Bombardement de l’hôpital Al-Ahli : Israël se livre à son rituel post-atrocités

Après le bombardement israélien terriblement meurtrier l'hôpital sur al-Ahli, dans la ville de Gaza, mercredi 18 octobre 2023 - Photo: Abed Khaled

Par Mohamad Elmasry

Les efforts d’Israël pour rejeter sur d’autres la responsabilité des atrocités qu’il a commises contre les Palestiniens avec le fervent concours des médias occidentaux ne devrait surprendre personne.

Dans la soirée du mardi 17 octobre, une frappe sur l’hôpital arabe al-Ahli de Gaza, souvent appelé l’hôpital baptiste, a tué au moins 500 personnes, principalement des femmes et des enfants.

Les scènes du massacre, telles que décrites par les témoins et montrées dans des vidéos diffusées par les chaînes d’informations étaient, comme on peut l’imaginer, atroces.

On pouvait voir sur les images des morceaux de corps éparpillés dans l’enceinte de l’hôpital et des médecins pratiquant des opérations d’urgence dans les couloirs sans anesthésie. Des vidéos prises à l’intérieur de l’hôpital montraient des parents palestiniens criant et pleurant aux côtés de leurs enfants morts.

Vidéo al-Quds – Au 16ème jour de l’agression israélienne contre Gaza, les civils et notamment les enfants continuent d’être massacrés par l’aviation israélienne.

Les responsables palestiniens ont imputé l’explosion à l’une des nombreuses bombes israéliennes larguées sur Gaza depuis le 7 octobre.

Israël de son côté a, comme on pouvait s’y attendre, affirmé qu’une roquette palestinienne était responsable du massacre de l’hôpital.

La réaction d’Israël au bombardement de l’hôpital – crime de guerre selon le droit international – est conforme à celle qu’il adopte rituellement après chaque atrocité.

Le rituel est à peu près le suivant : Israël commet une atrocité eu égard aux droits de l’homme, dément immédiatement avoir quoi que ce soit à voir avec celle-ci, dit avoir des preuves solides que ce sont les Palestiniens qui l’ont commise, puis attend de voir si quelqu’un réussit à prouver ce qui s’est réellement passé.

Si finalement il devient évident qu’Israël a bien commis l’atrocité, il endosse silencieusement la responsabilité, mais à cette étape l’attention du monde s’est déjà portée sur autre chose.

C’est exactement ce rituel qu’Israël a suivi l’an dernier, après avoir assassiné Shireen Abu Akleh, journaliste chevronnée d’Al Jazeera américano-palestinienne.

Immédiatement après l’assassinat en mai 2022, le premier ministre d’alors Neftali Bennet a accusé les Palestiniens de « rejeter sans fondement la responsabilité sur Israël. » À l’époque Bennett a déclaré, « d’après les informations que nous avons récoltées, il apparaît probable que des Palestiniens armés – qui tiraient sans discernement à ce moment-là – soient responsables de la mort malheureuse de la journaliste. »

Le ministre de la défense d’alors Benny Gantz avait dit en privé que « aucun tir [israélien] n’était dirigé contre la journaliste, » et que l’armée israélienne avait « vu des vidéos montrant des terroristes palestiniens tirant à l’aveugle ».

Plus tard dans l’année, toutefois, et après de multiple enquêtes prouvant sans l’ombre d’un doute que Shireen Abu Akleh avait été tuée par un tir israélien, le gouvernement israélien a finalement admit qu’il y avait une forte probabilité que c’était une balle israélienne qui avait tué la journaliste portant une chasuble clairement identifiée presse et un casque.

Néanmoins, les démentis initiaux d’Israël furent largement repris par les médias occidentaux, jetant un doute significatif sur la culpabilité d’Israël dans ce meurtre.

Le même rituel fut également suivi en 2003 lorsqu’Israël assassinat Rachel Corrie, étudiante américaine de 23 ans. Elle a été écrasée par un bulldozer israélien alors qu’elle tentait d’empêcher les démolitions illégales d’habitations palestiniennes. Immédiatement après avoir tué Rachel Corrie, l’armée israélienne avait déclaré qu’il s’agissait d’un malheureux accident dont Corrie, elle-même, était la cause.

En septembre 2000, au cours de la seconde Intifada palestinienne, le monde arabe a été ému par les images d’un jeune garçon palestinien de 12 ans, Mohammed Al-Durrah, pleurant et se cachant derrière son père, Jamal Al-Durrah, avant d’être finalement abattu par un sniper israélien.

Le meurtre de Mohammed aux mains de l’armée israélienne fut clairement saisi sur vidéo. Cela, n’a pourtant pas empêché Israël de suivre son rituel habituel et d’essayer de faire porter la responsabilité à d’autres.

Immédiatement après le meurtre de l’enfant, des responsables israéliens ont crié sur tous les toits qu’il était « considérablement plus probable que des tireurs palestiniens soient à l’origine des [tirs qui avaient tué Al-Durrah]. »

Au fil des années, le même scénario s’est répété maintes et maintes fois tandis qu’Israël commettait des atrocités à répétition, niait toute responsabilité et ne revenait sur ses démentis non fondés que lorsque des preuves du contraire ne devenaient que trop convaincantes et que l’attention monde s’était portée ailleurs.

Cette démarche s’est avérée bénéfique pour Israël car cela lui a fait gagner un temps précieux auprès de l’opinion publique.

Étant donné que le discours israélien domine les reportages dans les médias occidentaux, ce rituel post-atrocités a permis à Israël de créer un récit médiatique contesté et de jeter le doute sur les preuves évidentes de ses crimes et excès.

En ce sens, la couverture médiatique occidentale du bombardement de l’hôpital al-Ahli et son explication étaient prévisibles.

Il existe déjà un grand nombre de recherches universitaires indiquant que les grands médias d’information occidentaux sympathisent avec Israël et ignorent ou minimisent largement ses violations des droits de l’homme à l’encontre des Palestiniens.

Au cours des dix premiers jours de la crise actuelle, les médias occidentaux se sont comportés comme prévu. Ils ont privilégié le point de vue israélien, étouffé les voix palestiniennes, et évoqué sans cesse « le droit d’Israël à se défendre » et « d’agression palestinienne ».

Dans les jours qui ont précédé le bombardement de l’hôpital, la BBC a produit plusieurs reportages sur de supposés tunnels du Hamas creusés sous des bâtiments publics, dont des écoles et des hôpitaux. Ce genre de reprise critique de la propagande israélienne par les médias occidentaux ne nécessite pas de grandes explications pour comprendre comment il contribue à l’efficacité du rituel post-atrocités trompeur d’Israël.

Quand la poussière retombera, des enquêtes indépendantes montreront inévitablement qu’Israël, qui avait déjà bombardé des bâtiments résidentiels, des mosquées, des banques et universités, et qui avait déjà tué des milliers de Palestiniens de Gaza, dont 750 enfants [bien plus de 1000, à la date du 22 octobre – NdT], est le responsable du bombardement de l’hôpital al-Ahli.

Et quand la poussière retombera, il est probable que les médias occidentaux n’accorderont pas autant de visibilité à la culpabilité d’Israël qu’il n’en a accordé à ses démentis.

18 octobre 2023 – Al-Jazeera – Traduction: Chronique de Palestine – MJB