Comment Al-Nabulsi est devenu « le lion de Naplouse »

Ibrahim Al-Nabulsi, le combattant de la liberté abattu par les troupes israéliennes d'occupation - Photo : via France-Palestine.org

Par Mariam Barghouti

Ibrahim Al-Nabulsi représentait l’espoir de ranimer l’esprit de résistance dans une nouvelle génération. C’est pourquoi Israël l’a tué.

Huda, ou Um Eyad, la mère d’Ibrahim al-Nablusi, le jeune résistant de 18 ans assassiné, est assise à côté de sa fille, l’unique soeur d’Ibrahim, Shahd al-Nabulsi âgée de 23 ans.

La robe bleu marine de Shahd contraste avec son foulard violet immaculé. Une tache se trouve cachée sous ses mains, sur le côté gauche de sa robe. Légèrement plus foncée que le reste de sa robe, elle ne semble pas à sa place.

Um Eyad capte mon regard. « C’est le sang d’Ibrahim, la tache », dit-elle. La veille, le 9 août, Um Eyad a perdu son troisième enfant, Ibrahim, qui n’a pas atteint son 19e anniversaire en octobre.

Cet après-midi-là, le cimetière Gharbiyyeh de Khallet al-Amoud à Naplouse recevait trois corps de plus. Ibrahim al-Nabulsi, Hussein Taha et Islam Subuh y reposaient maintenant. Tous trois ont été tués lors d’une opération militaire israélienne menée en coordination avec les services de renseignement israéliens, le 9 août dans la vieille ville de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée.

Shahd Nabulsi (au centre), sœur d’Ibrahim al-Nabulsi, est assise parmi un groupe de personnes en deuil avec les familles des martyrs Islam Subuh, 32 ans, et Hussein Jamal Taha, 16 ans – Photo : Vivian Tabar

Um Eyad est maintenant facilement reconnaissable, après que les médias palestiniens aient été inondés d’une image d’elle coupant à travers la foule de milliers de personnes, principalement des hommes, qui assistaient aux funérailles des martyrs, se dirigeant vers lea dépouille du « lion de Naplouse ».

C’était un spectacle différent des images habituelles d’hommes portant les défunts. Elle ne l’a pas fait parce que c’était le corps d’une nouvelle icône palestinienne, mais parce que c’était son fils.

Le 10 août, à l’intérieur de la petite salle communautaire du quartier de Khallet Al-Amoud, dans la vieille ville de Naplouse, les femmes étaient assises dans une tenue noire, qui contrastait avec les foulards blancs éclatants sur leurs têtes.

Leurs épaules étaient couvertes de kuffiyehs palestiniens noirs et blancs afin que ceux qui leur rendaient hommage puissent les distinguer plus facilement du reste de la foule des femmes en deuil.

Le plus jeune des martyrs, Hussein Taha, n’avait que 16 ans lorsqu’il a été assassiné. Sa mère et sa sœur étaient assises à côté d’Um Eyad, en larmes et souriant avec peine pour accueillir les invités qui affluaient. Le plus âgé des martyrs, Islam Subuh, 32 ans, a également été tué dans la bataille, un événement qui marque dorénavant une nouvelle ère dans la résistance armée palestinienne.

La salle était remplie de mères, d’épouses et de sœurs de martyrs palestiniens tués par le régime colonial. Des bus de familles de martyrs de Jénine et d’autres régions de Cisjordanie ne cessaient d’arriver sur les lieux. Les jeunes femmes de la petite ville de Khallet al-Amoud se sont déplacées rapidement pour servir du café – une tradition de deuil en Palestine – et de l’eau pour étancher la soif des endeuillés à cause de la chaleur.

10 août 2022 – Famille de Hussein Taha, 16 ans, tué par l’armée israélienne le 9 août dans la vieille ville de Naplouse – Photo : Vivian Tabar

« Je lui ai acheté une casquette », a raconté Shahd à Mondoweiss depuis la mairie située à quelques centaines de mètres de leur maison familiale. C’était seulement un jour avant l’assassinat de son frère, Ibrahim.

Retenant ses larmes, Shahd se désole de n’avoir jamais pu la lui offrir. Elle prend une inspiration et murmure une prière, « al-hamdulilah [louange à Dieu] » – une phrase qui marque l’humilité et la gratitude pour son destin, couramment répétée dans les moments difficiles comme dans les moments de joie.

