La volonté et l’esprit de Gaza face au génocide

26 octobre 2025 - Gaza - Des écolierss palestiniens assistent suivent une leçon dans une salle de classe où ils sont assis par terre à l'école Al-Razi, après la reprise des cours dans les écoles de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) - Photo : Moiz Salhi / AA

Par Ramzy Baroud

Au cours des deux dernières années, mon algorithme de réseaux sociaux a été dominé sans relâche par Gaza, en particulier par les voix des Gazaouis ordinaires, exprimant un mélange d’émotions centrées sur deux principes fondamentaux : le chagrin et la défiance.

Le deuil caractérise la vie à Gaza depuis de nombreuses années.. une conséquence des guerres successives menées par Israël, du siège incessant et des bombardements répéts. Les deux dernières années, marquées par un génocide et une famine, ont toutefois redéfini ce deuil d’une manière presque incompréhensible pour les Palestiniens eux-mêmes.

Oui, la Palestine a subi de nombreux massacres avant, pendant et depuis la Nakba, la destruction tragique de la patrie palestinienne.

Mais ces massacres étaient généralement épisodiques, chacun étant marqué de manière distincte par des circonstances historiques spécifiques. Chacun d’entre eux est intégré dans la psyché collective palestinienne comme une preuve de la barbarie israélienne, mais aussi comme une démonstration de leur propre résilience en tant que peuple.

J’ai grandi dans un camp de réfugiés de Gaza où nous commémorions chaque massacre par des rassemblements, des grèves générales et des expressions artistiques. Nous connaissions les victimes et les immortalisions à travers des chants, des graffitis politiques, de la poésie et autres.

La guerre d’extermination lancée par Israël contre Gaza au cours des deux dernières années a fondamentalement changé tout cela. En une seule journée, le 31 octobre 2023, l’armée israélienne a assassiné 704 Palestiniens, dont 120 dans le seul camp de réfugiés de Jabaliya.

Des bombes individuelles anéantissaient des centaines de personnes en un seul coup, souvent dans des hôpitaux, des abris de réfugiés ou des écoles de l’ONU. Des massacres avaient lieu tous les jours, partout.

Octobre 2025 – Ville de Gaza – Photo : Ibrahim Nofal

Il n’y avait pas le temps de réfléchir à ces massacres, de prier pour les victimes, ni même de les enterrer dignement. Tout ce que les Gazaouis pouvaient faire, c’était s’accrocher désespérément à la vie, enterrer leurs proches dans des fosses communes et utiliser leurs mains nues pour extraire les blessés et les morts des énormes dalles de béton et des montagnes de décombres.

Des milliers de personnes sont toujours portées disparues, et environ un quart de million de Gazaouis ont été tués ou blessés.

Le bilan continuera de s’alourdir et le degré de dévastation ne cesse de s’aggraver, même maintenant que le rythme des tueries s’est ralenti.

Mais alors, pourquoi mes réseaux sociaux continuent-ils de montrer des Palestiniens célébrant ouvertement leur victoire ? Pourquoi les enfants de Gaza, bien que décharnés et épuisés par la famine, continuent-ils à exécuter les danses traditionnelles de la debka ? Pourquoi Maria Hannoun, 5 ans, l’une des nombreuses influenceuses de Gaza, continue-t-elle à réciter les poèmes de Mahmoud Darwish et à envoyer des messages enflammés au président américain Donald Trump pour lui dire que Gaza ne sera jamais vaincue ?

Dire que « les Gazaouis sont différents » est un euphémisme. J’ai consacré les vingt dernières années à la recherche académique sur l’histoire du peuple palestinien, en me concentrant principalement sur Gaza, et je trouve toujours leur volonté collective étonnante. Ils semblent avoir pris une décision commune et consciente : les critères de leur défaite ou de leur victoire seraient totalement distincts de ceux utilisés par les médias qui couvrent la guerre.

Ces critères sont ancrés dans la résistance comme choix fondamental. Des valeurs fondamentales telles que Karamah (dignité), Izza (fierté) et Sabr (patience), entre autres, sont les normes selon lesquelles Gaza juge sa capacité de résistance.

Et, selon ces normes profondément ancrées, le peuple de la bande de Gaza, victime de génocide et de famine, a gagné cette guerre.

Comme ces valeurs sont souvent ignorées ou mal interprétées dans la couverture médiatique de la guerre, beaucoup ont trouvé déroutante la réaction de Gaza au cessez-le-feu, marquée par une joie et une célébration effrénées.

La scène des mères attendant la libération de leurs fils lors d’une grande célébration à Khan Yunis, dans le sud de Gaza, était particulièrement révélatrice. Elles pleuraient amèrement, tout en applaudissant et en poussant des youyous.

Une mère a parfaitement clarifié ce paradoxe pour un journaliste : les larmes étaient pour les fils et les filles tués pendant la guerre, et les youyous étaient pour ceux qui étaient libérés.

Les médias, cependant, comprennent rarement la complexité du paradigme de survie de Gaza. Certains, notamment des analystes militaires israéliens, ont conclu que Benjamin Netanyahu avait perdu la guerre parce qu’il n’avait atteint aucun de ses objectifs déclarés. D’autres parlent d’une sorte de victoire israélienne simplement parce qu’Israël a réussi à détruire la quasi-totalité de Gaza et une grande partie de sa population.

Chaque camp utilise des chiffres et des données pour étayer ses affirmations. Pourtant, les Palestiniens de Gaza voient cette situation d’une manière fondamentalement différente.

Ils comprennent que la guerre menée par Israël était en fin de compte une tentative de détruire leur identité même, de briser leur moral, de désorienter leur culture, de les monter les uns contre les autres et, finalement, d’éradiquer l’essence même de leur identité palestinienne.

Les Gazaouis célèbrent précisément parce qu’ils savent qu’Israël a échoué. La nation palestinienne est sortie encore plus profondément enracinée dans son identité, tant à Gaza qu’ailleurs.

L’enfant chantant les martyrs, les secouristes dansant la debka pour leurs camarades tombés au combat, la femme utilisant les débris d’un char Merkava israélien détruit pour étendre son linge – toutes ces images témoignent d’une nation unifiée par son amour de la vie et son engagement farouche envers des valeurs communes de courage, d’honneur et d’amour.

Certains analystes, cherchant à trouver une conclusion plus nuancée et plus raisonnée, ont conclu qu’Israël n’avait pas gagné la guerre et que les Palestiniens n’avaient pas été vaincus.

Si cette approche équilibrée peut être appréciée en termes de lecture stratégique du cessez-le-feu, elle reste profondément erronée lorsqu’on la comprend dans le contexte de la culture populaire palestinienne.

Pour les gens ordinaires, la survie, la constance et l’affirmation de soi sont les signes ultimes de la victoire contre Israël, un pays qui n’hésite pas à recourir au génocide pour obtenir des gains politiques temporaires.

Le cœur de leur triomphe est simplement ceci : ils sont et seront toujours là.

23 octobre 2025 – Middle-East-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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