Ce que le procès d’Azaria nous dit (une fois de plus) sur Israël

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Immédiatement après le meurtre, Azaria a été filmé serrant la main à Baruch Marzel - Photo : extrait vidéo

Par Jeremy Salt

L’injustice première du procès de Elor Azaria, c’est celle d’inculpation d’homicide involontaire. En mars 2016, Azaria, s’est approché du corps d’un Palestinien Abd al Fatah al Sharif gisant sur le sol grièvement blessé et lui a tiré une balle dans la tête.

Une vidéo de la scène montre un soldat israélien torse nu en train d’être soigné pour des blessures mineures reçues lors d’une soi-disant attaque au couteau à Hébron menée par Abd al Fatah al Sharif et un autre Palestinien, Ramzi Aziz al Qasrawi. Alors que le soldat israélien a reçu des soins immédiats, aucun n’a été demandé pour les deux Palestiniens. En tout cas, les circonstances précises de l’attaque ont vite cédé la place à ce qui s’est produit lorsqu’Azaria est arrivé sur la scène six minutes plus tard, a armé son fusil et tiré.

Ramzi Aziz al Qasrawi avait été mortellement blessé et est mort sur place. Abd al Fatah al Sharif quant à lui était sérieusement blessé, mais, selon le témoignage d’un légiste au procès d’Azaria, la blessure n’était pas mortelle et il aurait survécu s’il avait reçu des soins médicaux. Au lieu de cela, Azaria, médecin de l’IDF, lui a logé une balle dans la tête, en disant, d’après les témoignages présentés au procès, “il mérite de mourir”.

Azaria ne fut pas emprisonné mais placé en ‘mandat d’arrêt’ sur une base de l’armée, ce qui le laissait libre de ses mouvements à l’intérieur de la base sinon libre de la quitter. Même l’inculpation d’homicide involontaire plutôt que celle de meurtre a provoqué des cris d’indignation de la part des ses partisans, pas seulement de sa famille et de ses amis mais du lobby des colons et de personnalités d’extrême droite qui dominent la politique israélienne, notamment Avigdor Lieberman et Naftali Bennett, dont l’attitude peut se résumer par la remarque qu’il a faite en 2013 : “J’ai tué des tas d’Arabes dans ma vie et il n’y a aucun problème à cela”.

Donc, si Elor Azaria tire sur un terroriste palestinien blessé, où est le problème ? Il n’aurait pas dû être inculpé de quoi que ce soit, mais plutôt il aurait dû être félicité pour sa bravoure et la rapidité avec laquelle il a neutralisé un ‘terroriste’ blessé mais potentiellement toujours dangereux.

De toute évidence, Azaria aurait dû être inculpé pour meurtre. Il a délibérément tiré une balle dans la tête d’un homme blessé et ceci n’est pas un ‘homicide involontaire.’ Bien qu’il ait prétendu croire que le Palestinien portait peut-être une ceinture d’explosifs, cet argument fut rejeté lors des audiences du procès comme étant un mensonge au même titre que les nombreux mensonges qu’il pouvait proférer. Non, en vérité Al Sharif méritait de mourir pour la simple raison, et aucune autre, qu’il était palestinien. Le comportement d’Azaria n’est en rien anormal, il est même représentatif de la pensée sioniste extrême en ce qui concerne les Palestiniens, qui commence par la négation de leurs droits et se termine souvent par leur mort. Parce qu’ils n’ont aucun droit d’être sur cette terre, ils n’ont pas droit à la résistance, ni même à un procès équitable, si une telle chose est concevable pour un peuple vivant sous occupation.

Par conséquent, ‘les terroristes’ qui ne sont que blessés devraient être achevés sur place. Aucun soldat ou civil ne devrait être condamné pour avoir simplement fait son devoir ou pour avoir abattu un Palestinien qui aurait ne serait-ce qu’éveiller ses soupçons.

Tout de suite après le meurtre Azaria fut filmé en train de serrer la main de Baruch Marzel. Les affinités entre les deux hommes sont claires. Azaria pense que les Palestiniens méritent de mourir et Marzel aussi. Hébron est une ville où des Palestiniens non armés vivent quotidiennement à la merci non seulement de la police ou de soldats sionistes mais aussi de colons fortement armés, qui se pavanent dans les rues, leur fusil d’assaut chargé sur l’épaule, provoquant les Palestiniens et prêts à les abattre à la moindre occasion. Marzel, colon d’origine américaine est le leader de cette meute lâche.

Anciennement associé au parti Kach du rabbin Meir Kahane, il forme maintenant ses propres alliances politiques tout aussi violentes. Il a commémoré sur sa tombe la mémoire de Baruch Goldstein, le colon compatriote américain qui a massacré 29 Palestiniens et en a blessé de nombreux autres dans la mosquée Ibrahimi en 1994. Il a ouvertement appelé à l’assassinat de Uri Avnery et d’autres personnes de gauche et il déteste les homosexuels avec la même hargne. Marzel est arrivé sur les lieux peu de temps après le meurtre d’Al Sharif et fut filmé en train de serrer la main d’Azaria, en signe d’amitié ou de félicitation pour avoir fait du bon travail ou la combinaison des deux.

Le procès a été marqué par les mensonges et les témoignages douteux. Il y a été révélé qu’un ambulancier avait poussé du pied un couteau qui se trouvait sur le sol pour le rapprocher du corps d’Al Sharif et avait falsifié des preuves. Ce n’est guère la première fois qu’une arme est délibérément placée à proximité de la main d’un Palestinien abattu par des soldats, policiers ou colons, donc qu’un ambulancier trafique les preuves pour venir en aide au meurtrier d’un Palestinien ne devrait pas être étonnant. L’ambulance a été appelée pour le soldat israélien légèrement blessé, non pour les Palestiniens grièvement blessés. Ceci n’est pas exceptionnel mais typique. De nombreux Palestiniens blessés sont décédés alors qu’ils auraient pu vivre si une ambulance avait été appelée à temps. Ils meurent là où ils tombent et pour finir sont emmenés sans aucun respect pour leur dignité humaine

Au nombre des témoins pour la défense, il y avait un médecin légiste retraité qui a prétendu qu’Al Sharif était déjà mort lorsque Azaria lui a tiré dessus. Sa crédibilité a été entachée par la révélation qu’il avait été impliqué dans une récolte d’organes. Un chirurgien prétendit également qu’Al Sharif était déjà mort lorsqu’il reçut une balle dans la tête, mais il s’avéra qu’il n’était pas chirurgien mais cardiologue, et non spécialiste en médecine légale, et qu’il aurait été, selon les allégations de l’accusation, renvoyé du centre médical Hassadah pour avoir falsifié un document. Un autre témoin affirma que lorsque Azaria a tiré une balle dans la tête d’Al Sharif il n’a pas tiré pour tuer.

Une partie du dossier de la défense reposait sur l’argument selon lequel, puisque d’autres policiers et soldats auparavant avaient tué des Palestiniens dans des circonstances similaires, pourquoi leur homme devrait-il être accusé ? Et ceci est parfaitement vrai, parce que les assassinats de Palestiniens par des policiers, des soldats, des membres des services du renseignement, des colons remontent à la naissance de l’état et font rarement l’objet d’accusations, qui par ailleurs se traduisent toujours par des condamnations ridicules et une libération anticipée une fois que la pression est retombée.

Selon l’argumentation des représentants de l’IDF l’acte d’Azaria constitue une grave violation du code de valeurs et des normes de l’armée, alors que c’est tout le contraire. Le meurtre prémédité d’Azaria concorde tout à fait avec le comportement de l’IDF en Palestine occupée depuis 1948. Si Azaria n’avait pas été filmé on peut être sûr que l’armée aurait concocté une histoire selon laquelle l’homme blessé aurait fait un quelconque mouvement, signe qu’il représentait toujours une menace et qu’il fallait le ‘neutraliser.’ Azaria n’aurait pas, alors, été inculpé, tout comme de nombreux autres qui ont tué des Palestiniens dans des circonstances douteuses ne l’ont pas été. Le problème ce n’est pas l’acte lui-même, mais le fait qu’il ait été filmé.

La brutalité de l’armé en Cisjordanie, dans Gaza et au Liban est manifeste depuis des décennies. Et elle n’est pas seulement le fait de pilotes ou de commandants de chars qui bombardent des immeubles, ou tirent des obus au phosphore blanc sur des camps où se sont réfugiés des civils, ou descendent des dizaines de jeunes policiers le jour de la remise des diplômes, mais aussi celui de soldats particuliers qui tuent avec désinvolture des civils palestiniens, ciblant même des personnes âgées et des enfants en bas âge.

La structure de commandement de l’armée a radicalement changé depuis qu’Israël a été chassé du Liban par le Hezbollah en 2000 et repoussé à nouveau en 2006. Le nombre de colons fanatiques nommés à des postes de responsabilité a augmenté du fait de la croyance, en apparence, que se battre pour le Seigneur serait une force de motivation plus efficace sur le champ de bataille que celle de se battre pour la terre.

La “stratégie Dahiya” domine, et selon celle-ci ce n’est pas seulement un faubourg de Beyrouth qui sera détruit dans la prochaine guerre avec le Hezbollah mais c’est la totalité du Liban qui le sera. Ce plan de destruction totale des civils et des infrastructures civiles a été mis en œuvre à Gaza où les membres des ‘forces de défenses’ israéliennes apprennent à considérer non pas seulement les ‘terroristes’ mais chaque Palestinien comme un ennemi qu’ils devraient tuer si nécessaire. Ainsi le soldat qui tue un Palestinien qui traverse innocemment la rue ou qui cueille des légumes du mauvais côté de la clôture est très peu susceptible d’être accusé.

Le verdict de culpabilité a ranimé les protestations dans tout le pays. La peine devrait être prononcée le 15 janvier. La peine maximale pour homicide involontaire serait de 20 ans mais on s’attend à une peine beaucoup plus légère, et si le passé peut servir de guide, on peut présager qu’Azaria sera libéré et sa peine commuée sous forme de consignation à domicile une fois le tollé retombé.

Des appels à la grâce ont été lancées par d’Avigdor Lieberman, qui a fait campagne en faveur d’Azaria pendant la procédure judiciaire avant d’être nommé ministre de la ‘défense’ d’Israël, et par Naftali Bennett, dirigeant du parti Foyer juif. Netanyahou a joint sa voix à la leur, qualifiant la condamnation de ‘journée douloureuse et difficile, d’abord et avant tout pour Elor, les soldats d’Israël [et] pour de nombreux citoyens et parents de soldats, parmi lesquels moi-même.’ Combien plus difficile, pouvons-nous l’imaginer, ce sera pour les parents de l’homme assassiné qui ont perdu un fils pour toujours et savent que le système de justice une fois de plus ne servira pas réellement la justice.

Le verdict de culpabilité a été rendu tandis qu’Israël réagissait scandalisé à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU déclarant que l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est était totalement illégale. Netanyahou a réagi en réprimandant les ambassadeurs des gouvernements qui avaient voté pour la résolution et en réduisant la contribution financière, déjà maigre, d’Israël à l’ONU, organisation qu’il méprise. Israël a aussi fustigé Barack Obama pour avoir permis à la résolution d’être adoptée grâce à l’abstention des EU.

Il est vrai que l’abstention était une gifle calculée pour Netanyahou, qui n’a jamais laissé passer une occasion d’humilier Obama mais qui est congénitalement incapable d’encaisser les coups. Très récemment, les Etats-Unis ont signé une enveloppe d’aide à Israël colossale d’un montant de 38 milliards de dollars mais il semble que la bouche qui mord la main qui la nourrit ne cesse de la mordre même si cette dernière est américaine. Une fois de plus le message exprimé est le suivant : ce n’est pas Israël qui n’est pas en phase avec le monde, c’est le monde qui n’est pas en phase avec Israël et c’est le monde qui doit changer. Loin de se réconcilier avec l’opinion mondiale Israël se l’aliène délibérément et agressivement de plus en plus.

L’année qui vient serra marquée par l ‘anniversaire de trois évènements historiques importants ; la publication de la déclaration Balfour (2 novembre 1917) ; l’attaque sioniste de l’Egypte et de la Syrie connue comme la ‘guerre des six jours’ (du 5 au 10 juin) ; et dans cet espace temporel, l’occupation le 7 juin de Jérusalem-Est. Ces évènements seront l’occasion de grandes célébrations pour les sionistes et de deuil réfléchi pour les Palestiniens.

Conformément à l’idée que la Cisjordanie et Jérusalem-Est n’ont pas été occupées mais ’libérées’, la campagne de propagande du gouvernement israélien ne sera pas centrée sur les droits universels tels qu’ils sont proclamés dans de nombreuses lois, conventions et traités, ici très spécifiquement les droits du peuple palestinien, mais sur le droit ‘frauduleux’ du ‘peuple juif’ de détenir le territoire saisi par la guerre en 1967, de s’y installer et, certainement, de l’annexer en fin de compte.

Qu’en Israël et partout dans le monde ‘des juifs’ ne reconnaissent pas un tel “droit” est sans importance pour Naftali Bennett, Avigdor Lieberman, Benyamin Netanyahu, Baruch Marzel et leurs cohortes idéologiques. Il faut, toutefois noter, que ces gens ne constituent pas une quelconque aberration idéologique. Le sionisme est et a toujours été une idéologie extrême et ils en sont une excroissance naturelle. Les aspirations de la génération actuelle d’extrémistes ne sont aucunement différentes en pratique des aspirations des sionistes travaillistes ‘modérés’ de la génération qui a fondé l’état.

En remontant jusqu’à Théodore Herzl le courant sioniste principal ne voulait rien de moins que toute la Palestine. Aucun espace n’a jamais été prévu pour les Palestiniens sauf dans les déclarations mensongères des dirigeants sionistes. 1948 n’était qu’une étape et depuis le début de l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, les sionistes ‘modérés’ les ont colonisées avec le même zèle que les ‘extrémistes. ’ Ce n’est pas seulement Menahem Begin et ses acolytes idéologiques mais les ‘modérés’ qui ont corrompu chacune des occasions de paix qui se sont présentées. Ainsi donc, tandis que les sionistes ‘modérés’ vitupèrent contre les extrémistes ils devraient savoir à qui attribuer la responsabilité de la situation présente.

Un sondage récent fait par le Israel Democracy Institute a trouvé que 65% des Israéliens juifs soutiennent l’argument d’auto-défense d’Elon Azaria en dépit du fait qu’il a été rejeté par l’armée et le tribunal. Ajoutez-y la fureur qu’a suscitée l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et le rejet total d’une solution à un ou deux états, il est évident que l’état d’Israël se précipite dans un cul-de-sac, qu’elle que soit l’assurance et la confiance qu’il affiche actuellement.

7 janvier 2017 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – MJB