Palestine : il ne faut pas perdre espoir !

Un enfant palestino-chilien brandit un drapeau palestinien lors d'une marche, Santiago, Chili, août 2014 - Photo : via TeleSUR

Par Mariam Barghouti

Ceux et celles qui se mobilisent contre le génocide israélien sont confrontés à l’épuisement et à la dépression. C’est le résultat de la « guerre d’usure » menée par Israël.

Lorsque, au début du mois d’octobre, nous, Palestiniens, avons exposé au monde ce qui allait se passer, nos témoignages et notre anticipation ont été perçus comme une exagération.

Nos avertissements concernant l’addiction terrifiante d’Israël à l’usage disproportionné de la violence, n’ont pas été pris au sérieux. Pire encore, nos avertissements selon lesquels Israël allait commettre des massacres de Palestiniens à grande échelle ont été qualifiés d’ « antisémites ».

Aujourd’hui, les statistiques officielles font état de 33 000 Palestiniens tués par les frappes aériennes israéliennes, les bombes de fabrication américaine, les bombardements et les exécutions sommaires à Gaza et en Cisjordanie. Ce chiffre ne tient pas compte de tous les « disparus » sous les décombres, abattus dans les rues ou dans leurs maisons par les soldats de l’occupation, ou ensevelis sous le sable par leurs bulldozers.

Alors que Gaza subit de plein fouet les violences israéliennes, les Palestiniens de Cisjordanie sont arrêtés par milliers, y compris des enfants, dont la plupart n’ont pas droit à un procès. Ils sont détenus dans des conditions de torture et d’abus qui ont entraîné la mort d’au moins 13 captifs palestiniens au cours des six derniers mois.

Pendant ce temps, les Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne ainsi que les Palestiniens de Jérusalem souffrent des lois draconiennes d’apartheid d’Israël tout en étant contrôlés, détenus, torturés et attaqués par des meutes israéliennes pour avoir simplement partagé des messages sur les médias sociaux ou consulté ce qu’Israël appelle des « médias terroristes ».

Si je devais décrire les 26 dernières semaines, ce serait une heure après l’autre de lutte pour arriver au bout. Je me suis demandé quel était l’intérêt d’écrire un autre article sur le sadisme impitoyable d’Israël.

Entre le moment où j’ai proposé cet article et celui où j’ai trouvé la force de l’écrire, plus de 3000 enfants, femmes et hommes palestiniens ont été tués. Le complexe médical Al-Shifa a été complètement détruit et les exécutions sommaires en Cisjordanie n’ont fait que s’intensifier.

Le sentiment d’engourdissement, de paralysie des Palestiniens est l’un des objectifs de la stratégie israélienne d’ « attrition ». Une guerre d’usure qui vise à créer les conditions nécessaires pour drainer, épuiser et affaiblir un adversaire. Elle vise à réduire la capacité de riposte.

L’objectif d’Israël est d’épuiser émotionnel, moral et mental de ceux qui résistent à son occupation et à sa colonisation, afin qu’ils perdent la motivation et la volonté de s’engager et de se mobiliser face à la brutalité de la répression.

L’état sioniste a appliqué cette stratégie en « temps de paix » également. Suivant les traces des colonialistes européens et de leur logique de pacification, Israël a cherché à user la population palestinienne jusqu’à la soumettre totalement en lui rendant la vie impossible à tous les niveaux.

Tout en alimentant le monde avec le faux récit de la « légitime défense », il a tenté de créer un modèle de Palestinien moribond : pas nécessairement mort, mais toujours sur le fil, constamment confronté au choix entre la mort et le supplice.

Je ne pense pas pouvoir un jour expliquer pleinement ce que c’est que d’être un Palestinien – avec toutes les nuances de couleurs qui nous caractérisent. Ce n’est pas par manque de vocabulaire, mais plutôt parce que je reconnais que si je parlais des horreurs, je ne suis pas certain que ceux qui m’écoutent supporteraient d’entendre toute la douleur inhérente à l’expérience palestinienne.

Au cours des 182 derniers jours, les Palestiniens ont été plongés dans des vagues de chagrin profond, de douleur pénétrante et de peur paralysante d’une perte anticipée. Des frissons de terreur restent coincés dans notre colonne vertébrale, incapables de s’échapper, tout comme nous.

L’un des aspects les plus éprouvants de cette agression est de devoir gérer ce deuil. Tant de personnes que nous connaissons ont été tuées, arrêtées ou déplacées… Les Palestiniens ont souffert non seulement d’un déplacement physique, mais aussi d’un déplacement psychologique ; nos ancrages mentaux et émotionnels ont été délogés.

C’est une douleur atroce que d’être témoin des différentes façons dont les corps palestiniens peuvent être privés de tout ce qui fait la vie.

Il n’est pas possible d’enterrer les dépouilles des tués, ni de faire collectivement nos deuils, non seulement matériels mais aussi émotionnels : les maisons détruites, les souvenirs détruits et l’espoir anéanti que nous avions rassemblé pour vivre.

L’exposition continue à la psychopathie inflexible d’Israël s’accompagne d’un sentiment collectif d’épuisement, non seulement au sein de la population qui tente encore de survivre au massacre israélien, mais aussi parmi ceux qui se mobilisent pour mettre fin à un génocide encore en cours au moment où j’écris ces mots.

L’épuisement est réel. Trop d’entre nous sont trop épuisés pour dire quoi que ce soit, pour ne pas succomber à l’illusion que nos voix n’ont pas d’importance et n’aboutiront à rien. Alors que nous restons assis sur ces sentiments tellement pénibles et désespérés, la guerre persiste et l’ampleur des horreurs s’accroît.

Et il ne s’agit pas seulement de nous, Palestiniens en Palestine. Cela s’étend à tous ceux qui, dans le monde, se sont soulevés contre le génocide. Israël a répondu à la résistance mondiale par davantage de massacres – comme l’assassinat de travailleurs humanitaires internationaux – et davantage de lobbying pour que ses détracteurs soient punis.

Alors que les gouvernements refusent de prendre des mesures pour mettre fin au massacre, ceux qui se mobilisent contre le génocide sont lentement et stratégiquement poussés vers la paralysie, le désespoir et la conviction que l’assaut israélien ne peut pas être arrêté.

En mai 2021, alors que les Palestiniens étaient au cœur des plus grands soulèvements de ces dernières décennies, alors qu’ils montraient une véritable unité à travers Gaza, la Cisjordanie, les territoires de 1948 et la diaspora, j’ai écrit un article pour le Guardian intitulé « Pourquoi les Palestiniens protestent-ils ? Parce que nous voulons vivre ».

J’ai écrit cet article sur mon téléphone, entre les gaz lacrymogènes lancés par les soldats israéliens et les coups violents assénés par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, auxquels j’ai échappé de justesse.

C’était une période brutale, terrifiante et déterminante. Dans cet article, j’ai essayé de saisir la stratégie du colonialisme : « Voilà ce que fait le colonialisme : il étouffe chaque partie de votre vie, puis il finit par vous enterrer ».

Je n’essayais pas de dessiner la silhouette d’un tueur. J’essayais de capturer le moment de défi et d’unité renouvelée des Palestiniens, du fleuve à la mer et dans la diaspora.

« Il s’agit d’un processus stratégique et délibéré, qui n’est entravé ou retardé que parce que les oppresseurs sont presque toujours confrontés et remis en question par ceux qui sont sous leur domination », ai-je alors écrit.

En effet, au cours des dernières décennies, Israël n’a pas été épargné par la contestation. Les Palestiniens ont continué à se soulever contre ses politiques de répression : un soulèvement après l’autre, de la non-violence à la diplomatie, en passant par la résistance armée.

Alors que la conquête israélienne des terres, des ressources et des vies palestiniennes s’intensifie, la lutte des Palestiniens s’intensifie elle aussi.

Au cours des six derniers mois, Israël et ceux qui le soutiennent ont cherché à effacer l’histoire et le contexte et à présenter le 7 octobre comme une attaque brutale « injustifiée » contre Israël. En réalité, le 7 octobre, un peuple étouffé par des décennies de colonialisme et d’oppression a utilisé son dernier souffle pour rejeter le choix impossible de la mort ou du supplice et pour lancer un appel au monde.

C’est peut-être ce qui a réellement ébranlé Israël et ses alliés le 7 octobre. Ce qui a déclenché la colère d’Israël, c’est le fait que les Palestiniens respiraient encore après des décennies de pacification coloniale.

Comprenez bien ceci : ce qui se dresse entre notre éradication et notre survie, c’est vous, la communauté mondiale. En libérant sa force génocidaire sur nous, Israël a impliqué le reste du monde.

Le génocide israélien est rendu possible par le soutien international. Il utilise des armes fournies par des gouvernements étrangers et jouit de l’impunité garantie par ces derniers pour éviter d’avoir à répondre de ses crimes.

Il faut le reconnaître : les Palestiniens ne sont pas encore enterrés, et si les destructions sont massives, le nombre de survivants l’est tout autant, avec des rêves à poursuivre, des miracles à observer et une foi en l’humanité à réinstaller.

Au milieu de toutes ces destructions, il y a la vie, et les Palestiniens mènent un combat d’enfer pour la conserver.

6 avril 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine

2 Commentaires

  1. Netanyahou fait face aussi à des manifestations en Israël, demandant sa démission et de nouvelles élections qui l’élimineraient et le livreraient à la justice en Israël et internationalement pour crimes de guerre, ce me semble. D’où son accrochage désespéré au pouvoir avec l’extrême droite. Il s’agit, par une guerre de massacres, destructions, famine “génocidaire”, d’exacerber les haines et vengeances, empêcher une nécessaire et difficile réconciliation entre palestinien.ne.s et israélien.ne.s , tout comme les islamistes du Hamas et du Djihad islamique veulent la haine réciproque. Mon point de vue est contestable par ignorances. D’autres “ennemis héréditaires” ont pu se réconcilier.

    • Nous divergeons au moins sur deux points : 1) la résistance à l’occupation est totalement légitime et nous ne renvoyons pas dos à dos occupants et occupés, qui est une position commode; 2) ensuite, si Netanyahu était condamné par la soit-disant “justice” israélienne, ce serait pour corruption aggravée, et non pas pour des crimes de guerre dont les Israéliens ne se soucient nullement.

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