Palestine : où trouver l’espoir

Des membres des Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa se rassemblent dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, suite au décès de leur éminent leader Naser Abu Hmeid, 50 ans, qui a lutté contre le cancer pendant des années dans les prisons israéliennes et a été victime de négligence médicale. Israël a annoncé qu'il ne rendrait pas le corps d'Abu Hmeid - une pratique sadique fréquente qui est utilisée contre les Palestiniens qui meurent dans les prisons israéliennes. Depuis sa dernière arrestation en 2002, Abu Hmeid purgeait sept peines de prison à vie et 50 années supplémentaires pour avoir participé à la résistance armée palestinienne contre le colonialisme israélien pendant la deuxième Intifada. Abu Hmeid et sa famille sont des réfugiés du village d'Al Sawafir, près d'Ashdod, qui a fait l'objet d'un nettoyage ethnique en 1948 - Photo : Ahmad Al-Bazz / Activestills

Par Mitchell Plitnick

Il faudra beaucoup de temps pour que la lutte palestinienne atteigne un point de bascule. Il ne se passera rien d’essentiel avant, mais c’est le peuple palestinien qui détient la clé de sa libération, et pas les États-Unis.

Il y a peu de temps, j’ai reçu un message de quelqu’un sur Facebook me demandant si je voyais un espoir pour le peuple palestinien.

Au cours de deux décennies de travail pour soutenir les droits des Palestiniens, cette question m’a été posée de temps en temps par des personnes qui sont dans un moment de désespoir, voyant le pouvoir écrasant cumulé en face des Palestiniens. 

Ce n’est pas une question facile. Je l’avoue, il m’est arrivé, au cours des vingt dernières années, de penser à trouver un autre domaine de justice sociale sur lequel m’investir. Parfois, je suis resté dans cette lutte simplement parce que c’est ce que je connais le mieux, alors que parfois, c’est parce que c’est quelque chose de très spécial pour moi.

Mais quelle que soit la raison pour laquelle j’ai continué, je n’aurais pas pu le faire si je n’avais pas pu répondre moi-même à la question de savoir pourquoi je mène ce combat particulier. 

Après tout, je ne suis pas Palestinien et, bien que je sois juif, je n’ai jamais rien fait pour soutenir le sionisme ou Israël. En tant que juif américain, il existe un lien évident entre mon origine ethnique et l’oppression des Palestiniens, mais je suis également blanc, mâle, américain et hétérosexuel (bien que je sois bisexuel).

Il y a de nombreuses façons dont je suis lié à un groupe privilégié qui opprime les autres. Je n’ai pas besoin de militer pour la Palestine pour tirer parti de mes privilèges. 

La Palestine est une question qui est souvent utilisée comme un exemple de combat chimérique. Je ne suis pas d’accord avec cette caractérisation, mais il est certainement vrai que nous avons du mal à trouver un peuple où les difficultés sont plus amoncelées que pour les Palestiniens.

Alors, est-ce que je me contente de faire de la figuration sur cette question ou y a-t-il un réel espoir de victoire ?

Je me concentre principalement sur la politique américaine et sur la manière dont elle déforme et complique la question de la Palestine.

Malgré toutes les débats, le théâtre et les jeux auxquels se livrent les décideurs politiques américains en prétendant respecter la vie humaine, sans parler des droits de l’homme, les États-Unis accordent peu de valeur aux vies qui ne sont pas américaines. Et même dans ce cas, la valeur accordée aux vies américaines est fortement conditionnée (par la race, l’ethnicité, le genre, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, la classe sociale, etc.) 

Pourtant, si la vie humaine n’a que peu de valeur dans l’élaboration des politiques, la vie des Palestiniens en a encore moins pour les décideurs américains, quelle que soit la position de ces décideurs sur l’échiquier politique ou le parti auquel ils appartiennent.

Comme je l’ai souvent noté, Israël est un acteur clé sur des marchés mondiaux importants tels que la technologie et l’armement, et il joue un rôle central dans les affaires géostratégiques.

Bien qu’il soit également une force déstabilisatrice à certains égards, Israël a une valeur importante pour les États-Unis. Les Palestiniens n’ont pour eux que le droit international et l’injustice d’avoir été dépossédés, rendus apatrides et privés de leurs droits fondamentaux par Israël et le mouvement sioniste.

Cependant, le bien et le mal comptent pour très peu dans les calculs géostratégiques, et donc dans la politique étrangère des États-Unis (ou de n’importe qui d’autre). 

Ainsi, si la clé de la libération palestinienne réside dans les États-Unis, comme semblent l’avoir cru Yasser Arafat et Mahmoud Abbas, alors il n’y a aucun espoir. Heureusement pour les Palestiniens, les États-Unis ne sont pas la clé de la libération palestinienne. C’est le peuple palestinien qui l’est. 

Les Palestiniens sont en conflit avec le mouvement sioniste, soutenu par le Royaume-Uni, puis avec Israël, soutenu par les États-Unis, depuis plus d’un siècle maintenant. Pourtant, malgré la richesse et le pouvoir écrasants – politiques, diplomatiques, militaires – auxquels ils sont confrontés, ils ont persévéré.

En fait, la cause palestinienne n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Plus de gens que jamais dans le monde soutiennent leur cause.

Plus de personnes que jamais agissent en leur nom. Il s’agit d’une tendance mondiale, qui a mis à nu les faux partisans du peuple palestinien – libéraux occidentaux, dirigeants arabes, hommes d’affaires européens et bien d’autres – d’une manière qui n’avait jamais été constatée auparavant. 

La lutte est en effet éternelle

Malheureusement, le type de pouvoir qui soutient les Palestiniens se manifeste lentement, mais pas progressivement. Il faut beaucoup de temps pour atteindre un point de basculement, et avant que cela ne se produise, rien ne changera vraiment. L’apartheid continue, les colons continuent de sévir, le Congrès continue d’inonder Israël d’argent et les Palestiniens de critiques condescendantes, et Gaza continue d’être une prison géante à ciel ouvert. 

Mais même les conflits insolubles finissent par bouger. Nous pouvons le constater dans de nombreux endroits : la chute de l’apartheid en Afrique du Sud, l’accord du Vendredi Saint en Irlande du Nord, le rapprochement entre l’Éthiopie et l’Érythrée, le dépassement de l’esclavage en tant que pratique établie au niveau mondial et de nombreuses luttes de libération dans le monde entier. 

Certaines de ces victoires n’ont pas nécessairement abouti à des résultats optimaux. Si le système d’apartheid en Afrique du Sud a été démantelé, des inégalités massives selon les lignes raciales, dues en grande partie à la richesse héritée et à une redistribution insuffisante, existent toujours. Quant au Brexit, il met en péril l’accord du Vendredi Saint.

Au Pérou, le mouvement populaire de gauche éclate sous les attaques de l’aile droite et en partie à cause de dirigeants imprévoyants et inexpérimentés. Le Nicaragua s’est débarrassé de décennies d’occupation américaine, puis du régime brutal de Somoza soutenu par les États-Unis, mais est retombé dans l’autoritarisme avec Daniel Ortega.

Cuba se débat dans la pauvreté sous le poids de l’embargo américain depuis des décennies. L’Éthiopie et l’Érythrée ont uni leurs forces pour attaquer la région du Tigré.

La Tunisie, l’Égypte et d’autres pays du « printemps arabe » n’ont pas été en mesure de maintenir leurs progrès sous des attaques incessantes et réactionnaires. Le Soudan a chassé Omar Bashir pour voir les militaires reprendre le contrôle du pays. Il y a trop d’autres exemples à énumérer. La lutte est en effet éternelle…

Les victoires, qu’elles soient spectaculaires ou à la Pyrrhus, sont difficiles à remporter. Pourtant, les nazis ont perdu, tout comme les staliniens, et le fascisme italien et espagnol.

Le Chili a fini par se débarrasser du régime du dictateur Augusto Pinochet, soutenu par les Américains, et a accédé à la démocratie. Omar al-Bashir est parti, et le peuple soudanais continue de se battre pour sa démocratie et pour forcer les militaires à faire des compromis.

Ce qui a remplacé les régimes brutaux et dictatoriaux n’était pas toujours tellement mieux. Mais parfois, c’est le cas. Il y a beaucoup d’espoir dans tout cela.

Malgré le fait que les plus grandes superpuissances du monde travaillent contre eux (d’abord le Royaume-Uni puis les États-Unis) et soutiennent Israël, les Palestiniens ont tenu bon. Les Palestiniens qui vivent ailleurs continuent de soutenir la lutte.

Un mouvement mondial, même s’il est relativement interconnecté, se développe et devient plus apte au lobbying et à d’autres types de pression sur les gouvernements, tout en restant connecté à la fois au peuple de Palestine et aux militants de base dans le monde entier. 

Je ne peux pas dire quand – et je doute franchement que quiconque prétende pouvoir dire comment – les Palestiniens finiront par obtenir leurs droits et leur liberté.

À mon avis, toutes les voies menant à cet objectif doivent être explorées, des plus modérées aux plus radicales. Mais comment pourrais-je douter que cette nation, qui a tant enduré, qui a, en fait, été un modèle de résistance et de résilience (sumud) finira par réussir ? 

Parmi les nombreuses erreurs commises par les premiers sionistes, la plus grande est peut-être la croyance que tant d’entre eux avaient que les Palestiniens ne se soucieraient pas de conserver leur terre et que, s’ils étaient payés ou si on leur donnait l’occasion ou la motivation – par la tentation ou, plus vraisemblablement, par les menaces et la terreur – de s’installer ailleurs dans le monde arabe, cela ne ferait guère de différence pour la plupart d’entre eux.

Beaucoup d’entre eux pensaient que les Arabes étaient les mêmes partout et que les Palestiniens seraient tout aussi satisfaits en Irak, au Liban ou en Transjordanie (appelée plus tard Jordanie) qu’en Palestine.

Il est intéressant de noter que c’est la droite sioniste qui n’a pas fait cette erreur. Elle a compris que les Palestiniens étaient très attachés à leur patrie et ne la laisseraient pas partir sans se battre.

C’est la gauche sioniste (du moins celle qui s’en tenait au sionisme politique – les sionistes culturels voyaient aussi la réalité) qui pensait le contraire et croyait que les masses palestiniennes « sans le sou » pouvaient être « poussées au-delà des frontières », comme Theodor Herzl l’a écrit un jour dans son journal. 

Le fait que la détermination et l’amour des Palestiniens pour leur patrie leur aient permis de rester unis en tant que peuple et rester inébranlables face à l’agression monstrueuse commise par Israël avec les États-Unis et l’Europe derrière lui, me dit qu’il n’y a pas seulement de l’espoir, mais une très grande probabilité que, si leurs alliés et leurs partisans maintiennent la même détermination qu’eux, les Palestiniens et la Palestine seront libres.

Je ne sais pas combien de temps cela prendra, mais je suis absolument convaincu que cela arrivera. 

Après tout ce temps, les Palestiniens n’ont pas cédé au désespoir, n’ont pas baissé les bras et ne sont pas partis. Comment pourrais-je faire moins ?

Même si parfois cela semble sans espoir, même si parfois je pense à consacrer mon énergie à l’une des nombreuses autres causes importantes et dignes d’intérêt qui pourraient contribuer à un monde plus juste et plus équitable, je continue à me battre pour la liberté des Palestiniens.

Parce que je crois qu’ils gagneront, et je crois que lorsqu’ils gagneront, ce sera un exemple pour les luttes contre l’oppression partout dans le monde. Cela signifie un monde meilleur pour les Palestiniens, pour les juifs, pour la planète entière. 

17 décembre 2022 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine