Le sport lave plus blanc les crimes des régimes dictatoriaux

Illustration : via Al-Mayadeen

Par Al-Mayadeen

Qu’il s’agisse d’acquérir des clubs, d’investir des milliards de dollars ou d’accueillir des événements internationaux, les régimes politiques oppressifs utilisent le sport et les événements sportifs pour blanchir leurs crimes contre l’humanité.

“Au-delà des aspects techniques, je tiens à souligner que la présence internationale d’Israël dans le domaine du sport et de la culture est une autre stratégie pour blanchir le génocide et la violation des droits de l’homme qu’ils commettent contre le peuple palestinien.”

Avec cette déclaration, la commentatrice de la télévision catalane et nageuse olympique de bronze Clara Basiana a exprimé un soutien qu’elle ne pouvait dissimuler, à la Palestine et à la cause palestinienne.

“Nous l’avons vu ici, aux Jeux préolympiques de Barcelone, nous l’avons vu à plusieurs reprises à l’Eurovision”, a ajouté Basiana.

“Il semble que pendant ces événements, les crimes de guerre de l’État israélien disparaissent. Nous devons en être conscients en tant que spectateurs, et rendre cette situation visible afin de ne pas la normaliser”, a-t-elle souligné, déclenchant une vague de soutien comme de critiques.

Qu’est-ce que le sportswashing ?

Basiana a fait référence au blanchiment du génocide par Israël. En fait, le terme exact est le “sportswashing” de l’occupation israélienne. Qu’est-ce que cela signifie ?

En 1978, la 11e Coupe du monde de la FIFA s’est tenue en Argentine, alors sous la férule du dictateur Jorge Rafael Videla, responsable de la disparition de plus de 30 000 personnes.

En guise de protestation, l’une des plus grandes stars du football de l’époque, le Néerlandais Johan Cruyff, aurait déclaré : “Comment peut-on jouer au football à un kilomètre d’un centre de torture ?”

Felix Jakens, responsable à Amnesty International Royaume-Uni, définit le sportswashing comme “un processus ou un moment où un pays ayant un mauvais bilan en matière de droits humains tente d’exploiter le sport comme un moyen de créer des relations publiques positives pour laver son image et détourner l’attention de son bilan en matière de droits humains.”

Tentative d’effacement des génocides

Pour l’occupation israélienne, le sport a toujours été un outil visant à effacer ses crimes contre l’humanité.

En 1968, un an après la guerre des Six Jours, “Israël” a accueilli les Jeux paralympiques. La cérémonie d’ouverture s’est déroulée dans la ville occupée d’Al-Quds, au cours de laquelle le ministre israélien de la sécurité Moshe Dayan a remis des médailles aux vainqueurs.

Plus récemment, en 2021, “Israël” a choisi le cyclisme pour tenter de laver via le sport ses crimes contre les Palestiniens. L’équipe cycliste “Israël Start-Up Nation” (ISN) a signé avec le célèbre quadruple vainqueur du Tour de France Chris Froome.

Selon Novara Media, “il est logique qu’Israël ait choisi le cyclisme comme dernière frontière du sportswashing. Le cyclisme est souvent présenté comme un sport apolitique et bien qu’il y ait eu quelques interventions antiracistes ces derniers temps.”

Il convient de noter qu’en 2018, Sylvan Adams, le milliardaire de l’immobilier israélo-canadien et copropriétaire d’ISN a dépensé 12 millions de dollars pour convaincre la directrice du Giro d’Italia, Maura Vegni, de donner le départ de la célèbre course à Al-Quds occupée lors du ainsi-nommé soixante-dixième anniversaire de l’entité sioniste, connu pour les propriétaires légitimes de la terre comme la Nakba.

En réponse, “plus de cent vingt organisations de défense des droits de l’homme, syndicats, associations de tourisme éthique et groupes sportifs et confessionnels de plus de 20 pays ont lancé un appel international exhortant le principal événement cycliste, le Giro d’Italia, à déplacer son “Grand Départ” 2018 d’Israël en raison de ses violations graves et croissantes du droit international et des droits de l’homme des Palestiniens”, a indiqué l’organisation Boycott, désinvestissement et sanctions.

En juin 2021, un mois après la dernière guerre israélienne contre Gaza, qui a vu le martyre de plus de 250 Gazaouis, Adams a salué l’entrée de son équipe dans les activités philanthropiques.

Adams, qui s’est autoproclamé ambassadeur d’ “Israël”, déclare qu’il “consacre ce chapitre de sa vie à la promotion d’Israël.”

En juillet, 200 équipes palestiniennes ont exhorté les clubs de football espagnol et italien, respectivement l’Atlético Madrid et l’Inter Milan, à annuler leur “match amical” prévu le 8 août en Palestine occupée.

Mettre la main sur le monde du football

“Israël” n’est pas le seul camp à faire du sport pour faire oublier ses violations des droits de l’homme. En effet, l’Arabie saoudite met actuellement la dernière main aux préparatifs d’une opération visant à acquérir le géant du football italien Inter Milan.

Le Fonds d’investissement public (FIP) du Royaume, qui est essentiellement le bras financier de la dictature du prince héritier autocrate Mohammed bin Salman d’Arabie saoudite, a reçu le feu vert pour acquérir l’équipe de football, augmentant ainsi les investissements saoudiens dans le monde du sport.

Les propriétaires chinois du club, Suning Holdings, perdent actuellement de l’argent et ont donc commencé à chercher des investisseurs pour se remettre de leurs pertes. Il a été récemment annoncé que l’Arabie saoudite serait la partie qui acquerrait le club et que l’opération serait finalisée d’ici la semaine prochaine.

L’acquisition de l’Inter Milan par l’Arabie saoudite est la deuxième acquisition du FIP après celle de Newcastle United en octobre 2021.

L’Inter Milan, sous sa direction actuelle, perdait près de 15 millions de dollars par mois, l’obligeant à vendre deux de ses meilleurs joueurs, Romelu Lukaku et Achraf Hakimi, ce qui a permis au groupe Suning de récupérer 150 millions de dollars.

Les critiques de cette démarche affirment toutefois que ces acquisitions ont pour but de détourner l’attention des violations des droits de l’homme commises par le Royaume, qui ont été qualifiées de sportswashing.

Amnesty International, en réaction à de tels agissements, avait demandé à la Premier League de modifier son test des propriétaires et des administrateurs en ajoutant une section traitant des “questions relatives aux droits de l’homme.”

Le rachat de Newcastle a également été condamné par la fiancée du journaliste assassiné Jamal Khashoggi, qui a déclaré que l’accord de rachat de 300 millions de livres (408 millions de dollars) était “déchirant” et décevant pour elle et que c’était “une véritable honte pour Newcastle et pour le football anglais” que le club soit désormais “détenu par la personne responsable du meurtre de Jamal”, en référence au prince héritier d’Arabie saoudite et dirigeant de fait Mohammad bin Salman.

Canaliser des milliards de dollars

Un rapport de Human Rights Watch révèle que l’Arabie saoudite consacre des milliards de dollars à des divertissements et à des événements visant à blanchir ses violations des droits de l’homme, qu’il s’agisse de rapports de torture, d’assassinats de journalistes ou d’exécutions d’opposants.

Un autre rapport du groupe de défense des droits de l’homme, Grant Liberty, a révélé que le régime saoudien a dépensé au moins 1,5 milliard de dollars pour des événements sportifs internationaux.

Plus récemment, le royaume a utilisé le Grand Prix d’Arabie saoudite de Formule 1 et les spectacles correspondants donnés par des artistes renommés comme Justin Bieber et A$AP Rocky pour polir son image sur la scène internationale, en détournant sa réputation controversée vers une réputation attractive, comme voulu par Mohammad bin Salman lui-même.

“Le gouvernement saoudien fait tout pour dissimuler ses violations flagrantes des droits humains sous des spectacles publics et des événements sportifs”, a déclaré Michael Page, directeur adjoint pour le Moyen-Orient à HRW.

“S’ils n’expriment pas leurs préoccupations concernant les graves violations commises par l’Arabie saoudite, la [compétition] Formule 1 et les artistes participants risquent de soutenir les efforts bien financés du gouvernement saoudien pour blanchir son image malgré une augmentation significative de la répression au cours des dernières années.”

Dans une déclaration, Amnesty a prévenu que “si les autorités veulent être perçues différemment, elles doivent libérer immédiatement et sans condition tous ceux qui ont été emprisonnés pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions, lever les interdictions de voyager et imposer un moratoire sur la peine de mort.”

Hamilton ne se sent “pas à l’aise”

Le champion du monde Lewis Hamilton avait admis auparavant qu’il ne se sentait “pas à l’aise” en Arabie saoudite.

“Est-ce que je me sens à l’aise ici ? Je ne dirais pas que oui”, a déclaré le pilote britannique Hamilton lors d’une conférence de presse à Djeddah, où s’est déroulée l’avant-dernière course de la saison 2021 de Formule 1, le 5 décembre.

“Mais ce n’était pas mon choix. Notre sport a choisi d’être ici et que ce soit juste ou non, je pense que pendant que nous sommes ici, il est toujours important de faire un travail de sensibilisation.”

Hamilton a été un farouche défenseur des questions de droits de l’homme ces dernières années, prenant publiquement position en faveur du mouvement Black Lives Matter.

“Beaucoup de changements doivent se produire et notre sport doit en faire plus”, a ajouté Hamilton, sept fois champion.

Selon Human Rights Watch, “sous le gouvernement effectivement dirigé par le prince héritier Mohammad bin Salman, l’Arabie saoudite a connu la pire période de répression de son histoire moderne.”

Outre l’agression saoudienne contre le Yémen, Amnesty International, ainsi que d’autres groupes internationaux de défense des droits de l’homme, ont signalé que le régime saoudien a harcelé, détenu, poursuivi et incarcéré des opposants, des militants des droits de l’homme et des droits des femmes, des journalistes et des critiques pour avoir dénoncé le gouvernement.

Rapport : Plus de 6500 travailleurs migrants sont morts au Qatar

Le régime qatari a également eu sa part dans le sportswashing de ses violations des droits de l’homme.

Le journal The Guardian a publié un rapport selon lequel, depuis que le Qatar a obtenu en 2010 le privilège d’accueillir la Coupe du monde de la FIFA 2022, plus de 6500 travailleurs migrants y sont morts, dont 37 en travaillant à la construction de stades de football.

Le Qatar a rejeté avec véhémence toute critique, insistant sur le fait qu’il a réformé sa législation du travail et introduit un salaire minimum.

Amnesty International a exhorté le Qatar à mettre fin aux abus contre les travailleurs migrants, dont beaucoup participent à la construction des stades et des infrastructures de la Coupe du monde.

Dans le cadre d’une initiative humanitaire, le club de football norvégien Tromso IL a présenté ce qu’il a appelé “le premier maillot de football au monde avec un code QR” visant à défendre les droits humains au Qatar en vue de la Coupe du monde 2022.

Le maillot, développé en collaboration avec Amnesty International, comporte un code QR qui, lorsqu’il est scanné, renvoie les utilisateurs vers un site web contenant des informations sur les droits de l’homme et le sportswashing.

“En faisant cela, nous espérons susciter plus de discussions, plus de débats. Nous voulons voir plus d’action”, a déclaré Tom Hogli, un ancien joueur aujourd’hui en charge des relations publiques au club norvégien IL Tromso, en présentant le maillot.

IL Tromso a déclaré être le premier club professionnel à demander le boycott de la Coupe du monde au Qatar pour protester contre les conditions des travailleurs migrants dans l’émirat.

Il apparaît en conclusion que pour les régimes politiques, investir dans des événements sportifs internationaux qui attirent l’attention de milliards de personnes dans le monde entier soit une bonne occasion de laver leurs crimes et de détourner l’attention des gens des violations des droits de l’homme, comme l’occupation de terres, le meurtre de personnes, la torture de critiques et le massacre d’opposants.

Et lorsque ces violations et abus des droits de l’homme sont mentionnés, nous ne pouvons que penser à l’occupation israélienne, à l’Arabie saoudite et au Qatar.

7 janvier 2022 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine