
28 juin 2025 - Des milliers de Palestiniens marchent le long de la rue Rashid, transportant des sacs de farine, après l'entrée de camions d'aide humanitaire dans la zone de Zikim, au nord de la ville de Gaza. Plusieurs personnes venues chercher de l'aide ont été abattues par les forces coloniales israéliennes. Cette scène met en évidence l'ampleur de la crise humanitaire, alors que des habitants désespérés se battent pour obtenir des denrées alimentaires de base dans un contexte de génocide, de pénurie et de blocus permanent. Le même jour, au moins 38 Palestiniens ont été tués et des centaines d'autres blessés sur le site de distribution d'aide à Rafah. Depuis que la GHF, soutenu par Israël, a commencé ses opérations à Gaza, plus de 600 Palestiniens ont été tués et plus de 4000 blessés sur les sites de distribution d'aide - Photo : Yousef al-Zanoun /Activestills
Par Chris Hedges
Israël se sert de la famine comme d’une arme. L’objectif est de démanteler tout ce qui subsiste de la société civile et de réduire les Palestiniens à l’état de foules désespérées qui peuvent être chassées de la Palestine historique.
L’utilisation de la famine comme arme par Israël est la manière dont les génocides se terminent toujours.
J’ai couvert les effets insidieux de la famine orchestrée dans les hautes terres du Guatemala pendant la campagne génocidaire du général Efraín Ríos Montt, la famine dans le sud du Soudan qui a fait un quart de million de morts – j’ai marché parmi les cadavres frêles et squelettiques de familles alignés le long des routes – et plus tard, pendant la guerre en Bosnie, lorsque les Serbes ont coupé les vivres à des enclaves telles que Srebrenica et Goražde.
La famine a été utilisée comme arme par l’Empire ottoman pour décimer les Arméniens. Elle a servi à tuer des millions d’Ukrainiens lors de l’Holodomor en 1932 et 1933.
Elle a été employée par les nazis contre les juifs dans les ghettos pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les soldats allemands utilisaient la nourriture, comme le fait Israël, comme appât. Ils offraient trois kilos de pain et un kilo de marmelade pour attirer les familles désespérées du ghetto de Varsovie dans les convois vers les camps de la mort.
« Il y avait des moments où des centaines de personnes devaient faire la queue pendant plusieurs jours pour être « déportées », écrit Marek Edelman dans « The Ghetto Fights ». « Le nombre de personnes désireuses d’obtenir les trois kilos de pain était tel que les convois, qui partaient désormais deux fois par jour avec 12 000 personnes, ne pouvaient pas tous les accueillir. »
Et lorsque la foule devenait incontrôlable, comme à Gaza, les troupes allemandes tiraient des salves meurtrières qui déchiraient les corps émaciés des femmes, des enfants et des personnes âgées.
Cette tactique est aussi vieille que la guerre elle-même.
L’article du journal israélien Haaretz, selon lequel les soldats israéliens ont reçu l’ordre de tirer sur des foules de Palestiniens dans des centres d’aide humanitaire, faisant 580 morts et 4216 blessés, n’est pas une surprise.
C’est le dénouement prévisible du génocide, la conclusion inévitable d’une campagne d’extermination massive.
Israël, avec ses assassinats ciblés d’au moins 1400 travailleurs de la santé, de centaines de travailleurs des Nations unies (ONU), de journalistes, de policiers et même de poètes et d’universitaires, sa destruction d’immeubles d’habitation de plusieurs étages qui a anéanti des dizaines de familles, ses bombardements de « zones humanitaires » désignées où les Palestiniens se blottissent sous des tentes, des bâches ou à l’air libre, ses attaques systématiques contre les centres de distribution alimentaire de l’ONU, les boulangeries et convois humanitaires, ou ses tirs de snipers sadiques qui abattent des enfants, a depuis longtemps démontré que les Palestiniens sont considérés comme des vermines qui ne méritent que l’extermination.
Le blocus alimentaire et humanitaire imposé à Gaza depuis le 2 mars réduit les Palestiniens à une dépendance abjecte. Pour manger, ils doivent ramper vers leurs bourreaux et mendier.
Humiliés, terrifiés, désespérés pour quelques miettes de nourriture, ils sont dépouillés de leur dignité, de leur autonomie et de leur libre arbitre. C’est volontaire.
Yousef al-Ajouri, 40 ans, a expliqué à Middle East Eye son voyage cauchemardesque vers l’un des quatre centres d’aide mis en place par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF).
Ces centres ne sont pas conçus pour répondre aux besoins des Palestiniens, qui comprenaient autrefois 400 sites de distribution d’aide, mais pour les attirer du nord de Gaza vers le sud.
Israël, qui a de nouveau ordonné dimanche aux Palestiniens de quitter le nord de Gaza, poursuit progressivement son annexion de la bande côtière.
Les Palestiniens sont rassemblés comme du bétail dans d’étroites couloirs métalliques aux points de distribution, sous la surveillance de mercenaires lourdement armés. Les plus chanceux reçoivent une petite boîte de nourriture.
Al-Ajouri, qui était chauffeur de taxi avant le génocide, vit avec sa femme, ses sept enfants, sa mère et son père dans une tente à al-Saraya, près du centre de la ville de Gaza. Il s’est rendu dans un centre d’aide humanitaire situé sur la route de Salah al-Din, près du corridor de Netzarim, afin de trouver de quoi nourrir ses enfants qui, selon lui, pleurent sans cesse « parce qu’ils ont faim ».
Sur les conseils de son voisin de tente, il s’est habillé avec des vêtements amples « pour pouvoir courir et être agile ». Il a emporté un sac pour les conserves et les produits emballés, car la foule était telle que « personne ne pouvait porter les cartons dans lesquels l’aide était distribuée ».
Il est parti vers 21 heures avec cinq autres hommes, « dont un ingénieur et un enseignant », et « des enfants âgés de 10 et 12 ans ».
Ils n’ont pas emprunté l’itinéraire officiel désigné par l’armée israélienne. La foule massive qui converge vers le point d’aide le long de l’itinéraire officiel empêche la plupart des gens de s’approcher suffisamment pour recevoir de la nourriture. Ils ont donc marché dans l’obscurité, dans des zones exposées aux tirs israéliens, souvent obligés de ramper pour ne pas être vus.
« En rampant, j’ai regardé autour de moi et, à ma grande surprise, j’ai vu plusieurs femmes et personnes âgées emprunter le même chemin périlleux que nous », a-t-il expliqué.
« À un moment donné, il y a eu une rafale de tirs à balles réelles tout autour de moi. Nous nous sommes cachés derrière un bâtiment détruit. Quiconque bougeait ou faisait un mouvement perceptible était immédiatement abattu par des tireurs embusqués. À côté de moi se trouvait un jeune homme grand, aux cheveux clairs, qui utilisait la lampe torche de son téléphone pour s’orienter. Les autres lui ont crié d’éteindre. Quelques secondes plus tard, il a été abattu. Il s’est effondré sur le sol et est resté là, en sang, mais personne ne pouvait l’aider ni le déplacer. Il est mort en quelques minutes. »
Il a croisé six corps sur son chemin, abattus par des soldats israéliens.
Al-Ajouri est arrivé au centre à 2 heures du matin, l’heure prévue pour la distribution de l’aide. Il a vu une lumière verte s’allumer devant lui, signalant que l’aide était sur le point d’être distribuée. Des milliers de personnes se sont mises à courir vers la lumière, se bousculant et se piétinant. Il s’est frayé un chemin à travers la foule jusqu’à ce qu’il atteigne l’aide.
« J’ai commencé à tâtonner pour trouver les boîtes d’aide et j’ai attrapé un sac qui semblait contenir du riz », a-t-il déclaré. « Mais au moment où je l’ai attrapé, quelqu’un d’autre me l’a arraché des mains. J’ai essayé de le retenir, mais il a menacé de me poignarder avec son couteau. La plupart des gens là-bas avaient des couteaux, soit pour se défendre, soit pour voler les autres. J’ai finalement réussi à attraper quatre boîtes de haricots, un kilo de boulgour et un demi-kilo de pâtes. En quelques instants, les boîtes étaient vides. La plupart des gens présents, y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées, n’ont rien obtenu. Certains ont supplié les autres de partager. Mais personne ne pouvait se permettre de renoncer à ce qu’il avait réussi à obtenir. »
Les mercenaires américains et les soldats israéliens qui supervisaient le chaos riaient et pointaient leurs armes sur la foule. Certains filmaient avec leurs téléphones.
« Quelques minutes plus tard, des grenades fumigènes rouges ont été lancées dans les airs », se souvient-il. « Quelqu’un m’a dit que c’était le signal pour évacuer la zone. Après cela, des tirs nourris ont commencé. Khalil, quelques autres personnes et moi-même nous sommes dirigés vers l’hôpital al-Awda à Nuseirat, car notre ami Wael s’était blessé à la main pendant le trajet. J’ai été choqué par ce que j’ai vu à l’hôpital. Il y avait au moins 35 martyrs gisant morts sur le sol dans l’une des salles. Un médecin m’a dit qu’ils avaient tous été amenés le jour même. Ils avaient tous été abattus d’une balle dans la tête ou dans la poitrine alors qu’ils faisaient la queue près du centre de secours. Leurs familles les attendaient pour les ramener chez eux avec de la nourriture et des provisions. Maintenant, ce n’étaient plus que des cadavres. »
La GHF est une organisation financée par le Mossad et créée par le ministère israélien de la Défense, qui a passé des contrats avec UG Solutions et Safe Reach Solutions, dirigées par d’anciens membres de la CIA et des forces spéciales américaines.
La GHF est dirigé par le révérend Johnnie Moore, un sioniste chrétien d’extrême droite proche de Donald Trump et de Benjamin Netanyahu. L’organisation a également engagé des gangs de trafiquants de drogue anti-Hamas pour assurer la sécurité des sites d’aide dite humanitaire.
Comme l’a déclaré Chris Gunness, ancien porte-parole de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) à Al Jazeera, la GHF pratique le « blanchiment de l’aide », un moyen de masquer la réalité selon laquelle « les gens sont affamés pour les soumettre ».
Israël, ainsi que les États-Unis et les pays européens qui fournissent des armes pour soutenir le génocide, ont choisi de ne pas tenir compte de la décision rendue en janvier 2024 par la Cour internationale de justice (CIJ), qui exigeait la protection immédiate des civils à Gaza et la fourniture généralisée d’aide humanitaire.
Haaretz, dans son article intitulé « C’est un champ de la mort : les soldats de l’armée israélienne ont reçu l’ordre de tirer délibérément sur des Gazaouis non armés qui attendaient l’aide humanitaire », rapporte que les commandants israéliens ordonnent aux soldats d’ouvrir le feu sur la foule pour l’éloigner des sites d’aide ou la disperser.
« Les centres de distribution n’ouvrent généralement qu’une heure chaque matin », écrit Haaretz. « Selon des officiers et des soldats qui ont servi dans ces zones, l’armée israélienne tire sur les personnes qui arrivent avant l’ouverture pour les empêcher d’approcher, ou à nouveau après la fermeture des centres, pour les disperser. Comme certains incidents ont eu lieu la nuit, avant l’ouverture, il est possible que certains civils n’aient pas pu voir les limites de la zone désignée. »
« C’est un champ de tirs », a déclaré un soldat à Haaretz. « Là où j’étais stationné, entre une et cinq personnes étaient tuées chaque jour. Ils sont traités comme une force hostile : aucune mesure de contrôle des foules, pas de gaz lacrymogène, juste des tirs à balles réelles avec tout ce qui est imaginable : des mitrailleuses lourdes, des lance-grenades, des mortiers. Puis, une fois que le centre ouvre, les tirs cessent et ils savent qu’ils peuvent s’approcher. Notre forme de communication, ce sont les coups de feu. »
« Nous ouvrons le feu tôt le matin si quelqu’un tente de se mettre en file à quelques centaines de mètres, et parfois nous tirons simplement à bout portant. Mais il n’y a aucun danger pour les forces », a expliqué le soldat. « Je n’ai pas connaissance d’un seul cas de riposte. Il n’y a pas d’ennemi, pas d’armes. »
Il a ajouté que le déploiement sur les sites d’aide prétendue humanitaire était connu sous le nom d’« opération Poisson salé », en référence au nom israélien du jeu pour enfants « Feu rouge, feu vert ». Ce jeu a été mis en scène dans le premier épisode de la série sud-coréenne Squid Game, dans laquelle des personnes en situation de détresse financière s’affrontent dans des combats à mort pour gagner de l’argent.
Israël a ravagé les infrastructures civiles et humanitaires de Gaza. Il a réduit les Palestiniens, dont un demi-million sont menacés de famine, à un état de bétail désespéré. L’objectif est de briser les Palestiniens, de les rendre malléables et de les inciter à quitter Gaza pour ne jamais revenir.
La Maison Blanche de Trump parle d’un cessez-le-feu. Mais ne vous y trompez pas. Israël n’a plus rien à détruire.
Ses bombardements intensifs pendant 20 mois ont réduit Gaza à un paysage lunaire. Gaza est inhabitable, un désert toxique où les Palestiniens, vivant au milieu de morceaux de béton et de flaques d’eaux usées, manquent de nourriture, d’eau potable, de carburant, d’abris, d’électricité, de médicaments et d’infrastructures pour survivre.
Le dernier obstacle à l’annexion de Gaza, ce sont les Palestiniens eux-mêmes. Ils sont la cible principale. La famine est l’arme de choix.
Auteur : Chris Hedges
* Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Ancien correspondant de guerre, il est reconnu pour son analyse de la politique américaine ainsi que de celle du Moyen-Orient. Il a publié plusieurs livres, dont le plus connu est War Is a Force That Gives Us Meaning (2002).
29 juin 2025 – Substack – Traduction : Chronique de Palestine
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