« Il était tellement aimé dans sa communauté », nous raconte Haifa, 41 ans, une des tantes d’al-Nabulsi. « Il était aussi toujours défiant et têtu. Il a grandi dans ces rues – ce ne sont pas des rues très faciles pour grandir, surtout pendant vos premières années. »

Ibrahim est né en 2003, en plein milieu de la deuxième Intifada, alors que sa ville natale de Naplouse était constamment assiégée par l’armée israélienne.

Chaque année depuis sa naissance, de plus en plus d’enfants palestiniens comme lui ont été soit tués soit kidnappés par l’armée israélienne. L’année dernière [2021], a été la plus meurtrière pour les enfants palestiniens depuis 2014, en raison des agressions des colons et de l’armée d’occupation.

Les vieux murs racontent

Dans la vieille ville, chaque virage et chaque coin marque l’histoire d’une bataille que les Palestiniens ont livrée de tous temps contre les colons ou l’armée israélienne. Parfois, les vieux murs sont marqués par des pierres plus récentes, des rénovations, après la destruction partielle de la ville pendant les invasions.

La vieille ville de Naplouse est constellée de posters de Palestiniens tués, depuis les résistants jusqu’aux enfants retenus aux checkpoints.

Des affiches fraîchement imprimées avec des photos d’al-Nabulsi et de ses camarades tombés au combat ornent les murs.

10 août 2022 – Naplouse, dans la vieille ville – Photo : Vivian Tabar

Certains de ces portraits semblent plus anciens qu’al-Nabulsi lui-même, mais depuis le mois d’août, le quartier de Faqous, dans la vieille ville, est désormais lié à l’histoire du « lion de Naplouse » palestinien.

« Prends-moi en photo, prends-moi en photo » me dit l’un des enfants en m’interpellant alors que je me dirige vers le quartier d’Al-Faqous, à la recherche des traces de l’assaut israélien du 9 août.

L’enfant, avec son chien Luka, pose avec ses amis. Alors que le photographe prenait la photo, j’ai remarqué un collier au cou du garçon… une photo d’un autre garçon. Le collier ressemblait à ceux que j’avais vus au cou des femmes dans la salle de deuil plus tôt, des images des membres de leur famille tués ou emprisonnés.

J’ai demandé qui était sur la photo. « Mon ami », m’a-t-il répondu avec un sourire timide.

J’ai tout d’abord pensé qu’il pouvait s’agir de son père, de son frère ou de son oncle, car dans la culture palestinienne, ces pendentifs ne sont pas simplement destinés à commémorer ou à mettre en valeur, mais témoignent clairement de la perte d’un être cher aux mains de l’occupant. Je n’avais pas réalisé que la photo était celle d’un autre jeune garçon.

L’ami du garçon s’appelait Ghaith Yamin, le jeune homme de 16 ans tué à Naplouse d’une balle dans la tête alors qu’il se tenait sur le toit de sa maison près du tombeau de Jacob, pendant que l’armée israélienne effectuait un raid sur la ville le 24 mai de cette année.

Naplouse, 10 août 2022 – Un jeune garçon et son chien Luka – Photo : Vivian Tabar

D’une certaine manière, j’ai ressenti l’hostilité à laquelle Haifa faisait référence en évoquant quelques heures plus tôt l’enfance d’al-Nabulsi. La violence brute dont ont été témoins les enfants, les jeunes et les adultes palestiniens qels qu’ils soient et de manières si diverses était perceptible de manière encore plus forte, tandis que l’enfant essayait de rassurer Luka, qui maintenant aboyait.

Au lever de la lune, la mosquée Khudari, dans la vieille ville, résonne de l’appel à la prière du Maghrib [prière au moment du couchant], « Allahu Akbar [Dieu est grand] ». Un mantra islamique qui signifie l’humilité, les ruelles résonnant du rappel que seul Dieu est grand, et que le reste n’est que l’humanité.

La lumière dorée qui perçait quelques instants auparavant a maintenant disparu, et la porte criblée de balles où al-Nabulsi et Subuh ont été tués est tombée dans l’obscurité.

Un groupe d’hommes à proximité était attentif à ma présence. Pourtant, si un touriste était passé près de nous, il n’aurait eu aucune idée du crime qui s’est produit à cet endroit juste deux nuits auparavant.

Un petit garçon doté d’une forte volonté

Selon ceux qui l’ont connu, avant de devenir un résistant, al-Nabulsi était un adolescent typique, allant au bout de ses idées et avec un grand sens de la justice. Les histoires que sa tante a racontées m’ont fait penser à de nombreux hommes, autrefois de jeunes garçons, que j’ai rencontrés dans les villes de Palestine. Enfant, al-Nabulsi était considéré comme un « Nimrood », un terme emprunté à l’histoire biblique pour désigner l’esprit d’un rebelle qui refuse de se soumettre à l’autorité.

Les ruelles d’Al-Faqous et les décombres laissés par l’armée israélienne à l’intérieur du bâtiment où al-Nabulsi a été assassiné évoquent des souvenirs des violentes invasions de l’armée israélienne à Naplouse et Jénine en 2002.

À cette époque, la vieille ville était la cible d’une campagne militaire impitoyable de bombardements et de combats de rue, qui ont non seulement largelent impacté les logements et maisons, les moyens de subsistance et les habitants palestiniens eux-mêmes, mais aussi détruit des objets historiques dans l’une des plus anciennes villes du monde. C’est également à cette époque que les autorités et les ministres israéliens ont appelé à la tristement célèbre politique du « feu à volonté ».

Presque exactement deux décennies plus tard, la scène semblait familière aux habitants. Le sang d’al-Nabulsi, ou peut-être de Subuh, était répandu sur les murs de la maison démolie, marquant le lieu de leur dernière bataille.

Si nous n’avions pas utilisé de lampes de poche, il aurait été difficile de voir l’ampleur du crime. Dans un coin de ce qui semble avoir été utilisé comme une cuisine, il y avait un sac de pain pita et une casserole. Au milieu des débris noircis se voyait le brun et le jaune vif d’une barre de chocolat Aero, encore intacte.

10 août 2022 – Décombres de la maison où Nabulsi se tenait à ses derniers moments, dans la vieille ville de Naplouse – Photo : Vivian Tabar

Lorsque le cabinet israélien a décidé de lancer l’assaut du début des années 2000, sa déclaration qui date de deux décennies semble toujours pertinente aujourd’hui : « Israël agira pour vaincre l’infrastructure de la terreur palestinienne dans toutes ses parties et composantes ; à cette fin, une vaste action sera entreprise jusqu’à ce que cet objectif soit assuré. »

Au cours de ces années, des villes entières ont été placées sous couvre-feu, les habitants n’étant autorisés à sortir de chez eux pour faire des achats essentiels que tous les trois ou quatre jours, et à une heure précise.

La pandémie mondiale de COVID-19 a peut-être donné au monde un petit aperçu de ce que signifie être forcé de rester chez soi pendant de longues périodes, même sans la menace constante des bombardements et de la mort qui vous guette à chaque instant. Dans l’enfance d’al-Nabulsi, cette situation n’était pas seulement la norme, elle était imposée par les chars et les troupes paramilitaires israéliennes, qui ont ensuite avoué avoir commis ces crimes de guerre.

Comme aujourd’hui, les ministres israéliens ont justifié ces crimes en vantant leur capacité à vaincre la résistance. Pourtant, plus de deux décennies après et à cause de la persistance de la résistance palestinienne, le manque de crédibilité des affirmations d’Israël est évidente.

Cela souligne que la stratégie militaire d’Israël ne s’est pas seulement avérée inefficace, mais qu’elle constitue un emploi complètement faussé de la « sécurité nationale » pour masquer des politiques criminelles de nettoyage ethnique.

Ibrahim al-Nabulsi est rapidement devenu une légende dans les rues palestiniennes et parmi sa génération, également née au plus fort de la deuxième Intifada palestinienne. La résistance palestinienne se heurtait alors aux chars, aux missiles et à une destruction massive.

Environ un mois avant sa naissance, alors qu’al-Nabulsi était encore dans le ventre de sa mère, l’armée israélienne a démoli un immeuble de sept étages en guise de punition collective, en utilisant l’artillerie lourde sur des habitations civiles.

Trois ans auparavant, l’image de Faris Odeh, l’enfant qui a affronté un char de l’armée israélienne à Gaza, s’est répandue dans le monde entier, représentant la bataille entre le proverbial David palestinien face à l’imposant Goliath israélien.

Les premières années de l’enfance d’al-Nabulsi ont coïncidé avec les crimes de guerre israéliens commis dans le camp de réfugiés de Jénine et à Naplouse entre 2001 et 2004. En dépit de toutes les preuves et de l’abondante documentation, les commandants et les soldats israéliens n’ont toujours eu aucun compte à rendre.

À ce moment-là, la Cisjordanie était également en proie à une éruption de résistants armés palestiniens. Le régime israélien a lancé l’opération « Bouclier défensif » en mars 2002, et elle ressemble étrangement à sa campagne actuelle, lancée exactement 20 ans plus tard et en mars de cette année, l’opération « Briser la vague ».

Cette dernière comprenait l’opération « Aube naissante », l’assaut de trois jours sur la bande de Gaza qui a tué des dizaines de civils, dont des enfants.

Dans une dépêche officielle de l’armée israélienne, les « réalisations » de l’opération Bouclier défensif sont présentées comme l’arrestation de « nombreux terroristes recherchés » et la saisie d’ « énormes quantités d’armes » de l’Autorité palestinienne (AP).

C’est à cette époque que la stratégie israélienne d’élimination systématique des foyers de résistance palestinienne a conduit à la marginalisation de groupes armés tels que la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa (branche militaire du Fatah) dans le paysage politique de la Cisjordanie.

Um Eyad, la mère de Ibrahim al-Nabulsi – Photo : Vivian Tabar

Al-Nabulsi serait devenu membre de cette même brigade qui, en dépit de la campagne de répression israélienne et de la complicité de l’AP pour les désarmer, a réussi à survivre et à se regrouper, maintenant une présence permanente mais ténue dans des endroits comme Jénine et la vieille ville de Naplouse.

Les mots de la mère d’al-Nabulsi, Um Eyad, résonnent encore dans mes oreilles lorsqu’elle a dit : « Je ne veux même pas leur céder mes larmes. Ibrahim est un martyr, al-hamdulilah. » Ces mots ne semblaient pas vraiment consoler son cœur, mais au moins ils permettaient de fixer son chagrin sur un espoir de changement.

Après avoir crié toute sa douleur à l’hôpital lorsque le médecin a annoncé « istash-had [il est devenu un martyr] », Um Eyad a été vue peu après s’adressant à une foule de personnes en deuil : « Ils se trompent s’ils pensent avoir tué Ibrahim. Tout le monde est Ibrahim. »

En écoutant ces mots, j’ai pensé à la force de cette femme, à la façon dont elle a mis de côté sa propre douleur pour montrer à tous ceux qui l’entouraient la véritable signification du sacrifice d’Ibrahim. Puis j’ai dit une prière silencieuse – pour que plus jamais une mère ne soit mise dans la position de trouver la force de porter le nom de son fils assassiné comme un symbole.

Après avoir couvert plusieurs reportages sur les familles de martyrs et avoir été témoin du chagrin de ma propre mère lorsque son neveu a été tué lors de la deuxième Intifada, j’ai appris, par la force des choses, un autre type de chagrin. Il ne s’agit pas simplement de la perte d’un fils, d’un frère, d’un mari, d’une fille, d’une sœur ou d’une femme – il s’agit de la brutalité de la perte aux mains d’un régime criminel.

Une mère l’a un jour décrit comme ressemblant à quelque chose comme une brûlure constante dans votre poitrine.

Le refus de la clandestinité

« C’était comme un film d’horreur, je n’arrêtais pas de me rappeler les jours de l’invasion », nous a raconté une voisine proche du lieu de l’assassinat. « Il était si gentil. »

Elle s’est souvenue des images qu’elle a eus de lui marchant dans la vieille ville dans ses derniers mois, alors qu’il venait d’échapper à plusieurs tentatives d’assassinat israéliennes.

« Je n’arrive toujours pas à y croire », dit la sœur d’al-Nabulsi, Shahd, alors que sa petite Mariam, toute maigrichonne, se glissait sur les marches des escaliers en béton, sous la robe marine tachée de sa mère.

La vieille ville a vu al-Nabulsi plus que sa propre famille au cours du mois qui a précédé son meurtre. « Je suis désolé, je ne viendrai pas avec vous sur le site [de l’assassinat] », a déclaré Bassel Kittaneh, enquêteur palestinien et habitant de la vieille ville de Naplouse, depuis un toit faisant face à la mosquée la plus proche de l’endroit où al-Nabulsi a été tué. Il a expliqué en s’excusant : « Je ne suis pas encore prêt à y aller. »

Quelques jours après le meurtre d’al-Nabulsi, de Taha et de Subuh, les quartiers de la vieille ville étaient toujours animés. Malgré cette terrible perte, la flamme de la défiance s’est rallumée grâce à sa personnalité. La capacité d’un individu aussi jeune qu’al-Nabulsi à rassembler le maximum de force de l’un des plus puissants appareils répressifs du monde – le Service général de sécurité (Shin Bet) et l’armée israélienne – pour mener à bien son assassinat, incite au respect.

Selon des témoins et des habitants de la vieille ville de Naplouse et des villes voisines, al-Nabulsi ne s’est jamais vraiment caché. Lorsqu’on le voyait déambuler, ce n’était pas nécessairement avec fierté, mais avec une posture ressemblant à celle d’une personne portant une responsabilité.

Quiconque en Palestine surfant sur TikTok trouverait des habitants de Naplouse filmant Nabulsi alors qu’il marchait dans la vieille ville, l’appelant par son nom et prenant des selfies avec lui alors qu’il souriait presque avec timidité.

10 août 2022 – Quartier d’Al-Faqous, vieille ville de Naplouse. Affiche d’al-Nabulsi. Hussein Taha et Islam Subuh avec les symboles de la Brigade des martyrs d’Aqsa sur le mur à l’extérieur du lieu de leur assassinat – Photo : Vivian Tabar

C’était un peu comme s’ils lui disaient au revoir, sachant qu’il serait un martyr tôt ou tard.

« Il était sincère et aimable dans ses rapports avec les autres », a dit Kittaneh.

Pourtant, malgré toute la force et la volonté de tuer affichées lors de la confrontation avec al-Nabulsi, on peut se demander si celui-ci représentait la menace que les médias et les porte-parole militaires israéliens ont voulu faire de lui.

Mais ce que Nabulsi représentait – la menace de raviver l’esprit de résistance armée en Cisjordanie – était quelque chose qu’Israël n’était pas prêt à tolérer. De fait, l’armée israélienne a ciblé les Palestiniens accusés de résistance armée et les a sauvagement abattus dans le cadre de l’opération « Briser la vague ».

Les responsables des Nations unies et les organisations de défense des droits de l’homme n’ont cessé de mettre en garde contre la récente intensification es campagnes de l’armée israélienne contre les Palestiniens, allant jusqu’à recourir à la pratique illégale de la détention administrative à l’encontre d’avocats spécialisés dans les droits de l’homme, et à l’utilisation de la force meurtrière contre des manifestants palestiniens non armés.

Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie de « domination de l’escalade », une approche coercitive visant à contrôler la montée des tensions de manière à désavantager l’autre partie et à réduire sa capacité de réaction.

Les services de renseignement et les unités militaires israéliens ont également donné le feu vert à la stratégie « tirer pour tuer » en Cisjordanie et l’ont largement développée. Cela a commencé des mois avant l’attaque de Gaza, la première semaine d’août de cette année.

Pourtant, dans ce contexte dominé par la volonté d’annexion et d’apartheid d’Israël, Ibrahim Al-Nabulsi, qui n’avait pas encore 19 ans, a dit adieu à la vieille ville de Naplouse en se défendant, armé d’un simple fusil.

Selon des témoins, Israël a utilisé des missiles tirés à l’épaule pour faire exploser son abri, tandis que des impacts de balles s’étalaient sur la porte métallique. Des images en circulation d’al-Nabulsi montrent un jeune homme tirant maladroitement avec un fusil lors d’une invasion militaire antérieure.

Sans formation militaire réelle et avec un armement obsolète, al-Nabulsi n’avait aucune chance. Le miracle est que, malgré cette attaque impitoyable, al-Nabulsi a réussi à sortir encore vivant de cette destruction. L’heure de sa mort a été déclarée à l’hôpital environ une heure plus tard.

Un rugissement d’un lion pour la libération

La montée d’une nouvelle génération de résistance palestinienne armée semble avoir créé un contre-effet à ce que l’armée et le contre-espionnage israéliens espéraient en termes de « dissuasion ».

« Pendant la dernière vague de résistance montante, nous avons en même temps vu la naissance d’une nouvelle vie à Naplouse », nous a expliqué Kittaneh. « La vieille ville retrouve sa signification et son sens auparavant en sommeil de son importance, à nouveau ».

Kittaneh a subi 15 ans d’emprisonnement pour affiliation aux Brigades palestiniennes Izz el-Din al-Qassam, la branche militaire du mouvement Hamas. Il a été kidnappé l’année même de la naissance d’al-Nabulsi. Alors que derrière lui, la ville de Naplouse s’étend à l’horizon, Kittaneh repense à sa jeunesse. « Chaque génération réagira différemment, mais chaque génération réagira», nous dit-il.

Bassel Kittaneh devant Naplouse, dans la vieille ville, le 10 août 2022 – Photo : Vivian Tabar

Pour assurer sa domination de l’escalade, Israël a voulu imposer un effet de choc collectif sur les Palestiniens. Cela inclut les assassinats sommaires de Palestiniens, comme les dizaines de personnes tuées au cours du premier semestre de cette année, ou l’emprisonnement d’enfants âgés d’à peine 12 ans.

Cette tactique, expliquée par la journaliste bien connue Naomi Klein, consiste à infliger des dommages émotionnels, mentaux ou physiques de manière progressive dans le temps, afin de paralyser lentement une population et de la pousser à l’inaction.

« Le choc s’estompe, mais pas quand on s’y attend, comme cela pourrait se produire [au moment] de la libération… Les victimes du choc vivent avec l’héritage de la peur pendant des années », explique Naomi Klein dans une interview.

Alors que les agences et les rapports saluaient le jeune combattant comme un « commandant exceptionnel » et un « militant d’un rang élevé », al-Nabulsi vivait une autre vie, avec ses amis et sa famille.

Quand nous lui demandions pourquoi il persistait dans sa voie, il répondait : « Je fais revivre l’esprit de résistance de toute une génération », nous a expliqué Shahd. Il semble que l’inexistence de l’enfance palestinienne contribue aussi à alimenter la résistance.

« Ce qu’Israël n’a pas pris en compte, c’est que, lorsque les habitants de la vieille ville ont vu les militaires israéliens pénétrer de force et faire des raids à Naplouse en plein jour, pour arrêter les jeunes ou les assassiner d’une manière aussi répugnante… » – Kittaneh s’est interrompu en disant cela, s’arrêtant un instant avant de poursuivre – « Cela n’a pas rendu les gens plus effrayés. Au contraire, cela a poussé les Palestiniens à une confrontation encore plus forte. »

Il est devenu encore plus évident que la profondeur de l’esprit de révolte d’al-Nabulsi et de Subuh provenait du fait que leur enfance leur avait été volée, de son droit même à exister. Cela me rappelle les images d’enfants qui, aussi petits et chétifs qu’ils soient, trouvent la force d’affronter les soldats, refusant d’être terrorisés par eux.

« Hayat »

Une petite fille dort sur les genoux de sa mère malgré la chaleur du milieu de l’après-midi à Naplouse. Des femmes entrent et sortent, surplombant son petit corps pour rendre hommage aux trois familles qui ont perdu leurs fils, dont l’un n’avait que 16 ans.

« Hayat », me dit une femme plus âgée, en désignant le nourrisson qui dormait dans ses bras pendant les funérailles. C’est la nièce d’al-Nabulsi. « Son nom signifie la vie », me dit la femme.

Salle communautaire de Khallet al-Amoud, Naplouse, le 10 août 2022. Hayat, la nièce d’al-Nabulsi, endormie sur les genoux de sa mère – Photo : Vivian Tabar

Alors qu’al-Nabulsi est célébré comme le « lion de Naplouse », il était également connu comme l’oncle jeune et rebelle, celui qui n’en faisait qu’à sa tête et restait attaché à sa liberté et à celle de tous ceux qui l’entouraient, y compris Hayat.

Quelques jours après sa mort, la famille d’Ibrahim s’est réunie le soir dans leur maison de Naplouse. La tante d’Ibrahim toujours déplorait la disparition de son neveu dans leur vie. « Lorsque nous nous asseyons à table et que la chaise d’Ibrahim est vide, nous ressentons son absence », dit-elle avec une profonde tristesse. “Et quand, d’une manière ou d’une autre, nous trouvons un moment de répit, nous nous disons alors : ‘Si seulement Ibrahim était avec nous’. »

15 août 2022 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah