Pourquoi l’Afrique doit rejeter l’apartheid et le colonialisme israéliens

Foule en liesse devant l’ambassade d’Afrique du Sud à Londres, en 1991, à la suite de l’annonce de l’abolition des lois de l’apartheid - Photo : Roger-Violet

Par Ramzy Baroud

Le clivage actuel au sein de l’Union africaine (UA) concernant le statut d’observateur d’Israël, est emblématique d’un conflit plus large qui pourrait potentiellement entraîner une rupture au sein des plus grandes institutions politiques du continent africain.

L’Afrique est actuellement confrontée à l’une de ses décisions les plus cruciales concernant la Palestine et Israël.

Les répercussions de cette décision pourraient être aussi importantes que la résolution 77 (XII) adoptée en 1975 par l’Organisation de l’unité africaine – le précurseur de l’Union africaine – qui a reconnu le sionisme, l’idéologie fondatrice d’Israël, comme une forme de racisme.

Cette fois-ci, cependant, c’est la Palestine, et non Israël, qui a tout à perdre.

Les manœuvres d’Israël pour obtenir le statut d’observateur à l’UA ont débuté il y a des années. Depuis longtemps, la plupart des pays africains ont rompu tout lien avec Israël, par solidarité avec la Palestine et d’autres pays arabes.

Mais le boycott africain, qui est devenu effectif en 1973, s’est progressivement essoufflé peu après que les dirigeants palestiniens ont eux-mêmes signé une série d’accords avec Israël, à commencer par les accords d’Oslo de 1993.

Voyant les Palestiniens et d’autres pays arabes “faire du business” avec Israël, certains pays africains ont estimé que leur solidarité n’avait plus aucun sens, d’où la reprise de liens diplomatiques avec Tel Aviv.

Depuis lors, Israël s’est activé sans relâche pour renforcer sa présence en Afrique. Actuellement, Israël est reconnu par 46 des 55 membres de l’Union Africaine. De plus, il possède 17 ambassades et 12 consulats sur l’ensemble du continent.

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Parmi les dernières victoires diplomatiques d’Israël figurent les liens avec le Tchad en 2019, le Maroc et le Soudan en 2020, tous les trois étant des pays à majorité musulmane.

Si l’on garde à l’esprit les succès israéliens, rien ne permet de penser que l’Autorité palestinienne ait jamais organisé une contre-campagne consistante et coordonnée en Afrique pour regagner le soutien d’une région qui a servi d’épine dorsale à la solidarité internationale avec le peuple palestinien pendant de nombreuses années.

Cette solidarité s’était dans le passé illustrée par d’innombrables déclarations de dirigeants africains, comme celle du premier dirigeant de la libération nationale tanzanienne, Mwalimu Julius Nyerere, qui avait déclaré : “Nous n’avons jamais hésité à soutenir le droit du peuple de Palestine à avoir sa propre terre.”

Cette affirmation a été réitérée par de nombreux dirigeants africains à d’innombrables occasions au fil des années.

La solidarité de l’Afrique avec la Palestine était elle-même fondée sur la solidarité palestinienne et arabe avec le continent africain. Historiquement, les Palestiniens ont inclus leur lutte de libération dans le même contexte que les luttes de libération de nombreuses nations africaines contre le colonialisme occidental.

Cela explique le libellé de la résolution 77 (XII) susmentionnée, qui mettait sur un pied d’égalité “le régime raciste de la Palestine occupée et les régimes racistes du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud”, car ils sont tous fondés sur la même “origine impérialiste commune… (et sont) organiquement liés dans leur politique visant à réprimer la dignité et l’intégrité de l’être humain”.

Beaucoup de choses ont changé ces dernières années, non seulement de la part de nombreuses nations africaines, mais aussi de la part des Palestiniens.

Une nouvelle “ruée vers l’Afrique“, lancée par les États-Unis et autres vautours occidentaux occidentaux, mais aussi par la Russie, la Chine et Israël, oblige de nombreux pays du continent à adopter une approche “pragmatique”, en abandonnant l’ancien discours de la libération et de la décolonisation au profit du discours dominant sur la prétendue innovation technologique et en mettant l’accent sur la lutte contre le terrorisme.

Israël se présentant comme une “superpuissance montante”, de nombreux pays africains font la queue et achètent des drones israéliens, ainsi que des technologies de contrôle et de surveillance de masse.

Mais les dirigeants palestiniens ont eux aussi changé. Avec une “coordination répressive” continue entre l’Autorité palestinienne et Israël, les Palestiniens envoient des messages confus à leurs anciens alliés en Afrique et partout ailleurs.

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“Sur la base de vos positions historiques déclarées et de votre soutien au droit palestinien… nous demandons le retrait et le refus du statut d’observateur d’Israël à l’Union africaine”, a déclaré le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammed Shtayyeh, lors du sommet de l’UA le 5 février.

En fait, ce sont ces contradictions qui ont encouragé des gens comme Moussa Faki Mahamat qui, en tant que président de la Commission de l’UA, avait décidé en juillet dernier. d’accorder à Israël le statut d’observateur.

Les pays africains qui se sont opposés à la décision de M. Faki ont fait valoir, lors du sommet de l’UA en février, que cette décision était illégale et qu’elle ne reflétait pas la volonté collective des États africains. Faki a répliqué alors qu’un tel point de vue reflètait les “deux poids, deux mesures” de ces pays. “Ledit État – en référence à Israël – est-il (acceptable) au niveau national, alors qu’il ne peut pas l’être (accepté) au niveau africain ? Franchement, j’aimerais que quelqu’un m’explique ce genre de double standard”, a déclaré Faki le 7 février.

En vérité, Faki avait ses propres raisons d’accorder à Israël le statut tant convoité. Le président de la Commission de l’UA était ministre des Affaires étrangères du Tchad jusqu’en 2017.

Bien que le Tchad n’ait officialisé ses liens diplomatiques avec Israël qu’en 2019, le premier diplomate de ce pays du nord de l’Afrique centrale doit avoir joué un rôle important en ouvrant la voie à la connexion officielle N’Djamena-Tel Aviv.

Faki avait peut-être estimé que les succès diplomatiques d’Israël dans son pays et dans d’autres pays africains ces dernières années signifiait que l’Afrique était prête à ouvrir inconditionnellement les bras à Israël, et que des décennies de solidarité croisée entre l’Afrique et la Palestine ne pèseront guère dans la décision de l’UA.

Le sommet de février a cependant prouvé le contraire, à savoir que l’Afrique n’a pas totalement succombé aux pressions occidentales et israéliennes et que la Palestine continue de bénéficier d’un fort soutien politique sur le continent, malgré les nombreuses critiques que l’on peut adresser à la direction palestinienne.

Le soutien solide dont bénéficie la Palestine au sein d’un bloc influent de l’UA, en plus du soutien populaire que la cause palestinienne continue de recevoir dans toute l’Afrique, indique que, malgré les erreurs du passé, la Palestine reste une question centrale sur le continent.

Cependant, pour qu’Israël ne couronne pas ses avancées diplomatiques en Afrique avec un statut d’observateur à l’UA, les Palestiniens et leurs partisans doivent agir rapidement pour formuler une contre-stratégie.

Ils leur revient de travailler main dans la main avec les gouvernements africains qui rejettent l’adhésion d’Israël et de mobiliser les nombreuses organisations de la société civile à travers le continent afin d’envoyer un message fort et collectif à Israël, à savoir qu’il n’est pas le bienvenu en Afrique.

Une région qui a payé, et continue de payer un lourd tribut au colonialisme, au néocolonialisme et à l’apartheid n’a pas besoin de “faire des affaires” avec un autre régime colonial d’apartheid.

16 février 2022 – Ramzy Baroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah