Israël a-t-il trouvé son harki ?

Que ce soit par profonde naïveté et méconnaissance du système politique israélien, ou par lâche opportunisme pour tenter de gagner quelques miettes de pouvoir, Mansour Abbas du parti Ra'am a franchi son Rubicon et - en s'alliant avec des criminels et racistes notoires - s'est transformé en paria de la cause palestinienne - Photo : via +972mag

Par Ramzy Baroud

Des miettes de pouvoir à tout prix : comment l’opportuniste Mansour Abbas s’est associé à des « tueurs d’arabes » déclarés.

Nous sommes incités à croire que l’histoire est en train de se faire en Israël après la formation d’une coalition gouvernementale idéologiquement composite qui, pour la première fois, comprend un parti arabe, Ra’am.

Si l’on suit cette logique, le chef de Ra’am, Mansour Abbas, est un acteur et un stimulant pour l’histoire, au même titre que Naftali Bennett du parti fascisant Yamina, et Yair Lapid, le supposé « centriste » de Yesh Atid, seraient aussi des acteurs de l’histoire. Quelle logique tordue !

Mis à part les gros titres des médias et les répétitions en boucle, le nouveau gouvernement n’est qu’une énième tentative désespérée des politiciens israéliens pour déloger du pouvoir Benjamin Netanyahu, le Premier ministre qui est resté le plus longtemps en fonction dans l’histoire du pays.

Alors que Lapid est relativement nouveau dans la politique israélienne, Bennett et Abbas sont des opportunistes par excellence.

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Lapid est un ancien présentateur de télévision. Malgré ses prétentions à un positionnement centriste, ses opinions politiques sont aussi « à droite » qu’elles l’ont toujours été.

Le problème est que des individus tels que Bennett, Ayelet Shaked, également de Yamina, et Netanyahu, bien sûr et parmi d’autres, ont déplacé le centre du spectre politique israélien de plus en plus à droite, au point que la droite classique est devenue le centre et la droite fascisante est devenu la droite…

C’est ainsi que les politiciens néofascistes et extrémistes d’Israël ont réussi à devenir des “faiseurs de rois” dans la politique israélienne. Bennett, par exemple, qui en 2013 s’est vanté d’avoir « tué beaucoup d’Arabes » dans sa vie, devrait être nommé Premier ministre d’Israël.

C’est dans ce contexte tordu qu’il faut interpréter la position de Mansour Abbas. Ses malheureux quatre sièges à la Knesset israélienne ont donné à son parti une place critique dans la formation de la coalition dont le but est d’évincer Netanyahu.

Ra’am ne représente en rien les communautés arabes palestiniennes d’Israël et, en rejoignant le gouvernement, Abbas n’entre certainement pas dans l’histoire du point de vue de la recherche d’un terrain d’entente entre Arabes et Juifs dans un pays qui est à juste titre reconnu comme un État d’apartheid par les groupes israéliens et internationaux de défense des droits de l’homme.

Au contraire, Abbas est contre-courant de l’histoire.

À un moment où les Palestiniens de toute la Palestine historique – les territoires palestiniens occupés et celle de 48 [Israël aujourd’hui] – s’unissent enfin autour d’une vision nationale commune, Abbas persiste plus que jamais à s’assurer une position dans la politique israélienne – pour prétendument « faire l’histoire.’

Même avant qu’Abbas ne serre la main de Bennett et d’autres fascistes israéliens qui préconisent le meurtre de Palestiniens comme quelque chose de naturel, il avait clairement indiqué qu’il était prêt à se joindre à un gouvernement dirigé par Netanyahu.

C’est l’une des raisons de l’éclatement de la coalition politique arabe autrefois unifiée, connue sous le nom de Liste arabe unie.

À la suite de sa rencontre avec Netanyahu en février, Abbas a justifié son revirement brutal par des platitudes politiques peu convaincantes du genre « il faut pouvoir regarder vers l’avenir et construire un avenir meilleur pour tout le monde », et autres formules toutes faites.

Le fait que Netanyahu soit en grande partie responsable de la situation désespérée des communautés palestiniennes d’Israël ne semblait absolument pas pertinent pour Abbas, qui était inexplicablement désireux de rejoindre toute future alliance politique, même si elle comprenait les éléments les plus chauvins d’Israël. Malheureusement, mais sans surprise, cela s’est confirmé.

La position d’Abbas est devenue intenable en mai pendant l’agression militaire israélienne contre Gaza et les attaques racistes contre les communautés palestiniennes à Jérusalem, en Cisjordanie occupée et dans toute la Palestine de 48.

Même alors, lorsque les Palestiniens ont finalement trouver un langage commun liant l’occupation, le blocus le racisme et l’apartheid à Jérusalem, en Cisjordanie, à Gaza et en Israël, Abbas a choisi ce moment pour prendre une position même isolée mais qui lui permettrait de maintenir son chances d’accéder au pouvoir, et ce à n’importe quel prix.

Bien que ce soient les communautés arabes palestiniennes qui faisaient l’objet d’attaques systématiques par des foules et des policiers juifs israéliens, Abbas a appelé sa communauté à « être responsable et à se comporter avec sagesse », et à « maintenir l’ordre public et respecter la loi ».

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Il a même repris des formules utilisées par les politiciens juifs israéliens d’extrême-droite, en affirmant que les « protestations populaires pacifiques » des communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël sont devenues « conflictuelles », créant ainsi un équilibre moral où les victimes du racisme, d’une certaine manière, seraient devenues responsables de leur propre sort.

La position d’Abbas n’a pas changé depuis la signature de l’accord de coalition le 2 juin. Son discours politique est presque apolitique car il insiste pour réduire la lutte nationale du peuple palestinien au simple besoin de développement économique – pas fondamentalement différent de la propre proposition de « paix économique » de Netanyahu dans le passé.

Pire encore, Abbas dissocie intentionnellement l’état de pauvreté et de sous-développement dans les communautés palestiniennes de la discrimination raciale défendue par l’État, qui sous-finance constamment les communautés arabes tout en dépensant des sommes exubérantes dans des colonies juives illégales construites sur des terres palestiniennes volées et vidées de leur population autochtone.

“Nous avons atteint une masse critique d’accords dans divers domaines qui servent les intérêts de la société arabe et qui apportent des solutions aux problèmes brûlants de la société arabe – la planification, la crise du logement et, bien sûr, la lutte contre la violence et le crime organisé”, a déclaré triomphalement Abbas le 2 juin, comme si les inégalités enracinées, y compris la violence communautaire et le crime organisé, n’étaient pas le résultat direct du racisme, des inégalités socio-économiques, de l’aliénation politique et de la marginalisation.

Abbas n’a rien à voir avec l’histoire. Il n’est qu’un exemple de politicien égoïste et l’expression abrupte de la désunion endémique dans le corps politique arabe palestinien à l’intérieur d’Israël.

Malheureusement, le succès sans précédent de la Liste arabe unie à la suite des élections de mars 2020 a maintenant abouti à une fin tragique, où des gens comme Abbas deviennent le « représentant » très mal approprié d’une communauté politiquement consciente et éveillée.

En vérité, Mansour Abbas, un politicien arabe palestinien qui est prêt à trouver un terrain d’entente avec les pires extrémistes fiers d’être des « tueurs d’arabes », ne représente que lui-même. Il finira dans les poubelles de l’histoire.

6 juin 2021 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah