L’économie de Gaza s’effondre, anéantissant tout espoir de paix

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Gaza, août 2010 -Pendant que les colons se construisent des piscines, les Palestiniens n'ont droit qu'aux restrictions sur l'eau, en volume comme en qualité - Photo : Activestills.org

Par Jonathan Cook

Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale, à Gaza, le moment que l’on craignait depuis longtemps approche à grands pas. Après une décennie de blocus israélien et une série d’attaques militaires de grande ampleur, l’économie de la minuscule enclave côtière est en “chute libre”.

Lors d’une réunion des donateurs internationaux à New York jeudi, qui coïncidait avec la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations Unies, la Banque mondiale a dressé un tableau alarmant de la crise à Gaza. Le taux de chômage avoisine maintenant les 60 % et l’économie se contracte à un rythme de plus en plus rapide.

Bien que la situation de la Cisjordanie ne soit pas encore aussi grave, elle s’en rapproche, ont appris les pays participant au Comité de liaison ad hoc. L’effondrement de Gaza pourrait entraîner la chute de tout le secteur bancaire palestinien.

En réponse, l’Europe s’est empressée de mettre sur pied un programme d’aide de 40 millions d’euros, mais cela ne permettra que de résoudre la crise humanitaire à Gaza – pas la crise économique – en améliorant l’approvisionnement en électricité et en eau potable.

Tout le monde sait ce que vont nécessairement engendrer les crises économiques et humanitaires qui frappent Gaza. Les quatre membres du Quatuor chargées de faciliter les négociations entre Israël et les Palestiniens – les États-Unis, la Russie, l’Union européenne et l’ONU – ont publié une déclaration pour dire qu’il était vital d’empêcher une “nouvelle escalade” à Gaza, pour reprendre leur terme exact.

L’armée israélienne partage ces préoccupations. Elle a fait état de l’agitation croissante des deux millions d’habitants de l’enclave et pense que le Hamas va être obligé de monter des attaques pour sortir de la camisole de force du blocus.

Ces dernières semaines, les manifestations de masse le long de la clôture du périmètre de Gaza ont repris et se sont étendues après une accalmie estivale. Vendredi, sept manifestants palestiniens, dont deux enfants, ont été tués par des snipers israéliens. Des centaines d’autres ont été blessés.

Pourtant, il n’y a toujours aucune volonté politique de remédier à cette situation. Personne n’est prêt à s’impliquer de manière significative dans la bombe à retardement qu’est Gaza.

En fait, les acteurs qui pourraient faire une différence semblent vouloir laisser la situation pourrir.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a ignoré les avertissements répétés de ses propres militaires concernant la menace d’une explosion à Gaza. Israël maintient au contraire le blocus d’une main de fer, empêchant les flux de marchandises d’entrer et de sortir de l’enclave. La pêche est limitée à trois milles marins au large des côtes au lieu des 20 milles convenus dans les accords d’Oslo. Des centaines d’entreprises ont fermé leurs portes au cours de l’été.

La récente décision de l’administration Trump de réduire l’aide étasunienne aux Palestiniens, y compris à l’UNRWA, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, aggrave les problèmes de l’enclave. L’UNRWA joue un rôle crucial à Gaza, en fournissant de la nourriture, de l’éducation et des services de santé aux deux tiers de la population.

Le budget de l’alimentation sera épuisé en décembre et celui des écoles à la fin du mois d’octobre. Des centaines de milliers d’enfants affamés qui n’ont nulle part où passer leurs journées ne peuvent que gonfler le nombre des manifestants – et des morts.

L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, dont le siège se trouve en Cisjordanie, n’a pas envie de les aider. La catastrophe qui se déroule lentement à Gaza lui sert de moyen de pression pour obliger le Hamas à se soumette à son pouvoir. C’est pourquoi l’Autorité palestinienne a réduit les transferts à Gaza de 30 millions de dollars par mois.

Mais même si Abbas voulait les aider, il n’en aurait pas les moyens. Les coupes américaines sont sa punition pour avoir refusé d’accepter le prétendu plan de paix du président américain Donald Trump, l’ “accord du siècle”.

Israël, note la Banque mondiale, a ajouté aux difficultés d’Abbas en refusant de lui transférer les taxes et droits de douane qu’il perçoit au nom de l’AP.

Quant à l’Égypte, le dernier acteur impliqué, elle n’a pas envie de desserrer son emprise sur sa courte frontière avec Gaza. Le Président Abdel Fattah El Sisi se refuse à aider ses opposants islamistes nationaux et/ou le Hamas.

On est dans l’impasse parce qu’aucun des acteurs n’est prêt à faire du bien-être de Gaza une priorité.

Cela a été clairement illustré plus tôt cet été lorsque le Caire, avec le soutien de l’ONU, a mis discrètement en contact Israël et le Hamas dans l’espoir de mettre fin à l’escalade.

Le Hamas voulait que le blocus soit levé pour que l’économie de Gaza puisse repartir, tandis qu’Israël voulait que cessent les manifestations hebdomadaires avec leurs images préjudiciables de snipers tuant des manifestants non armés.

De plus, Netanyahu a intérêt à maintenir le Hamas au pouvoir à Gaza, pour cimenter la division géographique avec la Cisjordanie et la division idéologique avec Abbas.

Les pourparlers se sont toutefois interrompus au début du mois de septembre, quand Abbas a refusé que les Égyptiens y prennent part. Il voulait que l’Autorité palestinienne soit le seul interlocuteur d’Israël pour discuter de l’avenir de Gaza. Du coup, le Caire essaie à nouveau, et toujours aussi inutilement, de réconcilier Abbas et le Hamas.

Lors de l’Assemblée générale de l’ONU, Trump a promis que son plan de paix serait dévoilé dans les deux ou trois mois à venir et a exprimé pour la première fois son soutien à une solution à deux États, qui, selon lui, “fonctionnerait mieux”.

Netanyahu a vaguement opiné, tout en soulignant que : “Tout le monde donne un sens différent au mot “État”. Pour lui, a-t-il ajouté, le mot signifie que toutes les colonies juives illégales de Cisjordanie restent en place et que tout futur État palestinien soit soumis au total contrôle israélien en matière de sécurité.

D’après la majorité des observateurs, Abbas aurait accepté, pendant l’été, qu’un État palestinien – si jamais il devait voir le jour – soit démilitarisé. En d’autres termes, il ne serait pas reconnu comme un État souverain.

Le Hamas a fait des compromis notables par rapport à sa doctrine initiale de résistance militaire pour garder toute la Palestine historique. Mais il est difficile d’imaginer qu’il accepte la paix à de pareilles conditions. Elles rendent impossible la réconciliation entre le Hamas et Abbas – et font disparaître à l’horizon tout espoir d’un répit pour la population de Gaza.

Jonathan Cook * Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.

30 septembre 2018 – Jonathan-Cook.net – Traduction: Chronique de Palestine – Dominique Muselet