Palestine occupée : l’objectif est à présent de liquider toute manifestation de résistance

Rassemblement de soutien à la résistance palestinienne et libanaise - Téhéran - Photo : archives ISNA

Par Leila Sansour

Un nouvel ordre est imposé aux Palestiniens. Ignorer cette nouvelle réalité ou refuser de s’y impliquer reviendrait à perdre toute capacité d’action.

Deux sortes de discussions sont apparues à la suite du dernier cessez-le-feu, qui a mis fin de manière fragile au carnage à Gaza : l’une est calme, pragmatique et régionale ; l’autre est bruyante, moraliste et mondiale.

La première se déroule à huis clos, entre diplomates, services de renseignement et vétérans de la politique au Moyen-Orient. La seconde remplit nos fils d’actualité, animée par l’indignation et la solidarité, seule réponse humaine décente à l’horreur. La première esquisse une nouvelle carte du pouvoir, tandis que la seconde parle de trahison et de méfiance.

Si l’on écoute attentivement, une conclusion frappante se dégage des capitales régionales : la guerre à Gaza est terminée, non seulement sur le plan militaire, mais aussi en tant que paradigme politique.

Aux yeux de ceux qui gèrent les affaires de l’État, l’accord marque un point de non-retour. Ce qui se déroule actuellement n’est pas une trêve, mais un réaménagement. La catastrophe de Gaza a déclenché un rééquilibrage qui aura des répercussions bien au-delà de ses frontières, touchant profondément Israël, remodelant la politique palestinienne et redéfinissant la nature de la stabilité régionale pour les années à venir.

Dans cette nouvelle situation, le Hamas – et en fait l’ensemble du projet de l’islam politique, ainsi que la plupart des acteurs non étatiques – est menacé d’exclusion de la politique officielle.

Les classes dirigeantes de la région, nouvellement alignées autour de la recherche de la stabilité, du commerce et d’une modernisation contrôlée, considèrent désormais ces mouvements comme des vestiges du passé et des agents du chaos. Un consensus croissant s’établit sur la nécessité de contenir ou d’éradiquer tous ces acteurs.

La même logique de contrôle s’étendra à la Cisjordanie, tout simplement parce que l’ordre régional émergent privilégie avant tout la gouvernabilité. Le plan arabe prévoit que les États arabes, rejoints par certaines puissances islamiques et internationales, interviennent pour placer la Cisjordanie sous supervision temporaire – administrative, financière et sécuritaire – ouvrant ainsi la voie à une transition contrôlée.

L’Autorité palestinienne se verra offrir ce qui pourrait être sa dernière chance de se réformer, un processus qui sera supervisé par une équipe de technocrates indépendants chargés de restructurer les institutions, de gouverner Gaza et de préparer le terrain pour les élections.

Si l’Autorité palestinienne résiste à cette restructuration, elle sera isolée et privée de financement.

Beaucoup y verront une volonté non pas de réforme, mais de transfert de pouvoir – il est certain que la logique de ceux qui mènent ce processus n’est pas l’idéalisme démocratique. Ils cherchent à sécuriser la rue palestinienne grâce à un leadership capable à la fois de contenir le mécontentement et de négocier de manière raisonnable.

Les Palestiniens n’ont ni monarques ni dynasties, et en l’absence de telles structures, le vote reste le seul outil viable pour maintenir la légitimité interne, même s’il est organisé par des intérêts extérieurs.

L’Organisation de libération de la Palestine, une coquille vide depuis longtemps, pourrait bientôt se trouver réduite à une structure symbolique, un foyer cérémoniel pour les partis de la « libération ».

Dans le nouvel ordre régional, elle risque d’être considérée comme une structure qui n’est plus d’actualité, son activité s’étant réduite à des déclarations, des appels et la recherche de fonds auprès de donateurs.

Ceux qui souhaitent rester politiquement pertinents devront se reconstituer – en tenant compte du nouvel ordre – en tant que partis civils dépouillés de leur éthique révolutionnaire.

Tels sont les contours de ce que beaucoup dans les cercles politiques considèrent désormais comme inévitable. C’est une vision que peu de gens décrivent ouvertement, mais qui est discrètement adoptée avec une confiance croissante, d’Amman au Caire, de Riyad aux principales capitales occidentales.

Mais c’est là que réside le clivage. Alors que les initiés parlent en termes de systèmes, de supervision et d’« ordre », beaucoup à travers le monde reculent devant ce qu’ils considèrent comme un calcul cynique et un transfert de pouvoir, un réaménagement injuste et indécent qui garantit l’impunité des criminels de guerre.

Les militants et les mouvements de solidarité voient ces manœuvres non pas comme un réaménagement, mais comme une trahison. Ils ne peuvent pas faire confiance à Israël ou aux États-Unis, ni aux gouvernements régionaux qui semblent s’être alignés sur l’argent et le pouvoir. Et ils ont raison de se méfier.

Pourtant, entre naïveté et cynisme, il doit y avoir une place pour le réalisme – non pas le réalisme de la résignation, mais celui de la prise de conscience.

Ce qui se passe actuellement n’est pas une œuvre de justice, mais l’émergence d’une nouvelle structure qui définira la mesure dans laquelle la justice peut ou ne peut pas rendue. L’ignorer, c’est renoncer une fois de plus à son pouvoir d’action.

Le sanglant séisme de Gaza a changé la grammaire du conflit. Le pouvoir israélien, bien que brutal, n’est plus absolu. La politique régionale est en pleine mutation. Un nouvel ordre est en train de s’écrire, et ceux qui souhaitent y participer doivent en apprendre le vocabulaire. Sinon, ils risquent de devenir des notes de bas de page, dont on se souviendra uniquement pour leur refus de s’adapter au monde qui se refaçonnait sous leurs yeux.

À mon avis, les deux courants – le pragmatique et l’éthique – cheminent désormais côte à côte, en s’entremêlant, s’affrontant et progressant à travers toutes leurs contradictions.

Parallèlement à cette division, un deuxième axe s’entrecroise : d’une part, le projet expansionniste implacable d’Israël continue de récuser et de saboter tout cadre émergent de paix, de justice ou d’ordre. D’autre part, les calculs commerciaux des puissances régionales, chacune étant, à des degrés divers, liée aux États-Unis et exerçant une influence sur eux.

À court terme, les tensions entre ces deux courants produiront des turbulences. Mais à plus long terme, lorsque l’attention de Washington sera inévitablement contrainte de se tourner vers la Chine et la Russie, et que l’opinion publique occidentale ne supportera plus du tout l’impunité d’Israël et la logique coloniale qui la sous-tend, il est difficile d’imaginer comment le deuxième courant, celui des pragmatiques régionaux, ne finira pas par l’emporter, peut-être plus tôt que prévu.

En attendant, les mouvements de solidarité continueront à s’exprimer au nom des valeurs – des droits, de la mémoire et de la morale qui continue d’exiger la justice à une époque où prévaut l’opportunisme.

Leur voix reste indispensable ; c’est la voix de la conscience qui rappelle ce que la politique oublie trop souvent. L’arc de l’histoire ne se courbera pas de lui-même vers la justice ; il doit y être poussé par ceux qui refusent l’amnésie, qui n’échangent pas leurs valeurs contre le confort.

Pour la diaspora palestinienne et l’opinion publique internationale animée par la solidarité, la tâche à accomplir est claire. Ils doivent résister au confort soporifique des gestes apaisants qui ne manqueront pas de se multiplier : reconnaissances, résolutions, promesses de reconstruction. Acceptez-les avec grâce, mais ne les confondez pas avec un véritable changement.

La pression en faveur de changements concrets sur le terrain et de l’obligation d’être comptable de ses actes doivent rester incessantes. Les architectes et les exécutants du génocide à Gaza devront un jour répondre devant la justice, non par vengeance, mais pour redonner tout son sens à la justice elle-même.

Ce n’est que grâce à une telle persévérance que la conscience peut rester une force politique et que la lutte pour la Palestine – pour la dignité, l’égalité et la vérité – continue de définir non seulement le destin d’un peuple, mais aussi le socle moral de notre époque.

L’autre tâche, plus difficile, est celle qui est trop souvent négligée : la construction d’un nouveau leadership politique sur le terrain. Il existe aujourd’hui un vide – étroit, incertain, mais réel. Il n’est pas facile d’occuper cet espace diffus, mais il faut absolument le faire.

La prochaine génération doit comprendre qu’il ne suffira plus de témoigner, de protester ou de commenter de l’extérieur. Personne ne leur tendra la main pour les inviter à prendre le pouvoir ; ils devront revendiquer cet espace eux-mêmes par leur initiative, leur clarté et leur travail acharné.

Au moment où les Palestiniens reviennent à la case départ sur le plan politique, ceux qui souhaitent voir émerger un nouveau type de leadership doivent s’engager directement pour élaborer des politiques et aider à former et à financer les mouvements capables de faire avancer une nation.

Car ce n’est que grâce à l’émergence de nouvelles forces politiques et à un langage capable de s’adresser à la fois à la rue et aux sphères du pouvoir que les Palestiniens pourront faire entendre leur voix dans ce nouveau chapitre qui s’ouvre.

21 octobre 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

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