La reconnaissance d’un « État palestinien » n’est pas la panacée que l’on imagine

8 juin 2018 : Une fillette palestinienne dans la foule des fidèles qui passent le barrage militaire de Qalandia, le dernier vendredi du Ramadan - Photo : Anne Paq/ActiveStills.org

Par Yara Hawari

Un acte politique symbolique ne peut pas mettre fin aux crimes israéliens ni accorder la souveraineté aux Palestiniens.

Alors que le génocide à Gaza fait rage, plusieurs pays européens, dont l’Espagne et l’Irlande, ont annoncé qu’ils s’apprêtaient à reconnaître l’État de Palestine.

Le nouveau premier ministre irlandais, Simon Harris, a déclaré qu’un groupe de pays partageant les mêmes idées et reconnaissant officiellement un État palestinien « donnerait du poids à la décision et […] enverrait le message le plus fort ».

De leur côté, les responsables espagnols ont fait valoir que cela pourrait inciter d’autres pays à faire de même. Actuellement, la plupart des pays du Sud, mais très peu de pays occidentaux, reconnaissent l’État de Palestine.

Dans l’état actuel des choses, la reconnaissance de l’État de Palestine est une démarche politique et symbolique : elle marque la reconnaissance du droit des Palestiniens à la souveraineté sur la Cisjordanie et la bande de Gaza.

En réalité, cette souveraineté n’existe pas : en tant que force d’occupation, le régime israélien maintient un contrôle de facto sur les deux territoires et contrôle effectivement tout ce qui y entre et en sort, y compris les personnes.

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Récemment, des mesures ont été prises pour accorder à la Palestine le statut de membre à part entière des Nations unies et reconnaître ainsi son statut d’État au niveau de l’ONU.

À la mi-avril, une résolution a été présentée au Conseil de sécurité des Nations unies, qui aurait ouvert la voie à l’adhésion pleine et entière de la Palestine. Douze membres du Conseil de sécurité ont voté en faveur de cette résolution mais, sans surprise, les États-Unis ont bloqué l’initiative en utilisant leur droit de veto.

Comme on pouvait s’y attendre, le Royaume-Uni et la Suisse se sont abstenus. Avant le vote, l’administration Biden a proposé au président palestinien Mahmoud Abbas une rencontre à la Maison Blanche en échange de la suspension de la candidature.

Abbas a décliné l’offre, probablement encore sous le choc de l’année dernière, lorsqu’il aurait accepté une offre similaire et n’a jamais reçu l’invitation à la Maison Blanche.

En effet, il est arrivé à de nombreuses reprises que l’Autorité palestinienne suspende son action aux Nations unies à la demande des Américains en échange d’un retour dérisoire, ou d’aucun retour du tout.

Certains Palestiniens et certaines organisations internationales de défense des droits de l’homme affirment que la reconnaissance est une étape cruciale pour garantir les droits fondamentaux des Palestiniens et qu’elle offre davantage de possibilités juridiques pour demander des comptes au régime israélien.

Pourtant, il est difficile d’imaginer comment la reconnaissance d’un État qui n’existe pas pourrait changer la réalité sur le terrain pour les Palestiniens confrontés à un effacement systématique.

En fait, il convient de se demander si certains États n’encouragent pas ce geste politique symbolique dans le contexte d’un génocide en cours pour éviter de prendre des mesures beaucoup plus tangibles, telles que des embargos sur les armes et le commerce et des sanctions contre le régime israélien, afin de soutenir les Palestiniens et de réaffirmer leur droit à la souveraineté.

Par exemple, l’Espagne – l’une des principales voix appelant à la reconnaissance – a exporté en novembre pour un million de dollars de munitions vers le régime israélien, qui avait déjà tué des milliers de personnes à Gaza.

Dans le même temps, les exportations irlandaises de biens à « double usage » soumis à des restrictions et susceptibles d’être utilisés à des fins militaires ont presque été multipliées par sept en 2023, passant de 11 millions d’euros (11,8 millions de dollars) à plus de 70 millions d’euros (75 millions de dollars).

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Malgré les appels de plus en plus nombreux à mettre fin à toutes les relations commerciales entre l’Irlande et le régime israélien, ces exportations se poursuivent encore aujourd’hui.

On peut donc se demander ce que signifie la reconnaissance de l’existence d’un État pour un peuple si l’on reste complice du financement, de l’armement et de l’équipement du régime qui extermine le peuple même de cet État.

Mais pour la plupart des diplomates et des fonctionnaires étrangers, le point essentiel de l’argument de la reconnaissance est qu’il ravivera la « solution à deux États » dans ce qui est pourtant considéré comme une impasse politique.

Une solution qui, fondée sur la partition de la terre de la Palestine historique, ne reconnaît pas les droits fondamentaux des Palestiniens dans leur intégralité et accepte de fait l’apartheid israélien.

En effet, la solution à deux États exige que les Palestiniens du monde entier renoncent à leurs droits sur leurs terres et leurs biens dans la Palestine historique et acceptent à la place un État tronqué dans les terres occupées en 1967.

En outre, elle exige que les Palestiniens acceptent le sionisme comme une idéologie légitime plutôt que comme une idéologie de domination coloniale.

Aujourd’hui, outre le génocide de Gaza, qui a vu les forces israéliennes massacrer plus de 34 000 Palestiniens et détruire 70 % des infrastructures de l’enclave, la Cisjordanie est confrontée à un nombre sans précédent de vols de terres, de constructions de colonies, de destructions d’habitations et de violences de la part des soldats et des colons.

Cette réalité est le résultat plutôt prévisible de décennies de promotion d’un cadre de solution défectueux qui favorise une partition coloniale de la justice et de la liberté.

C’est pourquoi ce dont les Palestiniens ont besoin en ce moment de la part de la communauté internationale, ce n’est pas la reconnaissance symbolique d’un État inexistant, mais d’une action tangible, y compris des embargos commerciaux et des sanctions contre le régime israélien pour le tenir responsable de ses crimes continus à travers la Palestine colonisée.

Alors que le génocide fait rage, Gaza continue d’enseigner au monde de nombreuses choses, notamment que le peuple palestinien ne peut pas être « siphonné dans des bantoustans » et oublié. En effet, la partition ne sera jamais une solution durable ou à long terme et la dite communauté internationale doit se rendre à l’évidence.

26 avril 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah