Un État raciste et colonialiste ne peut pas être démocratique

29 mai 2022 - Arrestation violente d'une Palestinienne par les troupes israéliennes d'occupation à Al-Qods, lors d'une manifestation pour la défense de la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l'Islam - Photo: Oren Ziv / Activestills

Par Marwan Bishara

La puissance militaire et économique d’Israël sont des faits indéniables, mais sa démocratie tant vantée est une pure fiction.

Israël prétend être un État juif et démocratique. En fait, il n’est ni l’un ni l’autre. Il se vante d’être « l’État du peuple juif » partout, alors que moins de la moitié des juifs du monde vivent dans le pays. Aujourd’hui, Israël règne sur plus de 15 millions de personnes entre le Jourdain et la Méditerranée, dont la moitié n’est pas juive et dans sa majorité ne peut pas voter en Israël.

Israël ne reconnaît même pas l’ « israélité » comme une nationalité et rejette le concept démocratique libéral d’un « État de tous ses citoyens ». Au lieu de cela, l’État juif reconnaît deux strates de personnes : Les juifs, qui jouissent de tous les droits, et les Palestiniens, qui doivent se contenter de moins ou de pas de droits.

Ces Palestiniens sont tolérés à contrecœur en tant que citoyens de seconde zone, occupés et réprimés en tant que sujets coloniaux, ou sont tenus à l’écart en tant que réfugiés indésirables, dont le droit inaliénable au retour détruirait « l’État juif ».

Et si cela ne suffit pas à faire froncer les sourcils, considérez le fait qu’il n’y a pas de consensus dans l’ « État juif » quant à « qui est juif ». Les juifs orthodoxes, réformés et laïques ont des interprétations différentes – voire contradictoires – de la judéité. C’est une question religieuse qui dépend de la politique du pouvoir, comme l’illustre très bien ce vieux sketch satirique israélien.

Néanmoins, la logique juridique et politique de l’Israël colonial de l’apartheid, privilégie les juifs vivant sur tous les territoires entre le fleuve et la mer dans toutes les sphères importantes de la vie, y compris la citoyenneté, le logement, les droits fonciers, la langue, la culture, la mobilité, etc.

En ce sens, Israël/Palestine n’est pas différent de l’Afrique du Sud de l’apartheid, où les Blancs privilégiés jouissaient également d’un certain degré de démocratie communautaire. Mais les élites hypocrites occidentales, qui parlent de « la seule et unique démocratie au Moyen-Orient », n’ont jamais parlé de « la seule démocratie en Afrique ».

Pour compenser l’absence de véritable démocratie, Israël organise des élections – des élections qui tiennent du spectacle. Plus il organise d’élections, plus elles sont cruelles et fragmentées. Comme je l’ai écrit après les dernières élections, « l’ambition personnelle l’emporte sur la politique, et la politique politicienne sur l’idéologie » dans l’Israël d’aujourd’hui.

Cette fragmentation donne au pays une allure de pluralité et de diversité, surtout en contraste avec les trois premières décennies de l’État israélien, où les travaillistes remportaient de manière prévisible toutes les élections. Mais ces dernières années, la droite est devenue aussi dominante que les travaillistes l’étaient, bien qu’avec plus de cris, d’injures et d’insultes.

La cruauté est devenue le sport national d’Israël. En effet, « la politique israélienne est plus cruelle que la plupart des autres », selon Benjamin Netanyahu. Il devrait le savoir, c’est lui le champion.

La cruauté se décline en deux volets : le vitriol politique et la violence raciste. Les deux s’enflamment comme des feux d’artifice à chaque saison électorale, qui arrive aussi souvent que le printemps ou l’été de nos jours.

Il n’est donc pas surprenant qu’à l’approche des élections du 1er novembre, les cinquièmes en quatre ans, le discours politique du pays se soit empoisonné. Là où les dirigeants racistes d’Israël ne parviennent pas à exprimer un désaccord politique, ils se rattrapent en insultes personnelles et en assassinats.

« Racaille de la race humaine », « menteur pathologique », « assassin » et « fasciste » sont quelques-uns des termes les plus doux qui animent le cirque électoral israélien.

Des accusations de nazisme et d’antisémitisme ont même été lancées à maintes reprises par des fanatiques des camps religieux et laïques. Ce sont ces types d’accusations que le camp Netanyahu a lancées au milieu des années 1990 qui ont conduit à l’assassinat du Premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, pour avoir osé faire avancer un processus de négociation sans une majorité juive claire à la Knesset.

Le racisme grossier à l’égard des Palestiniens est aussi certain d’accompagner la saison électorale que le froid de l’hiver et la chaleur de l’été. Mais il y a une exception à la règle – si ou quand les Palestiniens trahissent leur conscience en échange de miettes de table ; ces « bons Arabes » sont appréciés comme l’esclave domestique, Stephen Warren, dans le film Django Unchained de Quentin Tarantino.

La violence cruelle est également prévisible pendant la saison électorale, comme nous avons pu le constater par le passé.

Dans une projection rituelle de machisme et de bravade, Israël a bombardé la bande de Gaza assiégée, envahi et réinvesti les villes palestiniennes et les camps de réfugiés en Cisjordanie occupée, tué et emprisonné des milliers de civils palestiniens, détruit d’innombrables maisons et terrorisé tout un peuple sous prétexte de combattre le terrorisme.

Et donc, un an après que les sous-fifres de Netanyahu lui ont succédé, leur gouvernement de coalition s’est avéré tout aussi mauvais, sinon pire. Naftali Bennett et Avigdor Lieberman, qui ont été par le passé les chefs de cabinet de Netanyahu, Gideon Sa’ar, qui a été son secrétaire de cabinet, et Yair Lapid et Benny Gantz, qui ont été ministres dans son cabinet, ont répété les crimes et les folies meurtrières de Netanyahu dans les territoires palestiniens occupés.

Les pommes ne tombent pas loin de l’arbre. Leur gouvernement a bombardé Gaza, réinvesti les villes de Cisjordanie, étendu les colonies illégales et bloqué toutes les voies vers un accord négocié.

Le « modéré » Gantz, qui s’est vanté d’avoir rasé des quartiers résidentiels entiers à Gaza lorsqu’il était chef d’état-major militaire, a remis ça en 2021, supervisant de nouvelles dévastations, cette fois en tant que ministre israélien de la défense. Plus récemment, il a nommé un colon illégal comme nouveau chef d’état-major militaire.

Si c’est cela la modération, pourquoi ne pas voter directement pour les plus fascisants. C’est au moins plus limpide !

Il ne serait donc pas surprenant que « le prince des ténèbres et de la haine », Benjamin Netanyahu, remporte un sixième mandat de Premier ministre, malgré son inculpation pour abus de confiance, acceptation de pots-de-vin et fraude.

S’il y parvient, Netanyahu est certain de former un « gouvernement d’immunité nationale » qui lui permettra d’éviter la prison. Son alliance avec des partis d’extrême droite, comme Otzma Yehudit (force juive) d’Itamar Ben-Gvir, pourrait également tenter d’affaiblir la Cour suprême et le système judiciaire en les soumettant à sa majorité parlementaire.

L’ancien Premier ministre Ehud Barak [criminel notoire également – NdT] a récemment condamné « l’alliance impie entre Netanyahu et Ben-Gvir et les racistes messianiques » comme étant la « véritable menace pour l’État d’Israël », et a prédit que sa victoire pourrait ouvrir « une période de ténèbres ». Cruel, peut-être, mais mérité…

Certes, Netanyahu a maintes fois critiqué Barak et pire encore. Dans la monstruosité autobiographique que « Bibi » vient de publier, le chef de file de la propagande démolit un grand nombre, sinon la plupart, de ses prédécesseurs, successeurs, anciens partenaires et interlocuteurs. Les 736 pages du livre sont pleines de mensonges, de demi-vérités et d’hyperboles, ainsi que de vanité, de suffisance et d’illusion, mais je laisserai ce sujet pour un autre jour.

Tel est l’état épouvantable de la « démocratie israélienne » aujourd’hui. Les fanatiques d’extrême-droite et les généraux sanguinaires dominent la majorité absolue des sièges du parlement israélien et se disputent les sièges de la gauche, qui se réduit terriblement, comme une peau de chagrin. Plus Israël organise d’élections, moins il est démocratique et plus il devient despotique envers les Palestiniens, hélas.

31 octobre 2022 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine