L’assaut d’Israël sur Gaza est une extension de sa guerre sanglante contre Jénine

6 août 2022 - Scène de destruction dans Gaza - Photo : Mamhoud Ajjour / The Palestine Chronicle

Par Reema Abu Ramadan, Ibrahim Fraihat

Au lieu d’une invasion à grande échelle du camp de réfugiés de Jénine, il semble qu’Israël ait décidé d’attaquer Gaza où les organisations de la résistance palestinienne maintiennent une présence beaucoup plus forte.

La guerre israélienne contre les mouvements de résistance palestiniens – y compris le Jihad islamique à Gaza – n’a pas débuté il y a quelques jours. Cela dure depuis des mois à Jénine.

Nous avons une guerre à Jénine, m’a dit un propriétaire de café local il y a trois semaines lors de ma visite dans la ville du nord de la Cisjordanie. Quand j’ai demandé plus d’explications, il m’a dit : « Israël lance une guerre d’attentats à la bombe et d’assassinats dans la ville. La population riposte, tandis que l’Autorité palestinienne (AP) reste assise et regarde ».

Lire également : Jénine : Israël craint une rébellion palestinienne armée par Ramzy Baroud

Jénine est maintenant connue pour être quasiment en dehors du contrôle de sécurité de l’AP, tandis qu’Israël semble avoir changé sa stratégie d’opérations militaires à grande échelle vers des assassinats ciblés de militants politiques. La déclaration du propriétaire du café m’a fait me questionner : pourquoi Jénine ?

De Jénine à Gaza

La semaine dernière, Israël a kidnappé Bassam al-Saadi, un haut responsable du Jihad islamique, lors d’un raid qui a tué un jeune Palestinien, Derar Riyad al-Kafrini, âgé de 17 ans. De plus, en avril dernier, un raid israélien à Jénine a fait un mort palestinien et 13 blessés.

Plus tard ce mois-là, une autre opération s’est soldée par le meurtre d’un adolescent palestinien, Ahmad Fathi Masad âgé de 18 ans, et de trois blessés.

Et le 11 mai, la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh a été assassinée alors qu’elle couvrait les événements du camp, suscitant une condamnation mondiale.

Mais les attaques ne se sont pas arrêtées là : en juin, une trentaine de véhicules militaires israéliens ont attaqué Jénine; des soldats ont encerclé une voiture à l’est de la ville et ouvert le feu sur les quatre hommes à l’intérieur. Trois sont morts et le quatrième a été grièvement blessé.

L’attaque a fait craindre une invasion israélienne à grande échelle du camp de réfugiés de Jénine, où les ailes armées des mouvements du Jihad islamique et du Fatah sont actives. Cependant, il semble qu’Israël ait plutôt décidé d’attaquer Gaza où le Jihad islamique maintient une présence beaucoup plus forte.

Les jeunes de Jénine subissent une pression constante, alors qu’ils sont déjà aux prises avec les difficultés quotidiennes de la vie sous occupation.

Les opérations militaires d’Israël dans la ville lui permettent de saper encore plus le contrôle sécuritaire et la crédibilité de l’AP aux yeux de son propre public, car les dirigeants palestiniens sont dans l’incapacité totale de protéger les citoyens vulnérables. Plutôt qu’une réponse collective, les Palestiniens de Jénine mènent individuellement des attaques contre les Israéliens.

Chaos dans les rues

Par ses attaques contre Jénine, Israël espère atteindre deux objectifs : priver l’AP de toute prétention à contrôler la sécurité dans la zone et encourager d’autres acteurs – comme les organisations tribales – à intervenir et à combler le vide sécuritaire.

Par exemple, à Hébron, les tribus jouent un rôle clé dans le maintien de la sécurité et la résolution des conflits. Contrairement à l’AP, les tribus offrent la sécurité et la stabilité à leurs propres membres sans exiger de droits nationaux et politiques. C’est idéal pour Israël et il espère que quelque chose de similaire se produira à Jénine.

Israël veut reléguer la direction palestinienne à une administration civile qui se contente de suivre les ordres d’Israël sans pouvoir exiger de droits nationaux ou politiques.

L’AP, d’autre part, observe discrètement la situation à Jénine, dans le but de montrer à Israël à quoi la ville – et peut-être d’autres parties des territoires occupés – pourrait ressembler en l’absence de l’appareil répressif de l’AP.

L’Autorité Palestinienne espère qu’Israël échouera à Jénine afin que son propre contrôle devienne plus impératif. L’Autorité Palestinienne a construit sa crédibilité auprès des États-Unis sur la base d’être la seule partie capable d’assurer un certain calme en Cisjordanie occupée, et la guerre à Jénine offre une opportunité de prouver que sans sa présence, le chaos s’installe.

Dans cette bataille en cours entre Israël et l’AP, les citoyens de Jénine sont absents du calcul. Au milieu des opérations israéliennes violentes et de l’incapacité de l’AP à intervenir et à offrir une protection, certains se tournent vers le recours à la violence comme seul recours pour combler le vide sécuritaire.

Les habitants de Jénine, et en particulier les jeunes de la ville, se révoltent contre la marginalisation qu’ils ont subie historiquement en raison de l’échec des politiques de développement de l’AP et des pays donateurs. Au milieu d’un manque d’opportunités d’emploi dans la ville, certains jeunes frustrés et découragés ont pris les armes, y voyant un moyen de retrouver leur dignité face aux énormes difficultés.

Identité de la résistance

La révolution de Jénine n’est pas simplement une réponse aux opérations et attaques israéliennes. C’est aussi une question d’identité. La résistance contre les armées étrangères a été historiquement gravée dans les esprits, les cœurs et les récits des habitants de la ville.

Le principal champ de bataille du soulèvement de 1936 contre le mandat britannique était Jénine, où les troupes britanniques ont assassiné le dirigeant de la résistance Izz ad-Din al-Qassam.

Lire également : « Jénine, Jénine » : la vérité, rien que la vérité par Gideon Lévy

Un autre dirigeant révolutionnaire de premier plan, le cheikh Farhan al-Saadi, a également été tué par l’armée britannique à Jénine.

« Nous sommes les petits-enfants d’al-Qassam », a affirmé une personne dans le café lors de ma visite. « Voilà qui nous sommes; nous ne pouvons pas rester bouche cousue. »

Plus récemment dans l’Histoire, le camp de réfugiés de Jénine a mené la confrontation la plus dure avec Israël pendant la deuxième Intifada.

En avril 2002, les forces israéliennes ont pris d’assaut le camp, assassinant plus de 50 Palestiniens. Environ une vingtaine de soldats israéliens ont également été tués dans l’opération.

De nombreux jeunes de Jénine qui combattent aujourd’hui étaient de jeunes enfants ou n’étaient pas encore nés pendant la deuxième Intifada. Mais l’histoire de la résistance de la ville est gravée dans leur identité, motivant leurs actions révolutionnaires contre l’occupation israélienne.

Située à la périphérie de la Cisjordanie occupée, Jénine est géographiquement très proche d’Israël [Palestine de 48], ce qui a facilité les opérations palestiniennes à l’intérieur du pays. Et alors que les colonies israéliennes continuent de se développer à travers la Cisjordanie, séparer les deux régions s’avère impossible.

Cela soulève de sérieuses inquiétudes quant au mythe de la solution à deux États, ouvrant la voie à ce que les analystes ont surnommé la « réalité à un État ». Histoire, identité, dignité, marginalisation, la disparition de la solution à deux États – tous ces facteurs semblent répondre à ma question initiale : pourquoi Jénine ?

Si vous marchez dans Jénine, vous verrez la fierté et la dignité dans les yeux des gens. Malgré les circonstances difficiles et les raids israéliens incessants, les gens apprécient ce que signifie être libéré de la peur.

« Nous n’avons pas peur, Israël a peur de nous », m’a dit quelqu’un. La guerre n’a pas brisé les habitants de Jénine, elle les a seulement rendus plus forts.


8 août 2022 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine