui a déjà commencé et qui est soutenue par une occupation militaire israélienne très violente et par l’apartheid.

Tout aussi important, indépendamment de la propagande israélienne et de la couverture médiatique occidentale totalement biaisée, il ne fait aucun doute qu’Israël a échoué.

Cet échec a été initié par les vœux pieux de Sharon en 2005, et entretenu par les illusions et l’arrogance de tous les gouvernements israéliens depuis lors.

La vérité est que Netanyahu n’est qu’un rouage de l’énorme machine politique israélienne qui vise à rejeter la cause palestinienne pour toujours.

Même ceux qui insistent pour soutenir Israël à tout prix ne peuvent plus prétendre que la Palestine n’est pas à nouveau à l’ordre du jour comme la question la plus vitale du Moyen-Orient.

Sans une Palestine libre, il ne pourra jamais y avoir de paix, de sécurité ou de véritable stabilité.

17 octobre 2023 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah