Imaginer la Palestine sans résistance à l’occupation n’est qu’une fantasmagorie

Combattant des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du mouvement Hamas [résistance islamique] - Photo : Archives : Info-Palestine

Par Abdel Bari Atwan

Les Palestiniens ont déjà invalidé par le passé ce type de projet et ils ne doivent pas tomber dans ce nouveau piège, explique Abdel Bari Atwan.

Ils n’ont pas réussi à détruire militairement le Hamas sur le champ de bataille après quatre mois au cours desquels ils ont utilisé toutes leurs armes, anciennes et nouvelles, réapprovisionnées par le pont aérien américain.

Ils veulent maintenant le détruire et détruire son autorité dans la bande de Gaza par une ruse politique : un gouvernement « technocratique » dirigé par l’Autorité palestinienne (AP), comprenant certains de ses ministres et dirigé par un premier ministre approuvé par les États-Unis, pour superviser une soi-disant réforme administrative et la reconstruction de Gaza après un cessez-le-feu selon les conditions d’Israël.

Tel est le résumé du plan que le secrétaire d’État américain Antony Blinken a commencé à commercialiser lors de sa dernière tournée dans la région, qui l’a mené en Arabie saoudite, en Égypte, au Qatar et dans les Émirats arabes unis, et qui s’est achevée par une réunion des chefs des services de renseignement au Caire pour concocter ce plat empoisonné.

Opération « Déluge d’Al-Aqsa » : la résistance brise les murs de la prison

L’appât du piège consiste, pour ce gouvernement technocratique, à jeter les bases d’un État palestinien indépendant tout en excluant totalement le Hamas et tous les autres groupes de résistance qui ont pris part à l’opération « Déluge d’al-Aqsa », la plus grande réussite militaire palestinienne depuis le début du conflit israélo-arabe, il y a 75 ans.

De façon tout à fait choquante, l’exclusion du Hamas est aujourd’hui ouvertement défendue par les États arabes complices de ce projet.

Le ministre jordanien des affaires étrangères, Ayman al-Safadi, aurait déclaré : « La phase de reconstruction implique d’endiguer le Hamas dans sa dimension militaire, voire politique, et de le tenir à l’écart de ces dossiers. Cela signifie également qu’il doit être exclu de l’administration de la bande de Gaza afin de rechercher des financements pour les projets de reconstruction tout en évitant les réserves des États arabes et occidentaux ainsi que celles de l’administration américaine. »

En d’autres termes, la reconstruction est conditionnée à l’élimination totale, tant politique que militaire, du Hamas et des autres organisations de la résistance, en particulier le Jihad islamique, parce qu’ils figurent sur la liste « terroriste » d’Israël que les États-Unis et certains pays européens ont adoptée.

En bref : pas de reconstruction tant que le Hamas existera.

Est-ce cela le « cadeau » fait aux Palestiniens après quatre mois de nettoyage ethnique et de guerre génocidaire de la part d’Israël ? L’éradication et le déracinement de toute résistance, la mise sous mandat de sécurité israélien de la Cisjordanie et de Gaza, le rétablissement du statu quo ante, la soumission totale aux diktats de Benjamin Netanyahu et de son gouvernement de fascistes – comme si la situation d’avant le 7 octobre était idéale à tous points de vue ?

Pas un mot dans ce plan israélo-américain, censé parler au nom du monde dit « démocratique libéral », sur des élections ou même un référendum pour demander ce que pense le peuple palestinien après avoir perdu plus de 29 000 martyrs, supporté 100 000 blessés et la destruction de 86 % de ses maisons dans la bande de Gaza.

C’est comme si ces gens étaient des enfants qui n’ont pas encore atteint la maturité, et qui ont besoin que d’autres déterminent leur destin et décident de la manière dont leur vie est gérée, dont ils sont gouvernés et pourquoi pas dont ils s’habillent.

Les principaux objectifs de Blinken et de son patron sénile sont les suivants :

  • Désarmer la résistance palestinienne dans la bande de Gaza, en particulier le Hamas et le Jihad islamique, sous prétexte de ramener le calme, d’empêcher une invasion de Rafah et d’éviter d’autres massacres majeurs, et de permettre la reconstruction.
  • Une normalisation complète entre Israël et les pays arabes – le joyau de la couronne étant la « normalisation » israélo-saoudienne – sous le prétexte fallacieux d’initier des étapes vers une solution à deux États.
  • La bande de Gaza, la Cisjordanie et l’ensemble du peuple palestinien doivent renoncer à tout ce qui a trait à la résistance et accepter les diktats israélo-américains, y compris un gouvernement technocratique composé d’un groupe « d’experts » tournés vers l’Occident et affiliés à celui-ci.
  • Poursuivre le processus d’expulsion par des moyens détournés, afin de dépeupler la bande de Gaza en prélude à l’occupation israélienne totale et à la saisie de ses ressources pétrolières et gazières offshore.

La « réforme » de l’Autorité palestinienne dont il est question signifie la suppression du statut représentatif de la résistance palestinienne, l’abandon définitif de toute idée d’action militaire pour libérer la terre, et le retour à la « résistance populaire pacifique », adoptée de façon rhétorique par l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, qui nous a réduits à notre état actuel d’humiliation, de colonisation et d’asservissement.

Réponse officielle de la résistance palestinienne au « document de Paris »

Il convient de rappeler à ceux qui ont la mémoire défaillante que nous sommes déjà passés par là, dans les moindres détails. Ils nous ont amené le Dr Salam Fayyad en tant que premier ministre chargé de construire l’infrastructure d’un État palestinien qui serait établi dans les deux ans. Vingt ans plus tard, nous attendons toujours cet État et que les États-Unis tiennent leurs promesses à cet égard.

Nous avons été récompensés pour cette soumission par l’installation de 800 000 colons en Cisjordanie, avec l’encouragement des États-Unis.

Le Hamas doit veiller à ne pas tomber dans ce piège en abandonnant ses demandes légitimes d’un retrait total d’Israël et d’un cessez-le-feu permanent, ou en succombant à la pression des intermédiaires arabes.

Il s’agit d’un piège sioniste, dans sa conception et sa formulation, que les États arabes inféodés aux États-Unis contribuent à mettre en place. Certains d’entre eux ont été payés à l’avance.

Israël est en crise, et les Américains et certains de leurs clients arabes tentent de le sauver après que le Déluge d’al-Aqsa a sapé les fondements mêmes de son existence.

Le peuple palestinien de Cisjordanie, de la bande de Gaza et en exil ne veut pas d’un gouvernement « technocratique » ni du mensonge d’une solution à deux États.

Il veut l’autodétermination et un État véritablement indépendant qui réponde à ses exigences de souveraineté et qui exerce son autorité sur l’ensemble de son territoire national, comme tous les autres peuples qui ont combattu le colonialisme et en sont sortis vainqueurs.

L’administration américaine, qui n’a pas encore prononcé le mot « cessez-le-feu », n’est pas un intermédiaire honnête. Son objectif n’est pas de sauver le peuple palestinien, mais Israël… de sortir celui-ci de sa situation difficile, de l’empêcher de se défaire ou de s’effondrer, et d’arrêter le compte à rebours qui va dans ce sens.

16 février 2024 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine