Par Ramzy Baroud
Une nouvelle mode apparaît dans le discours de la hasbara israélienne visant les Palestiniens, les Arabes et les musulmans : les droits des femmes.
Le qualificatif de « nouvelle » n’est pas tout à fait exact. L’utilisation abusive des combats pour les droits des femmes dans le monde arabe et musulman n’est nouvelle que dans la mesure où le discours de propagande israélien a de plus en plus recours à cette tactique.
Cela a été démontré d’une manière très curieuse lors du discours du président iranien Ebrahim Raisi le 19 septembre, à l’occasion de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies [AGNU] à New York.
La mise en scène a été orchestrée par Gilad Erdan, un diplomate israélien de peu d’envergure et ambassadeur de Tel-Aviv auprès des Nations unies.
La véritable force d’Erdan vient du fait qu’il est soutenu par les mêmes gouvernements occidentaux qui continuent à financer et à défendre la machine de guerre israélienne et l’occupation militaire de la Palestine.
Naturellement, par rapport à n’importe quel autre diplomate de l’ONU, il bénéficie d’une couverture médiatique disproportionnée de la part des grands médias occidentaux.
L’activité d’Erdan repose essentiellement sur une seule tactique : s’il n’est pas satisfait de la conduite de ses pairs à l’AGNU, il les accuse tout simplement d’être « antisémites », comme s’il s’agissait d’une évidence.
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A l’occasion, c’est l’ensemble du corps politique des Nations unies est accusé d’être anti-israélien et antisémite…
Cet artifice israélien, qui consiste à qualifier d’antisémites ceux qui disent les faits, ne réussit que parce qu’elle fait partie d’un discours politique et prétendument intellectuel à grande échelle, constamment alimenté par les médias et accepté comme un fait par les dirigeants politiques occidentaux.
En effet, si Erdan devait être évalué en tant que diplomate, sans le soutien incontestable qu’il reçoit de la part des médias et des gouvernements occidentaux, il aurait été contraint de trouver une toute autre profession.
Son comportement récent à l’AGNU en est la parfaite illustration. Dans une initiative grossièrement chorégraphiée, il a commencé à marcher de long en large dans la salle d’assemblée en brandissant une photo de Mahsa Amini, décédée à Téhéran l’année dernière. La pancarte disait : « Les femmes iraniennes méritent la liberté maintenant ».
Conformément aux règles de l’ONU, Erdan a finalement été viré par les services de sécurité, ce qu’il avait sans doute anticipé.
Pour lui, cependant, sa mascarade a été un succès, car elle a créé la distraction nécessaire non seulement au moment du discours de M. Raisi, mais aussi par rapport à la couverture médiatique du même discours.
Bien que certains aient suggéré qu’Erdan s’était rendu ridicule, notamment en raison de son expulsion de la salle de l’AGNU, je me demande s’il a été,d’une manière ou d’une autre, surpris par le résultat de son comportement.
Jouant à la star, au moins pour les gouvernements et les organisations anti-iraniennes qui partagent ses vues, il voulait que le débat passe des droits des Palestiniens à ceux des Iraniens. Pour lui, la mission était remplie.
Parmi les nombreux articles et la couverture médiatique qui ont suivi la mise en scène d’Erdan, peu de monde, même au Moyen-Orient, a parlé de la guerre d’Israël contre les femmes palestiniennes : les meurtres, l’emprisonnement, la torture, le déni de la liberté de mouvement, l’humiliation quotidienne, le refus de médicaments essentiels, et bien plus encore.
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Selon les Nations unies, au moins 253 femmes ont été tuées à Gaza au cours de la seule guerre de 2014.
Ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg, car chaque femme palestinienne vivant sous l’occupation israélienne, que ce soit à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et à Gaza, souffre quotidiennement.
Ces femmes sont complètement partie prenante de la lutte collective et de la souffrance de tous les Palestiniens.
Erdan n’avait naturellement rien prévu pour ces femmes. Il en va de même pour de nombreuses organisations historiques, prétendument féministes, qui continuent à se solidariser avec les femmes iraniennes tout en ignorant la douleur et l’humiliation des femmes palestiniennes aux mains de l’armée et du pouvoir israéliens.
Malheureusement, peu d’actions ont suivi un rapport accablant publié par l’organisation israélienne de défense des droits, B’Tselem, le 5 septembre, dans lequel des femmes palestiniennes de la famille Ajlouni ont été humiliées et exhibées complètement nues devant leurs enfants. Cet épisode s’est déroulé alors que les garçons et les hommes de la famille Ajlouni étaient menottés et avaient les yeux bandés, et que les soldats israéliens volaient l’or et l’argent de ces femmes.
Il s’agit bien entendu de la norme et non de l’exception. Il semble que, quel que soit le sort réservé par Israël aux femmes palestiniennes, peu d’actions suivent, hormis celles organisées par les Palestiniens et leurs sympathisants.
Pas de pancartes à l’Assemblée générale des Nations unies, pas de campagnes menées par le département d’État américain, pas de hashtags dédiés, pas de manifestations de masse, rien de tout cela.
Lorsque la défense des droits de l’homme et de la femme ne s’applique que dans les situations où le coupable est un ennemi des États-Unis, on peut se demander si la défense des droits a quelque chose à voir avec le sujet.
L’ironie est qu’Israël a été l’une des principales forces politiques à l’origine des sanctions meurtrières imposées par les États-Unis et l’Occident à l’Iran pendant des années. Ces sanctions ont dévasté la société et les familles iraniennes, hommes et femmes confondus.
C’est un autre élément qui a été omis dans la couverture médiatique de la comédie d’Erdan à l’ONU.
Mais Erdan n’est pas le seul. S’abriter derrière les droits des femmes au Moyen-Orient est désormais la tactique privilégiée dans de nombreux débats publiques, conférences et couvertures médiatiques d’Israël et de la Palestine.
Même si cette tactique ne parvient pas à modifier radicalement la perception de l’occupation israélienne et de l’apartheid en Palestine, elle crée une distraction dans l’esprit de certains.
J’en ai personnellement fait l’expérience au cours de plusieurs de mes tournées dans diverses parties du monde, de Vancouver au Canada à Madrid, en passant par Nairobi.
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Il est triste de constater que des personnes bien intentionnées s’engagent souvent dans des discussions en marge, soit en défendant les sociétés du Moyen-Orient, soit en approuvant d’un signe de tête les « militantes » autoproclamées des droits de la femme.
Mais Israël n’a pas été les inventeurs de l’exploitation de la « libération des femmes » comme stratégie visant à détourner ou à justifier ses propres crimes de guerre contre les civils. Les États-Unis l’ont utilisée comme colonne vertébrale de la vaste propagande qui a précédé les guerres d’Irak et d’Afghanistan.
Et, bien entendu, une fois les invasions et la soumission de ces pays menées à bien, les femmes irakiennes et afghanes ont disparu des premières pages.
Dans les deux cas, des dizaines de milliers de femmes ont été tuées, violées et torturées par l’armée américaine. Quant aux « militantes » qui avaient initialement rejoint les premières campagnes de défense des droits des femmes menées par les États-Unis, elles disparaissent souvent de la scène lorsque les femmes sont les victimes des États-Unis, de l’Occident et d’Israël.
Si les sociétés arabes et musulmanes ont leurs propres luttes sociales et politiques, nous devons veiller à ne pas autoriser Tel-Aviv et Washington à détourner ces luttes pour leurs propres et sinistres objectifs politiques.
Pour que les femmes soient « libérées » dans une société, il n’est pas tolérable que les femmes d’une autre société soient contraintes de vivre dans une servitude perpétuelle, une occupation permanente et un apartheid raciste.
Cette logique devrait s’appliquer à toutes les situations d’inégalité, d’injustice, de discrimination et de racisme, partout dans le monde.
Et un défenseur des crimes de guerre comme Gilad Erdan ne doit pas être autorisé à jouer sur deux tableaux : celui d’un apologiste des mauvais traitements infligés aux femmes en Palestine et celui de « combattant de la liberté » pour les femmes partout ailleurs dans le monde.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out ». Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
30 septembre 2023 – The Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah