La souveraineté alimentaire dans une économie palestinienne de résistance

Sous la présence menaçante d'un colon juif armé, un agriculteur palestinien travaille sa terre - Photo : Anne Paq / Activestills

Par Fathi Nimer

Dans leur lutte contre le colonialisme sioniste, les Palestiniens travaillent depuis longtemps à la mise en place d’une économie de résistance.

  • Les agriculteurs palestiniens ont toujours été en première ligne de la résistance et continuent de résister au vol de leurs terres par les colons.
  • Oslo et les traités qui l’accompagnent ont lentement démantelé les structures populaires créées par la lutte anticoloniale sous le prétexte de la « construction de l’État ».
  • L’incapacité de l’Autorité palestinienne à remettre en cause des décennies de sous-développement imposés par le régime israélien a laissé l’économie palestinienne fortement segmentée et caractérisée par des taux de chômage élevés.
  • L’approche classique de la sécurité alimentaire s’est traditionnellement concentrée sur l’accès à la nourriture par le biais du commerce ou de l’aide alimentaire. Ce modèle tend à ignorer les dynamiques de pouvoir qui influencent l’accès à la nourriture.
  • La notion de souveraineté alimentaire est née de la nécessité de repenser le paradigme de la sécurité alimentaire et de remédier à ses lacunes dans les pays du Sud.
  • La souveraineté alimentaire est définie comme « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, et leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ».
  • La souveraineté alimentaire peut fournir une source alternative de moyens de subsistance, ce qui signifie plus d’espace pour résister et agir sans craindre la faim.
  • L’évolution vers la souveraineté alimentaire ne peut être séparée d’un mouvement sociopolitique plus large encourageant les Palestiniens à soutenir leurs agriculteurs, même lorsque le prix est relativement plus élevé.
  • La communauté palestinienne devrait prendre des mesures concrètes pour parvenir à la souveraineté alimentaire, notamment en créant un fonds de souveraineté alimentaire, en développant des réseaux commerciaux et de solidarité avec les agriculteurs palestiniens, en élargissant le boycott des produits israéliens, en investissant dans l’agrotechnologie et en renforçant l’éducation populaire à l’agroécologie.

Introduction

Dans leur lutte contre le colonialisme sioniste, les Palestiniens travaillent depuis longtemps à la mise en place d’une économie de résistance. Comprise comme une forme d’organisation populaire permettant aux institutions et aux activités économiques de servir les objectifs politiques de la lutte palestinienne, la notion d’économie de résistance a émergé au cours des premières décennies de la lutte pour la libération et est ensuite devenue un pilier central de la première Intifada.

À cette époque, l’autonomie économique était considérée comme un moyen de soutenir la lutte anticoloniale.

Aujourd’hui, la souveraineté alimentaire constitue une continuation naturelle de ces modes de résistance, en s’appuyant sur les principes d’autosuffisance agricole pratiqués tout au long de l’histoire de la révolution palestinienne. En conséquence, cet article retrace les origines de la souveraineté alimentaire et les défis auxquels les Palestiniens sont confrontés pour y parvenir.

Photo : Activestills.org

Gaza, août 2010 -Pendant que les colons se construisent des piscines, les Palestiniens n’ont droit qu’aux restrictions sur l’eau, en volume comme en qualité – Photo : Activestills.org

Cela permettra de mieux recontextualiser l’économie de la résistance aujourd’hui, et d’ouvrir ainsi la voie à un ordre économique de plus en plus indépendant.

L’agriculture et l’économie de la résistance : Passé et présent

Pour les peuples indigènes qui résistent au colonialisme, le contrôle de la terre est souvent synonyme de vie ou de mort. Les agriculteurs palestiniens ont toujours été en première ligne de la résistance et continuent de s’opposer à l’avancée des colons.

L’agriculture, et plus particulièrement les coopératives agricoles, a toujours été au cœur de l’économie de la résistance palestinienne. Ce mode de production a subi un énorme revers pendant la Nakba, avec la perte de la plupart des terres palestiniennes et le nettoyage ethnique de près d’un million de Palestiniens.

En conséquence, le nombre de coopératives agricoles a chuté de 87 % dans les quelques années qui ont suivi la Nakba. Bien que leur nombre ne soit jamais revenu à son niveau antérieur, les agriculteurs palestiniens ont fait des efforts notables pour maintenir l’agriculture en tant qu’élément clé de la résistance économique.

Les « jardins de la victoire » de la première Intifada en sont un exemple. Ces jardins étaient des initiatives locales des ménages et des quartiers.

Des coopératives, telles que « L’Abri de jardin », ont également vu le jour au cours de cette période. Basée à Beit Sahour, l’Abri fournissait des semences, des outils et des insecticides à prix coûtant aux Palestiniens des zones environnantes.

Grâce à ces projets et à d’autres projets similaires, on estime que plus de 500 000 arbres ont été plantés en Palestine entre 1987 et 1989.

À l’époque, Yitzhak Rabin était tellement exaspéré par ces efforts qu’il a donné l’ordre à l’armée d’imposer des couvre-feux aux villages palestiniens pendant les périodes de récolte, pour que leurs cultures pourrissent dans les champs.

Si le rôle économique de l’agriculture était crucial pour l’économie de la résistance palestinienne, ses dimensions politiques et sociales ne doivent pas être négligées. Ces projets portaient en eux le rejet de la condition coloniale. L’accent mis par la communauté sur la production individuelle ou collective a contribué à nourrir la participation et la solidarité collectives et populaires.

Malgré quelques défis et revers, ce modèle de production et de consommation a réussi à susciter l’engagement de larges segments de la société.

Colonialisme de peuplement et sous-développement

Les autorités coloniales ont également compris le lien entre économie et politique. Dès le début, l’entreprise des colons sionistes a cherché à s’approprier les terres et les ressources palestiniennes et à rendre les Palestiniens dépendants de l’économie israélienne.

Le général Moshe Dayan a déclaré un jour que le contrôle des infrastructures et des services publics était plus efficace que « mille couvre-feux et dispersions d’émeutes ».

L’un des moyens utilisés par Israël pour parvenir à cette dépendance est d’empêcher le développement de la Palestine. Avant la signature de l’accord d’Oslo, le régime israélien empêchait son développement en fragmentant et isolant les villages les uns des autres et en expropriant les Palestiniens pour saisir leurs terres et leurs ressources.

Après Oslo, une couche supplémentaire a été ajoutée à ces politiques destructrices avec: le protocole sur les relations économiques (protocole de Paris), qui a institutionnalisé le sous-développement de la Palestine sous couvert d’« accords transitoires négociés».

Le protocole comprenait une union douanière dévastatrice et unilatérale, ainsi que des organismes tels que le « Comité conjoint de l’eau », qui continue à détourner l’eau douce vers les colons illégaux et à maintenir les Palestiniens otages d’un système de permis militaires racistes.

Le protocole de Paris était une formalisation des mêmes systèmes coloniaux d’expropriation qui existaient auparavant, mais qui étaient désormais revêtus d’un vernis de légitimité, approuvés par les soi-disant représentants du peuple palestinien.

Il s’agissait de faire passer la domination pour de la coopération.

Oslo et les traités qui l’accompagnent ont lentement démantelé les structures populaires créées par la lutte anticoloniale sous le nouveau prétexte de la « construction de l’État ». Aujourd’hui, l’Autorité palestinienne (AP) consacre moins de 1 % de son budget à l’agriculture.

Le développement économique a depuis longtemps été découplé de tout programme politique émancipateur et sert désormais de test ultime pour prouver à la communauté internationale que les Palestiniens sont « prêts » à devenir un État.

Photo : Archives

Le Mur d’Apartheid en Palestine occupée – Photo : Archives

L’incapacité de l’Autorité palestinienne à remettre en cause des décennies de sous-développement induit par le régime israélien a laissé l’économie palestinienne fortement segmentée, caractérisée par des taux de chômage élevés, en particulier chez les jeunes, avec des taux atteignant 48 %.

La stagnation du marché de l’emploi, les restrictions imposées par les colons israéliens et l’atomisation des centres urbains palestiniens ont fait du travail dans les colonies israéliennes et sur les terres de 1948 l’une des seules options restantes pour les Palestiniens afin de nourrir leurs familles.

Jusqu’à 10 % de la main-d’œuvre palestinienne en Cisjordanie dépend du travail dans les colonies illégales et, plus largement, de l’économie coloniale.

Toutes les importations et exportations dépendent des caprices du régime israélien, tandis que les restrictions de circulation coûtent à l’économie palestinienne environ 274 millions de dollars et 60 millions d’heures de travail par an.

La plupart des agriculteurs palestiniens ont du mal à accéder à leurs terres et ne disposent pas des ressources nécessaires pour les mettre en valeur. Combinés à la négligence de l’AP à l’égard de ce secteur, ces facteurs ont contribué à l’érosion progressive et à l’abandon de l’agriculture, dont la part dans le PIB est passée de 53 % en 1967 à moins de 7 % en 2021.

La majorité de ceux qui pratiquent encore l’agriculture aujourd’hui le font en tant qu’activité secondaire. À peine 26 % des agriculteurs palestiniens déclarent que l’agriculture est leur principale source de revenus. Les terres agricoles se sont progressivement fragmentées et réduites. Entre 2004 et 2010, la superficie moyenne des terres agricoles est passée de 18,6 dounams à 10,8 dounams, soit une diminution de 42 % en six ans seulement.

Les trois quarts des exploitations agricoles en Palestine ont moins de 10 dounams, mais elles ne représentent que 20 % des terres agricoles. L’agriculture en Palestine est donc extrêmement contrastée : ce secteur est pris en étau entre la majorité des petits exploitants, qui cultivent pour leur subsistance, et la minorité qui contrôle la plus grande partie des terres et en tire un profit.

La sécurité alimentaire dans un contexte de sous-développement

La méthode la plus connue dans le monde pour atteindre la sécurité alimentaire se base sur la déclaration de Rome de 1996 avec un accès à la nourriture, principalement par le biais du commerce ou de l’aide alimentaire. Ce modèle tend toutefois à ignorer les dynamiques de pouvoir qui influencent l’accès à la nourriture.

La dépendance à l’égard du commerce rend les Palestiniens vulnérables aux crises extérieures. Les premières années de la pandémie de COVID-19 ont mis en évidence ce risque, lorsque l’interruption du commerce international et des importations de denrées alimentaires a augmenté l’insécurité alimentaire.

La crise économique a fait perdre à de nombreuses personnes leurs revenus et, par conséquent, la possibilité de se procurer de la nourriture. La sécurité alimentaire, basée sur le commerce et l’aide internationale, est aussi souvent tributaire des caprices de la communauté internationale et de ses priorités.

Dans un contexte où le colonialisme israélien régit chaque action, le paradigme actuel de la sécurité alimentaire est tout simplement inadéquat. Par exemple, les États donateurs ont présenté la champignonnière d’Amoro, en Cisjordanie, comme un exemple d’esprit d’entreprise novateur permettant d’atténuer les difficultés économiques des Palestiniens.

Mais alors que la ferme cherchait à briser le monopole des champignons israéliens sur le marché palestinien, la réponse israélienne ne s’est pas fait attendre. Les forces israéliennes ont menacé les épiciers qui se tournaient vers le produit palestinien et ont bloqué dans le port israélien les spores d’importation nécessaires à la culture des champignons jusqu’à ce qu’elles soient périmées.

Cela a interrompu la production de la ferme et mis fin au projet.

À Gaza, le régime israélien a toujours décidé de tout ce qui pouvait entrer dans la bande assiégée. En pulvérisant des herbicides sur les terres palestiniennes et en rendant ainsi inutilisables de vastes étendues de terres agricoles, Israël détermine également la quantité de nourriture que les Palestiniens de Gaza sont autorisés à produire.

Plus grave encore, le génocide qui se déroule depuis le 7 octobre 2023 montre que le régime israélien utilise massivement la soif et la faim comme arme de guerre contre les Palestiniens. Ces actions visent clairement à détruire la base même de la vie palestinienne.

Pendant ce temps, en Cisjordanie, l’illusion de stabilité économique offerte par Israël en échange de l’obéissance a été dissipée depuis octobre 2023, avec la fermeture et l’isolement des villes et la révocation des permis de travail dans la Palestine de 1948, ainsi que son refus de transmettre à l’Autorité palestinienne les revenus fiscaux qu’il lui doit.

Ces mesures soulignent la vulnérabilité de l’économie de la Cisjordanie et sa totale subordination à Israël.

Souveraineté alimentaire et Palestine

La notion de souveraineté alimentaire est née de la nécessité de repenser le paradigme de la sécurité alimentaire et de remédier à ses lacunes dans les pays du Sud, en particulier dans le contexte des programmes d’ajustement structurel imposés par la Banque mondiale et le FMI, qui ont encouragé la marchandisation de l’alimentation.

La souveraineté alimentaire, qui trouve son origine dans les mouvements paysans d’Amérique latine, est définie comme « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, et leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ».

La Via Campesina (Mouvement international des paysans) est l’une des principales voix du mouvement pour la souveraineté alimentaire. Il s’agit d’une coalition mondiale regroupant des centaines de groupes de paysans qui s’opposent à l’organisation descendante des systèmes de production alimentaire et qui s’efforcent de sortir les terres et les ressources des mains du grand capital.

La Via Campesina promeut les principes de l’agroécologie et met l’accent sur la préservation des écosystèmes locaux au lieu des pratiques agricoles industrielles destructrices. Bien que chaque pays du mouvement paysan ait ses propres luttes, ils sont tous menacés par l’exploitation de la terre, du travail et des ressources.

Dans ce contexte, des membres du monde entier échangent leurs connaissances et leurs expériences pour parvenir à la souveraineté alimentaire.

Il est important de noter que le concept de souveraineté alimentaire est plus large que celui de sécurité alimentaire. Elle s’appuie sur les petits exploitants agricoles et privilégie une production alimentaire locale durable. Contrairement au paradigme de la sécurité alimentaire, cette approche se concentre sur la récupération des terres et des ressources, le développement d’une production communautaire et la mise en place de l’infrastructure nécessaire pour soutenir une économie de résistance.

21 mai 2021 – Des Palestiniens manifestent au checkpoint de Beit El DCO (dans la ville palestinienne d’Al Bireh). La manifestation faisait partie des soulèvements quotidiens par les Palestiniens à travers la Cisjordanie, Jérusalem et la Palestine de 48 au cours des deux dernières semaines, dans une exigence sans précédent et unifiée pour la liberté face à la violence structurelle de la domination coloniale israélienne et en réponse aux attaques de l’occupant sur Gaza et en Jérusalem. Au cours de cette période, plus de 250 Palestiniens à Gaza ont été tués, dont 66 enfants, et 27 autres Palestiniens de Cisjordanie ont été tués, dont un certain nombre de mineurs – Photo : Oren ZivActivestills.org

Cette perspective contraste fortement avec la stratégie d’exportation des cultures pour le profit, qui prévaut actuellement et qui encourage les Palestiniens appauvris et affamés à cultiver des fleurs pour les exporter sur les marchés européens au lieu de consacrer leurs efforts à atteindre un premier niveau d’autosuffisance.

Les agriculteurs palestiniens ont adhéré au mouvement : la Palestine est notamment le premier membre arabe de la Via Campesina. Cette adhésion est l’aboutissement de décennies de travail de l’Union des comités de travail agricole et des comités de secours agricoles palestiniens, entre autres organisations.

Leurs activités et le soutien qu’ils ont apporté aux comités agricoles dans des centaines de villages pendant la première Intifada ont contribué à renforcer la résilience des agriculteurs et à souligner l’importance de l’indépendance et de l’autosuffisance agricoles.

Vers une rapide souveraineté alimentaire

La lutte pour la souveraineté alimentaire en Palestine est un champ de bataille essentiel contre le colonialisme sioniste, car elle comporte de multiples facettes de résistance sociale, économique et politique.

Un retour des Palestiniens à l’exploitation des terres, qui se ferait selon des principes démocratiques participatifs et collaboratifs, réduirait l’insécurité alimentaire et augmenterait la capacité de résistance de la société. Il réaffirmerait le rôle des agriculteurs en tant que gardiens du sol et de la résistance, et la culture continue des terres rendrait plus difficile leur confiscation ou leur vol par les colons.

Un autre avantage est qu’elle rendrait les communautés palestiniennes plus résistantes aux fermetures des villages. En se concentrant sur les intrants, la flore et la faune locaux, les projets seraient plus durables, ce qui leur permettrait également d’atténuer les effets déstabilisants des chocs mondiaux.

Israël et ses complices ont fait en sorte que les moyens de subsistance des Palestiniens dépendent fortement du contrôle et de l’approbation des Israéliens. Cela permet de domestiquer les Palestiniens et de décourager toute forme de résistance.

Actuellement l’écrasante majorité des Palestiniens de Cisjordanie vivent soit dans des villes, soit dans des camps de réfugiés, seuls 22 % d’entre eux vivent encore dans les zones rurales. Ces zones rurales constituent la plus grande source de main-d’œuvre palestinienne dont dispose l’économie coloniale.

Le mouvement vers la souveraineté alimentaire doit nécessairement prendre en compte la prolétarisation forcée des agriculteurs palestiniens. Toute avancée nécessitera de libérer les travailleurs palestiniens de l’emprise du capital israélien et, par conséquent, du capital palestinien complice de l’Occupation.

La souveraineté alimentaire peut engendrer de nouveaux moyens de subsistance, qui permettront à la résistance de développer ses actions sans craindre la faim.

Mais cela soulève des questions inconfortables auxquelles les Palestiniens doivent répondre : qui en paiera le prix et en portera le fardeau ? Les autres s’uniront-ils pour soutenir ceux qui cultivent la terre et comment ? Quels sacrifices les Palestiniens sont-ils prêts à faire pour assurer le succès d’une économie de résistance ?

Après tout, nombreux sont ceux qui abandonnent leurs terres pour aller travailler dans l’économie coloniale parce que la production agricole ne peut pas leur fournir un niveau de revenu similaire.

Cette situation est exacerbée par la domination des fruits et légumes israéliens sur le marché palestinien, car le contrôle israélien sur la terre, l’eau, les ressources et les transports signifie que les agriculteurs palestiniens ne peuvent espérer concurrencer les produits israéliens en termes de prix.

Ainsi, il ne sera pas possible d’atteindre la souveraineté alimentaire sans l’aide d’un mouvement sociopolitique plus large qui encourage les Palestiniens à soutenir leurs agriculteurs, même lorsque le prix est relativement plus élevé.

Les aliments produits localement ne doivent pas être considérés comme une simple source de subsistance, mais aussi comme un investissement dans un ordre économique plus indépendant et comme une étape vers un avenir plus digne.

Cette approche est particulièrement importante pour les cultures stratégiques, telles que le blé, qui sont souvent moins chères à l’étranger. Ceux qui peuvent retourner à la terre doivent être encouragés à le faire ; ceux qui ne le peuvent pas ont le devoir de les soutenir et de partager leur fardeau, que ce soit par des subventions ou une collaboration.

Par conséquent, si la souveraineté alimentaire doit être la base d’une économie de résistance, un changement plus substantiel que les habitudes de consommation est nécessaire. Il faut régénérer notre relation avec la terre et transformer nos méthodes de production et de consommation.

La souveraineté alimentaire et le génocide

Jusqu’en octobre 2023, la bande de Gaza était caractérisée par un étalement urbain, qui ne laissait que peu de zones rurales disponibles pour l’agriculture.

La capacité de Gaza à produire 44 % de sa nourriture dans un environnement essentiellement urbain était remarquable, car les villes couvrent rarement leurs propres besoins en nourriture ou en eau sans un vaste environnement campagnard, même dans des circonstances normales.

Sans l’ingéniosité des Palestiniens de Gaza, qui extraient par exemple du gaz et des engrais des déchets et utilisent leurs toits pour cultiver, l’insécurité alimentaire sur le territoire aurait été bien pire.

Néanmoins, il faut reconnaître qu’on ne voit pas comme il serait possible d’atteindre la souveraineté alimentaire pendant que la guerre génocidaire se poursuit. Par exemple, les pratiques agricoles régénératrices qui visent à réhabiliter les sols et à accroître la fertilité ne peuvent pas porter de fruits tant que les forces israéliennes bombardent régulièrement les quelques rares zones agricoles de Gaza.

En juin 2024, le génocide israélien avait déjà détruit 75 % des zones agricoles de Gaza. Si la destruction des arbres et des vergers se poursuit également en Cisjordanie, l’ampleur du génocide et de la destruction à Gaza a atteint des niveaux inégalés.

Photo : MaanImages
Paysan palestinien – Photo : MaanImages

Par conséquent, la souveraineté alimentaire ne peut pas, à elle seule, pallier toutes les conséquences meurtrières du colonialisme de peuplement. Son rôle est plutôt de stimuler les conditions permettant la résistance et la confrontation et d’atténuer les dommages qui en découlent.

Conclusion

Des opportunités politiques peuvent se présenter au moment où l’on s’y attend le moins, et les remises en question du statu quo peuvent déclencher un changement général. Les Palestiniens doivent donc se préparer à soutenir l’essor d’une économie de résistance. Nous devons le faire non pas dans la simple attente d’une opportunité politique, mais avec la volonté de créer activement ces conditions dans le présent. Il ne s’agit pas nécessairement de formuler un plan détaillé pour une économie de la résistance ; après tout, ce n’est qu’après la première Intifada que les jardins de la victoire ont vu le jour. Un changement systémique à ce niveau résultera d’un millier de petites batailles avant, pendant et après l’inévitable déclenchement de la prochaine Intifada.

Aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel pour notre survie en tant que peuple de développer un système de pouvoir alternatif pour atteindre la souveraineté alimentaire afin de renforcer notre fermeté et notre résistance. L’histoire a montré que ce changement ne viendra pas d’en haut et même que l’Autorité palestinienne s’y opposera. Les Palestiniens ne peuvent attendre aucune protection ni aucun soutien de la part de leurs représentants, en particulier face à l’agression sans précédent des colons. Par conséquent, nous devons nous organiser collectivement, au niveau communal et local, pour créer les conditions nécessaires à la résistance.

Recommandations

La communauté palestinienne, en Palestine colonisée et dans la diaspora, devrait se coordonner pour mettre en œuvre les actions suivantes afin de remettre la souveraineté alimentaire au sein d’une économie de résistance :

  • Créer un fonds pour la souveraineté alimentaire – abondé par la diaspora palestinienne – pour réduire la dépendance à l’égard de l’aide étrangère et aider à mettre en place des initiatives et des projets de résistance agricole.
    Cela aurait l’avantage supplémentaire de détourner le développement d’une approche purement entrepreneuriale, comme c’est souvent le cas pour l’aide étrangère au développement. Le fonds devrait être contrôlé démocratiquement, avec les plus hauts niveaux de transparence. Le Fonds social palestinien pourrait servir de modèle de base.
  • Soutenir le développement du commerce palestinien et des réseaux de solidarité reliant les Palestiniens, où qu’ils se trouvent, aux agriculteurs.
    L’achat de biens à un prix élevé, en particulier par les Palestiniens de la diaspora et de l’intérieur de la ligne verte, pourrait faciliter le transfert de richesses vers les agriculteurs locaux. Ces réseaux peuvent également contribuer à subventionner des cultures stratégiques moins rentables mais importantes, telles que le blé.
  • Élargir les boycotts des produits israéliens soutenus par la société, stigmatiser la consommation de produits israéliens et donner la priorité à l’achat de produits palestiniens.
  • Investir dans l’agrotechnologie pour maximiser l’efficacité des ressources disponibles.
    Bien qu’il soit important d’étendre les terres utilisées pour l’agriculture, des études montrent que les petites exploitations bien entretenues et irriguées peuvent être jusqu’à 28 fois plus productives (par dounam) que les exploitations purement pluviales. Compte tenu du vol des sources d’eau palestiniennes par le colonialisme sioniste, l’optimisation de l’efficacité des maigres ressources disponibles pourrait avoir un effet globalement plus productif. Des technologies simples, telles que les lits à mèche, offrent une méthode d’irrigation économe en eau et réduisent la quantité de travail agricole. Le palissage à haute densité peut être utilisé pour doubler, voire tripler les rendements de la production d’arbres fruitiers par rapport aux vergers traditionnels, tout en réduisant les besoins en main-d’œuvre, en eau, en terres et en engrais. De telles mesures ont des coûts d’installation plus élevés et nécessitent une formation spéciale pour les agriculteurs, mais elles seraient beaucoup plus résilientes et productives à moyen et long terme.
  • Utiliser les déchets qui sont généralement jetés, tels que le fumier et les déchets organiques, pour produire des engrais, du biogaz ou des composants pour l’alimentation animale.
  • Intégrer les leçons des mouvements paysans du Sud et intégrer la faune et la flore indigènes dans les projets agricoles.
    Par exemple, l’élevage en Palestine est quasiment impossible à cause du manque d’eau et de nourriture, pourtant les principales entreprises laitières se concentrent exclusivement sur le lait de vache. En remplaçant les bovins par des chameaux et des chèvres, on pourrait réduire la consommation d’eau de 50 % et la consommation d’aliments de 35 % par litre de lait produit. Autre avantage, les chameaux et les chèvres sont moins exigeants au plan alimentaire et plus résistants que les vaches en cas de sécheresse ou de famine. En outre, ils produisent moins de fumier, ce qui réduit leur empreinte écologique et le risque de contamination des nappes phréatiques.
  • Sensibiliser les populations locales à l’agroécologie afin de dissiper l’idée qu’il s’agit d’une idée importée qui n’a d’autre intérêt que de procurer des financements étrangers. S’efforcer de faire évoluer les mentalités palestiniennes pour qu’elles s’alignent sur les principes de l’agriculture traditionnelle, en encourageant un retour à l’agriculture de nos grands-parents, qui ne dépendaient pas des importations ni de la destruction de l’environnement.
    Une ” rel=”noopener” target=”_blank”>ancienne technique agricole palestinienne qui pourrait être remise au goût du jour consiste à utiliser des brumisateurs pour arroser les plantes dans les régions où le taux d’humidité est adéquat.
  • Calculer la faisabilité de tout projet impliquant des ressources stratégiques ou des cultures de base, en mettant l’accent sur l’utilité stratégique ou politique plutôt que sur la performance économique pure.
    Par exemple, cultiver notre propre blé peut être plus coûteux dans les circonstances actuelles, mais le produire sans interruption en contrôlant localement sa production, est crucial pour la résilience.
  • Encourager la constitution de stocks de biens stratégiques faciles d’accès en cas d’urgence ou de blocus.
  • Encourager la mise en place d’un réseau complet de coopératives complémentaires pour la production, la transformation et la vente de denrées alimentaires.
    Une fois établies, les coopératives agricoles devraient devenir des parties prenantes de leurs communautés respectives et remplir une fonction sociale positive afin d’attirer davantage de Palestiniens vers ce modèle. Elles pourraient constituer un modèle de base pour remettre en question la politique économique néolibérale et les notions individualistes de réussite.

27 août 2024 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet