
Une fillette palestinienne attend un bol de riz dans une cantine caritative à Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 8 octobre 2025 - Photo : Majdi Fathi
Par Jonathan Cook
Cette guerre brutale contre les Palestiniens n’a pas seulement libéré les démons d’Israël. Elle a également démasqué nos propres régimes, qui répriment l’activisme humanitaire.
Les anniversaires sont souvent l’occasion de faire la fête. Mais qui aurait pu imaginer en octobre 2023 que nous célébrerions aujourd’hui le deuxième anniversaire d’un génocide, documenté dans les moindres détails sur nos téléphones chaque jour pendant 24 mois ?
Un génocide qui aurait pu être arrêté à tout moment si les États-Unis et leurs alliés en avaient décidé ainsi.
Il s’agit d’un anniversaire si honteux que personne au pouvoir ne souhaite qu’on s’en souvienne. Au contraire, ils nous encouragent activement à oublier que le génocide est en cours, même à son apogée. Les crimes incessants d’Israël contre la population de Gaza ne font pratiquement plus la une de l’actualité.
Il y a là une leçon effrayante, qui s’applique aussi bien à Israël qu’à ses protecteurs occidentaux. Un génocide n’a lieu – et n’est permis – que lorsqu’une profonde maladie s’est installée dans l’âme collective des auteurs.
Au cours des 80 dernières années, les sociétés occidentales se sont attaquées – ou du moins ont cru s’attaquer – aux racines de ce mal.
Pour un monde sans frontières, sans racisme et sans violence politique
Elles se sont demandé comment un Holocauste avait pu se produire en leur sein, dans une Allemagne qui occupait une place centrale dans le monde occidental moderne, supposé « civilisé ».
Ils imaginaient – ou prétendaient imaginer – que leur méchanceté avait été extirpée, leur culpabilité lavée, grâce au parrainage d’un « État juif ».
Cet État, établi de manière violente en 1948 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, servait de protectorat européen sur les ruines de la patrie du peuple palestinien.
Notons que le Moyen-Orient était justement une région que l’Occident tenait désespérément à contrôler, malgré les demandes croissantes des Arabes qui réclamaient la fin de plus d’un siècle de colonialisme occidental brutal.
Pourquoi ? Parce que la région était récemment devenue le réservoir de pétrole mondial.
Tragédie, puis farce
L’objectif même d’Israël, inscrit dans l’idéologie du sionisme, ou suprématie juive au Moyen-Orient, était d’agir comme un mandataire du colonialisme occidental. Il s’agissait d’un État client implanté dans la région pour maintenir l’ordre au nom de l’Occident, tandis que celui-ci faisait semblant de se retirer de la région.
Cette vision d’ensemble – que les politiciens et les médias occidentaux refusent de reconnaître – est le contexte dans lequel s’inscrivent tous les événements qui se sont déroulés depuis lors, y compris l’actuelle campagne génocidaire d’Israël à Gaza.
Deux ans plus tard, ce qui aurait dû être évident dès le départ devient de plus en plus difficile à ignorer : le génocide n’avait rien à voir avec l’attaque d’une journée menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Le génocide n’a jamais été une question d’« autodéfense ». Il était prédéterminé par les impératifs idéologiques du sionisme.
L’évasion du Hamas de Gaza – un camp de prisonniers dans lequel les Palestiniens avaient été parqués des décennies plus tôt, après leur expulsion de leur patrie – a fourni le prétexte. Elle a trop facilement libéré les démons qui se cachaient depuis longtemps dans l’âme de la classe politique israélienne.
Et surtout, cela a libéré des démons similaires, bien que mieux dissimulés, au sein de la classe dirigeante occidentale, ainsi que dans certaines parties de leurs sociétés fortement conditionnées à croire que les intérêts de la classe dirigeante coïncident avec les leurs.
Deux ans après le début du génocide, l’Occident reste profondément enfermé dans sa bulle de déni auto-générée quant à ce qui se passe à Gaza et au rôle qu’il y joue.
