
A Gaza, Yazan, âgé de deux ans, souffre de malnutrition sévère. Sa mère, Naima, déclare : « Nous n’avons pas reçu de farine ni aucune aide alimentaire depuis deux mois. » - Photo : El Baba / Unicef
Par Marie Schwab
« Quand vous ne voulez pas d’État palestinien, qu’est-ce qui vous reste à faire ? Exterminer les Palestiniens. Soit par mort lente comme en Cisjordanie avant octobre 2023, soit de manière brutale comme en ce moment à Gaza. » Husam Zomlot, envoyé de l’OLP à Londres.
Le génocide à Gaza n’est pas un moyen d’arriver à un quelconque but, mais une fin en soi.
A Gaza, même les fœtus dans le ventre de leur mère ne sont pas à l’abri des bombes.
A Gaza, les enfants ne grandissent plus, ils s’étiolent.
A Gaza, le bonheur des pères consiste à rentrer vivants avec un sac de farine.
Il ne s’agit pas de demander à l’occupant de larguer un peu moins de bombes, mais de le stopper par tous les moyens.
Il ne s’agit pas de demander à l’occupant de laisser entrer un peu plus de nourriture, mais de forcer le blocus, d’ouvrir en grand les portes du camp de concentration qu’est Gaza, d’imposer le droit par la force.
Les États tiers n’ont pas à servir d’intermédiaires ni à demander des faveurs ou des autorisations à un État génocidaire. On ne discute pas avec des criminels en série, on les arrête.
N’est-il pas absurde que le Dr. Ahmad al-Farra, à l’hôpital Nasser, soit obligé de rappeler que « les enfants ne peuvent pas survivre longtemps sans manger », que « les enfants vont mourir en masse si les points de passage ne sont pas ouverts » ? [1]
N’est-il pas absurde que face à la famine annoncée, organisée, filmée, la seule réponse du monde soit le largage par avion d’une quantité dérisoire de nourriture ?
Cette quantité infime d’aide qui, souvent, s’abîme en mer, tombe dans des zones interdites aux Palestiniens, tue des enfants en s’abattant sur leur tente, s’éclate au sol et se répand dans le sable, n’est qu’une des multiples formes que revêt le génocide. Une distraction, un camouflage qui sont l’occasion pour l’occupant et ses soutiens d’une nouvelle campagne de propagande.
Quatre États complices de génocide, dont la France, se rachètent une conscience en larguant l’équivalent du chargement de deux camions sur Gaza, quand les 500 à 600 camions qui entraient chaque jour à Gaza avant octobre 2023 – lorsque Gaza était autonome en eau – maintenaient tout juste un accès à l’alimentation comparable à celui de Haïti et de la République Démocratique du Congo.

20 juillet 2025 – Un adieu à Fadi Al-Najjar, âgé de 3 mois, décédé des suites de la malnutrition. Le ministère de la Santé à Gaza confirme le décès de 72 enfants depuis le début de la guerre à Gaza, en raison de la malnutrition causée par le manque de lait et la fermeture continue des points de passage vers le territoire assiégé et bombardé – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Dans le même temps, l’occupant détruit 1000 tonnes de nourriture et de fournitures médicales destinées aux organismes humanitaires et continue de bloquer des centaines de milliers de tonnes d’aide à la frontière.
Les parents continuent de donner des biberons d’eau salée à leurs bébés en lieu et place de lait.
Le même flux ininterrompu de blessés arrivent à l’hôpital où les médecins continuent malgré leurs jambes chancelantes et leurs étourdissement à prodiguer des soins.
Dans les morgues, les corps s’entassent au même rythme terrifiant.
Anas al-Sharif, journaliste, témoigne : « J’ai constaté que les blessés saignaient moins, malgré la gravité des blessures. Un médecin m’a expliqué qu’une faim extrême entraîne une diminution des plaquettes et des liquides corporels, ce qui réduit les saignements et rend la victime plus susceptible de s’effondrer rapidement et de mourir subitement en quelques minutes. » [2]
Les enfants grands brûlés ne se plaignent pas de la douleur, mais de la faim, ou réclament leurs parents : un comportement jamais observé nulle part ailleurs, même par les humanitaires les plus chevronnés.
Au premier jour de la « pause », au cours duquel près de 100 Palestiniens ont été assassinés par l’occupant, Yassin est revenu d’une distribution de nourriture non avec un sac de farine sur l’épaule mais avec le corps de Mounir, son fils.
Zayed, 25 ans, est plus chanceux : « Par miracle, j’ai pu ramener le sac de farine qu’un homme portait à côté de moi quand il a été tué. J’ai pris le sac qui était tâché de sang et je suis rentré à notre tente, à Tal al-Hawa. La farine était rouge de son sang, mais c’est tout ce que j’ai pu trouver. » Sa famille n’avait rien mangé depuis cinq jours.
Selon l’IPC, la population de Gaza vit « le pire scénario possible de famine ».
La conséquence logique, planifiée, d’un blocus total conjugué à des décennies de destruction systématique de la souveraineté alimentaire à Gaza par l’occupant.
Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, n’a cessé de le rappeler depuis décembre 2023: « Quand le premier enfant meurt de faim ou de malnutrition, nous savons que la famine est là. Parce que le premier souci de n’importe quelle société au monde, c’est de nourrir ses enfants, à tout prix. »
A vrai dire, le pire est arrivé depuis bien longtemps à Gaza, et il n’a cessé d’empirer, sous nos yeux, chaque puissance se retranchant derrière sa soi-disant impuissance.
L’impuissance à stopper ses propres livraisons d’armes, l’impuissance à rappeler ses propres diplomates et à expulser ceux de l’occupant, l’impuissance à couper tout lien économique, culturel, politique avec Israël, l’impuissance à interdire les importations de produits israéliens sur son propre sol, l’impuissance à interdire les investissements en Israël à ses propres banques, l’impuissance à briser le blocus par terre ou par mer lorsqu’on possède une flotte maritime et tout un arsenal militaire terrestre dont un seul bulldozer suffirait à ouvrir les passages, l’impuissance à arrêter un criminel de guerre qui traverse notre espace aérien n’a qu’un nom : la complicité volontaire.
Et dans le même temps, à Gaza, jour après jour, des parents implorent Dieu de leur rendre leur enfant.
Et dans le même temps, à Gaza, jour après jour, des enfants embrassent le corps de leur frère, de leur mère, en les implorant de ne pas les laisser seuls.

20 juin 2025 – Les attaques israéliennes et les pénuries médicales à Gaza mettent des vies en danger. Mariam Abu Daqqa, âgée de deux ans, dont le diagnostic n’a pas pu être posé en raison des soins limités, voit son état s’aggraver. Ses parents font tout leur possible pour qu’elle être soignée en dehors de Gaza – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Mouna, à Deir el Balah, serre contre elle le corps de son bébé de 35 jours : « Je n’ai pas pu te nourrir, mon adorée. Je t’ai regardée mourir, et je n’ai pas pu te sauver. »
Omar, 7 ans, arrive à l’hôpital, un bras arraché.
Hani est né orphelin, prématuré, extrait par césarienne du ventre de sa mère assassinée. Recueilli par ses grands-parents, choyé, chéri, il a été assassiné avec eux, cinq mois plus tard.
Um Mohammed se voit remettre dans un petit sac les restes de ses deux enfants.
L’occupant assassine Salem et Suleiman alors qu’ils tentaient de récupérer le corps de leur père à Bani Suheila.
Yasmine supplie : « Laissez-moi prendre sa chemise, je veux sentir son odeur » – dernière trace de son papa.
Um Joubran a réussi à trouver de la nourriture, mais à son retour, ses enfants gisaient sous les décombres.
« Vous emmenez votre enfant à l’hôpital avec l’angoisse qu’il soit tué en route ou le gardez avec vous dans la peur qu’il meure dans vos bras. Vous allez chercher de l’eau au péril de votre vie ou décidez de ne pas y aller, au risque de voir votre famille mourir de déshydratation. Vous obéissez aux ordres d’évacuation et risquez d’être tués en route ou décidez de rester et risquez d’être tués sur place. Chacun de vos choix est une décision de vie ou de mort, tous les jours, chaque heure, chaque minute. Mais quoi que vous fassiez, l’issue la plus probable, c’est la mort. A Gaza, tous les chemins mènent à la mort. Chaque jour, une condamnation à mort est prononcée et exécutée pour 90 à 130 Palestiniens, au seul motif qu’ils sont Palestiniens. » – Majid Bamya.
Je voudrais terminer par une pensée pour Jibril, qui souhaite du pain pour son anniversaire.
Pour Hossine, petit garçon de 8 ans, qui semble voler tant il est léger, tant il a l’air libre. Sa marche est une danse sur un pied, accompagnée de son torse et du bout de bras qui lui reste.
Pour Layan, 18 mois, elle aussi amputée de trois membres. Elle roule sur le côté pour atteindre ses jouets avec une grâce et un sourire qui sont une bénédiction pour quiconque les voit.
« Toutes les personnes que j’ai rencontrées à Gaza étaient habitées d’une grande foi et arrivaient à rester rationnelles même dans les pires situations, c’est ce qui les rendaient capables de prendre soin les unes des autres même dans le dénuement le plus total. Nous savons tous comment les Palestiniens meurent à Gaza. Mais ce qui est peut-être plus important, c’est de se souvenir comment ils vivaient, et de savoir ce qui est en train de leur être arraché. Il faut dire combien ces personnes sont vibrantes de vie ; c’est précisément cette faculté d’embrasser la vie qu’on leur vole en ce moment, et cela aussi est si immensément triste. » – Afeef Nessouli.
Notes :
[1] AJ 10H30 GMT Children cannot survive long in famine conditions, gaza hospital chief warns, Al Jazeera, 10H30 GMT, 26.7.2025
[2] (4) Al Jazeera live, 22.7.2025
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
4 août 2025 – Transmis par l’auteure.
Soyez le premier à commenter