
Le journaliste palestinien Saleh Aljafarawi a été assassiné le 12 octobre, par des collaborateurs d'Israël à Gaza - Photo : via Facebook, Saleh Aljafarawi
Par Eman Murtaja
Par ce meurtre inique, l’état génocidaire fait savoir aux journalistes de Gaza qu’ils ne sont toujours pas en sécurité, qu’ils risquent toujours la mort pour avoir fait leur travail.
Quand j’ai appris le meurtre de Saleh Aljafarawi, j’ai eu un choc. La guerre était enfin terminée. Nous aurions tous dû être en sécurité. Comment cela avait-il pu arriver ? Son assassinat n’a pas seulement brisé les cœurs, il a également fait resurgir le sentiment d’insécurité et de peur.
Saleh et moi vivions dans le même quartier de la ville de Gaza. C’était un jeune homme joyeux qui aimait chanter. Je me souviens l’avoir vu pendant les prières de l’Aïd devant la mosquée, distribuant des bonbons aux enfants. Il s’asseyait et chantait pour eux ; ma petite sœur et ses amies adoraient l’écouter chanter.
Saleh a commencé à travailler comme journaliste et photographe indépendant pendant la Marche du retour en 2018. Il contribuait à des médias locaux et publiait sur les réseaux sociaux.
Lorsque la guerre a éclaté en 2023, il a commencé à la documenter en prenant des photos.
Ses images publiées sur les réseaux sociaux étaient largement partagées. Sur Instagram, son compte a accumulé 10 millions d’abonnés et, comme d’autres comptes célèbres qui documentaient les crimes israéliens, il a été suspendu à plusieurs reprises.
À travers l’objectif de son appareil photo, Saleh a couvert le génocide dans tous ses détails horribles. Il n’hésitait pas à se précipiter sur les lieux des bombardements pour couvrir les massacres et participer aux efforts de sauvetage, au risque de sa vie.
Il s’est consacré de manière altruiste au journalisme et à la diffusion de la vérité sur ce qui se passait dans la bande de Gaza, malgré ses propres souffrances.
La mère de Saleh était atteinte d’un cancer et a dû être évacuée de Gaza pour se faire soigner. Son frère aîné, Naji, a été kidnappé à l’hôpital al-Shifa par l’armée d’occupation et a disparu.
Le père de Saleh était également malade, si bien qu’après la disparition de Naji, Saleh a dû prendre en charge toute sa famille tout en continuant son travail de journaliste.
Sa popularité a fait de lui une cible. Israël a commencé à proférer des menaces à son encontre, comme il l’avait fait contre Anas al-Sharif, Ismail al-Ghoul et Hassan Eslaih avant de les assassiner.
La nuit où le cessez-le-feu a été confirmé, Saleh a publié une vidéo joyeuse qui est devenue virale. Sa famille s’est sentie en sécurité pour la première fois.
Elle pensait que Saleh n’était plus en danger et espérait la libération de Naji afin qu’ils puissent tous être réunis.
Mais Saleh n’a pas cessé de couvrir les événements. Bien que l’occupant ait prétendu s’être retiré de Gaza, il a laissé derrière lui des milices armées pour semer le chaos dans la bande de Gaza.
Lorsque la résistance s’est affrontée à ces milices dans le quartier de Sabra, Saleh était là pour couvrir l’événement.
Selon les témoins, il aurait été kidnappé, tabassé et abattu de sept balles.
Cette nouvelle a été un choc pour sa famille. L’état de santé de son père s’est aggravé. Naji a été libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers, mais la famille n’a pas pu se réjouir. Naji s’est effondré lorsqu’il a appris que Saleh avait été tué la veille.
L’assassinat de Saleh juste après l’annonce du cessez-le-feu a provoqué une onde de choc dans la communauté médiatique de Gaza. Ses collègues l’ont pleuré et ont rendu hommage à sa mémoire, comme ils l’avaient fait pour chacun des 250 et quelques journalistes tués pendant le génocide.
Son assassinat, cependant, représente plus que la perte d’un énième brillant journaliste palestinien. C’est aussi un signe, un avertissement que les journalistes de Gaza ne sont toujours pas en sécurité.
Tous ceux qui travaillent dans le journalisme aujourd’hui ou qui, comme moi, espèrent le faire, comprennent désormais que le danger n’a pas diminué avec le cessez-le-feu.
L’armée israélienne s’est peut-être retirée de certaines parties de Gaza, mais l’ombre de sa campagne d’extermination de ceux qui ont documenté son génocide plane toujours.
Désormais, la menace provient des milices que l’occupant a laissé derrière lui pour continuer à tuer la population palestinienne après le cessez-le-feu.
Le message de l’assassinat de Saleh est clair : quiconque continue à rendre compte de ce qui se passe à Gaza, de la présence destructrice continue d’Israël et de la trahison de ses alliés sera capturé, torturé et tué.
Les journalistes, et la population civile dans son ensemble, continueront d’être en danger tant que ces génocidaires israéliens seront au pouvoir.
Pourtant, les tentatives d’intimidation et de terreur ne fonctionneront pas avec les journalistes de Gaza. Malgré les massacres de journalistes, des gens continuent d’exercer cette profession.
Je ne me sens moi-même plus en sécurité, mais je n’ai toujours pas l’intention d’abandonner mes études de journalisme et mon ambition de travailler dans ce domaine.
Cela dit, les journalistes palestiniens ont besoin du soutien de l’étranger. Nous avons besoin que les syndicats, les organisations de défense de la liberté de la presse et les organismes de surveillance des droits humains se mobilisent et veillent à la mise en place de mécanismes de protection afin que les journalistes palestiniens soient en sécurité.
Les journalistes étrangers ne doivent pas non plus se laisser influencer par les campagnes de calomnie contre les professionnels des médias palestiniens et doivent manifester leur solidarité ouvertement.
Auteur : Eman Murtaja
* Eman Murtaja, originaire de Gaza, est une étudiante en journalisme et en médias de langue anglaise.
14 octobre 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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