« L’histoire se répète », comme le dit le proverbe, « d’abord comme une tragédie, puis comme une farce ».
On pourrait en dire autant des « processus de paix ». Il y a trente ans, l’Occident a imposé aux Palestiniens les accords d’Oslo en leur promettant la création d’un État.
Oslo fut une tragédie. Il a conduit à une rupture idéologique au sein du mouvement national palestinien, à un approfondissement de la fracture géographique entre une population emprisonnée en Cisjordanie occupée et une population encore plus durement emprisonnée à Gaza, à l’utilisation croissante par Israël de nouvelles technologies pour confiner, surveiller et opprimer les deux groupes de Palestiniens, et enfin à la brève évasion du Hamas du camp de prisonniers de Gaza et à la « réponse » génocidaire d’Israël.
Aujourd’hui, le « plan de paix » en 20 points du président américain Donald Trump offre une véritable farce : un gangstérisme sans vergogne déguisé en « solution » au génocide de Gaza.
L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, un criminel de guerre qui, aux côtés de son homologue américain George W. Bush, a détruit l’Irak il y a plus de deux décennies, va dicter sa loi au peuple de Gaza au nom d’Israël.
Document de capitulation
Gaza, et pas seulement le Hamas, est confrontée à un ultimatum : « Acceptez l’accord, ou nous vous mettrons dans des bottes en béton et vous coulerons dans la Méditerranée. »
Derrière cette menace se cache la probabilité que, même si le Hamas se sent obligé de signer ce document de capitulation, la population de Gaza finira tout de même dans des bottes en béton.
La population de Gaza est tellement désespérée de voir cesser le massacre qu’elle est prête à accepter presque n’importe quoi. Mais il est purement illusoire de croire qu’un État qui a passé deux ans à mener un génocide puisse être digne de confiance pour respecter un cessez-le-feu ou honorer les termes d’un plan de paix, même s’il est fortement biaisé en sa faveur.
La farce du plan de paix de Trump – son « accord du millénaire » – est évidente dès le premier de ses 20 points : « Gaza sera une zone déradicalisée, exempte de terrorisme, qui ne constituera pas une menace pour ses voisins ».
Les auteurs du document ne se demandent pas plus ce qui a pu « radicaliser » Gaza que ne l’ont fait les capitales occidentales lorsque le Hamas, interdit au Royaume-Uni et dans d’autres pays en tant que groupe terroriste, s’est échappé de l’enclave carcérale avec une grande violence le 7 octobre 2023.
Les habitants de Gaza sont-ils simplement nés radicaux, ou sont-ils devenus radicaux à cause des événements ?
Ont-ils été « radicalisés » lorsque Israël les a ethniquement nettoyés de leurs terres d’origine, dans ce qui est aujourd’hui l’« État juif » autoproclamé d’Israël, et les a parqués dans le minuscule enclos de Gaza ?
Ont-ils été « radicalisés » par la surveillance et l’oppression dont ils ont été victimes pendant des décennies dans une prison dystopique à ciel ouvert ?
Était-ce le fait d’avoir vécu pendant 17 ans sous un blocus terrestre, maritime et aérien imposé par Israël, qui leur a refusé le droit de voyager ou de commercer et a contraint leurs enfants à suivre un régime alimentaire qui les a laissés mal nourris ?
Ou peut-être ont-ils été radicalisés par le silence des protecteurs occidentaux d’Israël, qui ont fourni les armes et récolté les fruits de leur travail : les dernières technologies de confinement, testées sur le terrain par Israël sur la population de Gaza.
La vérité ignorée dans le premier point du « plan de paix » de Trump est qu’il est tout à fait normal d’être « radicalisé » lorsque l’on vit dans une situation extrême. Et il n’y a pas d’endroit sur la planète plus extrême que Gaza.
Les « cafards » et les « serpents »
Ce n’est pas Gaza qui a besoin d’être « déradicalisée ». C’est l’Occident et son État client israélien.
Il n’est guère nécessaire d’expliquer pourquoi Israël doit être déradicalisé. Sondage après sondage, les Israéliens se déclarent non seulement favorables à l’anéantissement que leur État est en train de mener à Gaza, mais ils estiment que leur gouvernement doit se montrer encore plus agressif, encore plus génocidaire.
En mai dernier, alors que les bébés palestiniens dépérissaient à cause du blocus israélien sur la nourriture et l’aide humanitaire, 64 % des Israéliens ont déclaré qu’ils pensaient qu’« il n’y avait pas d’innocents » à Gaza, un endroit où environ la moitié des deux millions d’habitants sont des enfants.
Ce chiffre serait encore plus élevé s’il ne reflétait que l’opinion des juifs israéliens. L’enquête a inclus le cinquième de la population israélienne qui est palestinienne, survivante des expulsions massives de 1948 lors de la création d’Israël, soutenue par les pays occidentaux.
Cette minorité très opprimée a été totalement ignorée au cours des deux dernières années.
Une autre enquête menée plus tôt cette année a révélé que 82 % des Juifs israéliens étaient favorables à l’expulsion des Palestiniens de Gaza. Plus de la moitié, soit 56 %, soutenaient également l’expulsion forcée des citoyens palestiniens d’Israël, même si cette minorité est restée discrète tout au long du génocide, craignant de subir des représailles si elle s’exprimait.
En outre, 47 % des juifs israéliens approuvaient le massacre de tous les habitants de Gaza, y compris les enfants.
Les crimes supervisés par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, souvent présenté par les étrangers comme une sorte d’aberration, sont tout à fait représentatifs du sentiment général qui règne en Israël.
La ferveur génocidaire de la société israélienne est un secret de polichinelle. Les soldats inondent les réseaux sociaux de vidéos célébrant leurs crimes de guerre. Des adolescents israéliens réalisent des vidéos humoristiques sur TikTok approuvant la famine des bébés à Gaza.
La télévision d’État israélienne diffuse un chœur d’enfants prônant l’anéantissement de Gaza.
Ces opinions ne sont pas simplement une réaction aux horreurs qui se sont déroulées en Israël le 7 octobre 2023. Comme le montrent régulièrement les sondages, le racisme profond envers les Palestiniens existe depuis des décennies.
Ce n’est pas l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant qui a lancé la tendance à qualifier les Palestiniens de Gaza d’« animaux humains ». Depuis la création d’Israël, les politiciens et les chefs religieux les décrivent comme des « cafards », des « chiens », des « serpents » et des « ânes ». C’est ce long processus de déshumanisation qui a rendu le génocide possible.
Ce n’est pas l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant qui a lancé la tendance à qualifier les Palestiniens de Gaza d’« animaux humains ». Depuis la création d’Israël, les politiciens et les chefs religieux les décrivent comme des « cafards », des « chiens », des « serpents » et des « ânes ».
C’est ce long processus de déshumanisation qui a rendu le génocide possible.
En réponse au soutien massif exprimé en Israël en faveur de l’extermination à Gaza, Orly Noy, journaliste et militante israélienne chevronnée, est parvenue le mois dernier à une conclusion douloureuse sur le site web +972 : « Nous assistons à la phase finale de la nazification de la société israélienne ».
Des décennies de pratiques génocidaires et de racisme institutionnalisé
Elle a également souligné que ce problème découle d’une idéologie dont la portée dépasse largement les frontières d’Israël : « L’holocauste de Gaza a été rendu possible par l’adhésion à la logique ethno-supremaciste inhérente au sionisme. Il faut donc le dire clairement : le sionisme, sous toutes ses formes, ne peut être lavé de la souillure de ce crime. Il doit être aboli. »
Qui a besoin d’être déradicalisé ?
Alors que le génocide se poursuit semaine après semaine, mois après mois, sans aucun lien avec les événements du 7 octobre 2023, et que les dirigeants occidentaux continuent de justifier leur inaction, une prise de conscience beaucoup plus profonde s’impose.
Il ne s’agit pas seulement d’un démon déchaîné parmi les Israéliens. Il s’agit d’un démon dans l’âme de l’Occident. C’est nous – le bloc de pouvoir qui a créé Israël, qui arme Israël, qui finance Israël, qui indulge Israël, qui excuse Israël – qui avons vraiment besoin d’être déradicalisés.
L’Allemagne a connu un processus de « dénazification » après la fin de la Seconde Guerre mondiale, processus qui, comme le montre clairement la répression acharnée menée par l’État allemand contre toute opposition publique au génocide à Gaza, n’a jamais été mené à terme.
Une campagne de déradicalisation bien plus profonde que celle à laquelle a été soumise l’Allemagne nazie est désormais nécessaire en Occident, afin que la normalisation du meurtre de dizaines de milliers d’enfants, retransmis en direct sur nos téléphones, ne puisse plus jamais se reproduire.
Une déradicalisation qui rendrait inconcevable que nos propres citoyens se rendent en Israël pour participer au génocide de Gaza, puis soient accueillis à bras ouverts dans leur pays d’origine.
Une déradicalisation qui signifierait que nos gouvernements ne pourraient pas envisager d’abandonner silencieusement leurs propres citoyens – des citoyens qui ont rejoint une flottille humanitaire pour tenter de briser le siège illégal imposé par Israël à Gaza, qui affame la population – aux voyous du ministre fasciste israélien de la police.
Une déradicalisation qui rendrait inconcevable pour le Premier ministre britannique Keir Starmer, ou d’autres dirigeants occidentaux, d’accueillir le président israélien Isaac Herzog, qui, au début du massacre à Gaza, a fourni la justification centrale du génocide, arguant que personne là-bas – pas même son million d’enfants – n’était innocent.
Une déradicalisation qui rendrait évident pour les gouvernements occidentaux qu’ils doivent respecter la décision rendue l’année dernière par la Cour internationale de justice, et non l’ignorer : Israël doit être contraint de mettre immédiatement fin à son occupation illégale des territoires palestiniens, qui dure depuis des décennies, et ils doivent procéder à l’arrestation de Netanyahu, soupçonné de crimes contre l’humanité, comme l’a spécifié la Cour pénale internationale.
Une déradicalisation qui rendrait absurde que Shabana Mahmood, ministre britannique de l’Intérieur, qualifie les manifestations contre un génocide qui dure depuis deux ans de « fondamentalement non britanniques » – ou propose de mettre fin au droit de manifester, établi de longue date, mais uniquement lorsque l’injustice est si flagrante, le crime si inadmissible, qu’il pousse les gens à manifester à plusieurs reprises.
Debout ensemble
Mahmood justifie cette érosion quasi fatale du droit de manifester en arguant que les manifestations régulières ont un « impact cumulatif ». Elle a raison. Elles ont effectivement un impact : elles révèlent au grand jour le caractère fallacieux des prétentions de notre gouvernement à défendre les droits humains et à représenter autre chose qu’une politique brutale où seule la loi du plus fort prévaut.
Une déradicalisation s’impose depuis longtemps, et pas seulement pour mettre fin aux crimes commis par l’Occident contre la population de Gaza et de toute la région du Moyen-Orient.
Déjà, alors que nos dirigeants normalisent leurs crimes à l’étranger, ils normalisent les crimes connexes chez eux. Les premiers signes en sont la qualification de « haine » de l’opposition au génocide et de « terrorisme » des efforts concrets visant à mettre fin au génocide.
La campagne de diabolisation s’intensifiera, tout comme la répression des droits fondamentaux et chers à nos cœurs depuis longtemps.
Israël a déclaré la guerre au peuple palestinien. Et nos dirigeants nous déclarent lentement la guerre, qu’il s’agisse de ceux qui protestent contre le génocide à Gaza ou de ceux qui s’opposent au génocide de la planète par un Occident axé sur la consommation.
Nous sommes isolés, calomniés et menacés. Il est temps de nous unir avant qu’il ne soit trop tard. Il est temps de faire entendre votre voix.
Auteur : Jonathan Cook

8 octobre 2025 – Middle-East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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