Sabra et Chatila, septembre 1982 : un massacre par procuration

Portaits de quelques-unes des victimes du massacre péerpétré par les milices libanaises, avec le concours actif de l'armée israélienne - Photo : Anwar Amro

Par Maher Charif

Le massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth, au cours duquel plus de 3 000 civils palestiniens et libanais ont été massacrés en l’espace de trois jours (16-18 septembre 1982), a été perpétré au lendemain du départ de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), malgré les promesses de protection.

En moins de vingt-quatre heures, le massacre est devenu l’événement le plus commenté de l’actualité internationale. Les chaînes de télévision étrangères et nationales ont diffusé des images du massacre, et de nombreux écrivains et journalistes étrangers de renom – dont l’écrivain français Jean Genet et le journaliste britannique Robert Fisk – se sont rendus sur place le lendemain du départ des assaillants.

Le camp de réfugiés de Chatila est l’un des premiers camps de réfugiés palestiniens installés à Beyrouth et l’un des plus petits en termes de superficie.

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Au fur et à mesure que le nombre d’habitants augmentait, les modestes maisons des réfugiés s’étaient rapprochées du quartier adjacent de Sabra, raison pour laquelle ces deux « camps » étaient communément appelés Sabra et Chatila. Outre les résidents palestiniens, ils abritaient, avant le massacre, de nombreux Libanais, Syriens, Égyptiens, Jordaniens et autres.

Le 6 juin 1982, les forces israéliennes ont envahi le Liban depuis le sud jusqu’à la périphérie de Beyrouth. Elles ont imposé un siège à la ville pendant près de trois mois, siège auquel les forces conjointes palestino-libanaises ont farouchement résisté.

Après d’intenses efforts diplomatiques, le 11 août, l’émissaire américain Philip Habib et le premier ministre libanais Shafik Wazzan sont parvenus à un accord stipulant que l’OLP évacuerait ses troupes de Beyrouth-Ouest, sous la supervision d’une force multinationale composée de forces américaines, françaises et italiennes.

En échange, le gouvernement israélien s’engageait à ce que ses forces ne pénètrent pas dans Beyrouth-Ouest et fournissait des garanties – elles-mêmes garanties par les États-Unis – sur la protection des civils palestiniens à l’intérieur des camps.

Le 1er septembre, quelques jours après le départ de la dernière vague de combattants palestiniens de Beyrouth, Yasir Arafat, président de l’OLP, a déclaré aux deux émissaires français qui étaient venus le voir à son quartier général de Tunis qu’il était « profondément préoccupé par la sécurité des civils palestiniens restés à Beyrouth ». Il leur a demandé d’essayer de convaincre leur gouvernement de maintenir une unité militaire française à Beyrouth au-delà de la date de retrait fixée.

Après le retrait des unités américaines et italiennes, l’unité française était la dernière en place, mais le gouvernement français décida de la retirer le 11 septembre.

Le 14 septembre 1982, Bashir Gemayel, élu président par le parlement libanais le 23 août 1982, fut assassiné. Gemayel était le chef des « Forces libanaises », une milice affiliée au parti des Phalanges libanaises.

L’armée israélienne envahit Beyrouth-Ouest le lendemain matin, sous prétexte de maintenir la sécurité dans la ville. Elle encercla également les camps de réfugiés palestiniens, ferma toutes les routes qui y menaient et empêcha les habitants d’en sortir.

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Dans la matinée du 16 septembre, elle commença à intensifier les bombardements sur le camp de Chatila, en particulier l’entrée sud, où le massacre a commencé.

Des milices des Forces libanaises, des unités de l’Armée du Sud-Liban (une force dissidente dirigée par le commandant Saad Haddad, mandataire d’Israël au Sud-Liban) et des milices du groupe fasciste des Gardiens des Cèdres sont entrées dans la ville après le coucher du soleil, le 16 septembre, sous la supervision et la protection des forces israéliennes.

Pendant près de trois jours, ils ont torturé et tué tous ceux qu’ils rencontraient, sans faire de distinction entre Palestiniens et Libanais. Ils n’ont même pas épargné les hôpitaux : le 17 septembre, des milices armées ont pris d’assaut l’hôpital d’Akka et ont brutalement assassiné plusieurs patients ainsi que des infirmières et médecins palestiniens.

Le journaliste israélien Amnon Kapeliouk a décrit les scènes du massacre :

Le massacre a commencé tout de suite et a duré quarante heures sans interruption… Au cours de la première heure, des hommes armés ont tué des centaines de personnes ; ils tiraient sur tout ce qui bougeait dans les ruelles. Ils ont enfoncé les portes d’entrée et ont éliminé des familles entières en train de dîner. Certaines familles ont été assassinées dans leur lit, en pyjama. Dans de nombreuses maisons, des enfants de trois ou quatre ans ont été retrouvés en pyjama et avec des couvertures imbibées de sang….. Dans de nombreux cas, les assaillants ont démembré leurs victimes avant de les tuer. Ils ont écrasé la tête des enfants et des bébés contre les murs. Les femmes et les filles ont été violées avant d’être massacrées à coups de hachette. Beaucoup d’hommes ont été traînés hors de chez eux pour être rapidement exécutés dans la rue avec des hachettes et des couteaux. Les militants ont semé la terreur en massacrant indistinctement hommes, femmes, enfants et personnes âgées… On a retrouvé le bras d’une femme coupé au poignet pour lui voler ses bijoux.

La tuerie s’est poursuivie pendant quarante-trois heures, de 18 heures au coucher du soleil, le jeudi 16 septembre, à 13 heures, le samedi 18 septembre.

Les sources varient dans l’estimation du nombre de personnes tuées dans le massacre ; certaines sources estiment le nombre de victimes entre 4000 et 4500 ; en tout cas, il est presque certain que le nombre dépasse 3500.

Pendant les trois jours du massacre, des centaines de corps ont été dissimulés sous les décombres par des bulldozers ou enterrés dans des fosses communes. Amnon Kapeliouk estime que le massacre de Sabra et Chatila « a été commis intentionnellement » et qu’il visait à « provoquer un exode massif des Palestiniens de Beyrouth et du Liban ».

Le gouvernement israélien n’a pas nié qu’il surveillait les camps de réfugiés palestiniens pendant les jours du massacre ; l’armée israélienne les a encerclés dès les premières heures de son entrée à Beyrouth.

Il a cependant nié avoir eu connaissance du massacre, notant que l’ordre numéro 6 du commandement des Forces de défense israéliennes, le matin du 16 septembre, était « de ne pas rentrer dans les camps de réfugiés » parce que « la fouille et le nettoyage des camps seront effectués par les Phalangistes/Armée libanaise ».

Le prétexte de cette opération de nettoyage, qui suivait l’attaque des camps, était que 2500 combattants palestiniens seraient restés sur place après l’évacuation des forces de l’OLP de Beyrouth. Au paroxysme du massacre, le journal Yedioth Ahronoth a rapporté cette déclaration du premier ministre israélien Menachem Begin : « De nombreux terroristes sont restés sur place avec leurs armes, et nous l’avons constaté au cours des deux dernières nuits ».

Quatre heures à Chatila – de Jean Genet

Tous ces arguments n’ont cependant pas convaincu une grande partie de l’opinion publique israélienne, choquée par les nouvelles et les images du massacre.

Le 25 septembre, à l’appel du mouvement « La paix maintenant », environ 400 000 Israéliens et Israéliennes ont manifesté dans les rues de Tel-Aviv, condamnant le massacre et exigeant la formation d’une commission d’enquête pour déterminer si le gouvernement israélien était responsable de ce qui s’était passé.

Sous la pression de la rue, Menachem Begin et son gouvernement ont été contraints de former, le 28 septembre, une commission d’enquête sur « les atrocités commises par une unité des forces libanaises contre la population civile des camps de réfugiés de Sabra et Chatila », présidée par le juge Yitzhak Kahan, président de la Cour suprême.

Le 7 février 1983, la commission a publié un rapport (connu sous le nom de rapport Kahan) qui a fait l’objet d’une grande couverture médiatique, non pas en raison des détails et des jugements qu’il contenait, mais parce qu’il insistait sur la « démocratie » de l’État israélien et le « respect » de l’État de droit par ses dirigeants.

Le rapport tenait les milices des Forces libanaises pour directement responsables du massacre et prenait soin d’absoudre les hauts responsables israéliens – en particulier Menachem Begin, son ministre de la défense, Ariel Sharon, et le chef d’état-major, le général Rafael Eitan – de toute responsabilité directe, niant toute participation de l’armée israélienne aux événements.

Cependant, le rapport tenait Sharon pour « personnellement responsable d’avoir ignoré le danger d’effusion de sang et de vengeance ». Face à la pression croissante, Sharon a finalement été contraint de démissionner de son poste le 14 février 1983.

Au lendemain du massacre, des unités de l’armée libanaise ont pénétré dans les camps de réfugiés et se sont déployées dans les quartiers de Beyrouth-Ouest et dans la banlieue sud de Beyrouth.

Le Conseil des ministres libanais a officiellement invité les gouvernements américain, français et italien à envoyer une force multinationale pour aider l’armée libanaise à maintenir la sécurité des habitants.

Le 21 septembre, l’Assemblée nationale libanaise a élu Amin Gemayel comme président et successeur de son frère Bachir assassiné, et dès le début de la dernière semaine de septembre, les unités israéliennes ont commencé à se retirer de Beyrouth-Ouest à mesure que la force multinationale arrivait à Beyrouth.

Des unités françaises se sont déployées autour du camp de Sabra et des unités italiennes le long de la frontière sud du camp de Chatila.

Bibliographie :

  • Al-Hout, Bayan Nuwayhed. Sabra and Shatila: September 1982. London: Pluto Press, 2004.
  • Genet, Jean. « Four Hours in Shatila. » Journal of Palestine Studies 12, no.3 (Spring 1983): 3–22.
  • Kapeliouk, Amnon. Sabra and Shatila: Inquiry into a Massacre. Beirut: Association of Arab-American University Graduates, 1984.
  • Sayigh, Rosemary. Too Many Enemies: The Palestinian Experience in Lebanon. London: Zed Books, 1994.
  • Shahid, Leila, avec une introduction de Linda Butler. « The Sabra and Shatila Massacres: Eye-witness Reports. » Journal of Palestine Studies 32, no.1 (Autumn 2002): 36–58.
  • Shaikh, Zakaria. « Sabra and Shatila 1982: Resisting the Massacre. » Journal of Palestine Studies 14, no.1 (Fall 1984): 57–90.
  • Walker, Steven (Producer). See No Evil: The Sabra and Shatila Massacre [motion picture]. London: British Broadcasting Corporation, 1993.

16 septembre 2023 – Palestine Question – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet