
Février 2025 - Les Palestiniens enterrent à nouveau les corps déterrés dans le cimetière du quartier d'al-Tuffah à Gaza. L'armée israélienne avait exhumé puis écrasé les corps des défunts dans le cimetière avec ses bulldozers - Photo : via aawsat.com
Par Amena el-Ashkar
Les efforts déployés par le Hamas pour gagner la sympathie de l’Occident en comparant le génocide de Gaza à l’Holocauste sont compréhensibles, mais finalement peu judicieux. Au contraire, replacer le génocide dans le contexte plus large de la violence coloniale pourrait permettre de construire une véritable solidarité.
Depuis plus de deux ans, les Palestiniens de Gaza déclarent : « Nous sommes en train d’être exterminés ». Ces déclarations ne proviennent pas uniquement des déclarations officielles israéliennes, mais aussi de l’expérience vécue, où les opérations militaires israéliennes ont transformé les corps palestiniens en lieux de violence coloniale extrême.
Pourtant, malgré la visibilité des déplacements massifs, des bombardements et de la famine, une grande partie de la communauté internationale reste réticente à qualifier ces actions de génocide.
Dans la pratique, la réalité palestinienne ne devient « légitime » qu’une fois qu’elle a été soumise aux cadres moraux des institutions internationales, qui minimisent souvent l’ampleur de la violence.
La reconnaissance fait généralement suite à un long processus : évaluation, vérification, collecte de données et implication d’une autorité « crédible » et « neutre » chargée d’étudier et de qualifier l’événement. Ce n’est qu’alors que la souffrance palestinienne peut acquérir un certain degré de légitimité.
En effet, les Palestiniens peuvent mourir sans restriction, mais ils ne sont pas autorisés à nommer leur propre mort sans approbation extérieure.

12 août 2025 – les Palestiniens de Gaza ont fait leurs adieux à plus de 15, dont 10 bénéficiaires de l’aide d’une entreprise soutenue par les États-Unis et Israël, qui ont été tués dans la région de Morag à Rafah. Cinq autres ont été tués lors d’une frappe séparée sur une tente dans la « zone sûre » d’Al-Mawasi à Khan Younis, dans la bande de Gaza. L’ONU et d’autres organisations ont critiqué les centres de distribution de l’aide humanitaire gérés par les États-Unis et Israël pour avoir mis en danger les Palestiniens à la recherche d’aide et pour leur incompatibilité avec les principes humanitaires, entraînant une augmentation des meurtres – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Pour lutter contre cela, nous avons vu comment les figures de la résistance palestinienne, y compris le Hamas lui-même, ont tenté de contextualiser le génocide à Gaza en utilisant l’une des analogies historiques les plus puissantes du lexique occidental : l’holocauste nazi.
Dans le contexte de la lutte coloniale, il ne s’agit pas simplement d’une question de terminologie, mais d’un défi stratégique.
À première vue, la stratégie médiatique du Hamas consistant à utiliser l’holocauste nazi semble logique, visant à évoquer la mémoire morale occidentale dans le but de mobiliser l’opinion publique. Pourtant, après près de deux ans, elle n’a guère donné de résultats. Pourquoi ?
Dans l’imaginaire politique occidental, la Seconde Guerre mondiale est un point de référence moral central, et l’Holocauste en est le cœur. La domination épistémique occidentale a permis à ces États d’imposer leurs normes éthiques et de définir les comportements inacceptables, façonnant ainsi les fondements mêmes du concept d’« humanité ».
L’Holocauste n’était pas une anomalie historique : l’histoire coloniale des mêmes États qui dénoncent les atrocités nazies est truffée de génocides et de famines perpétrés contre les peuples colonisés. Ce qui a fait de l’Holocauste un absolu moral, ce n’est pas l’acte de massacre lui-même, mais l’identité du groupe (européen) visé.
En ce sens, les cadres moraux mondiaux ont été construits sur une base eurocentrique.
En choisissant de présenter les événements de Gaza à travers le prisme de l’Holocauste, le Hamas révèle deux dynamiques :
- Premièrement, la tragédie palestinienne n’est pas présentée comme une expérience indépendante, mais plutôt à travers le prisme d’une autre catastrophe, celle que les puissances occidentales ont désignée comme l’archétype de l’atrocité. Cela renforce l’autorité d’un système moral qui fait preuve d’une surdité sélective à la souffrance palestinienne et accorde inévitablement la primauté au traumatisme occidental.
- Deuxièmement, l’utilisation de cette analogie envoie un message au public occidental : « Croyez-nous, car ce qui nous arrive ressemble à votre propre histoire ». Cela renforce l’idée que la douleur occidentale est la référence pour toutes les autres souffrances, à laquelle toutes les autres stratégies doivent être comparées pour être jugées crédibles.
Cette dynamique risque de compromettre l’expérience historique palestinienne en la situant dans l’ordre moral dont elle cherche à se libérer.
La comparaison elle-même pose également un problème structurel. En invoquant l’Holocauste et le nazisme, la guerre de Gaza est placée dans une position perdante : la comparaison est jugée à l’aune d’un critère conçu pour maintenir l’Holocauste au sommet de la hiérarchie des atrocités.
Cela occulte le fait que l’Holocauste occupe une place protégée dans la mémoire collective occidentale, maintenue grâce à des décennies d’investissement dans les musées, les films, la littérature et l’éducation. L’énormité des crimes nazis est ainsi préservée comme inégalée.

25 juillet 2025 – Zainab Abu Haleeb, une enfant de 6 mois, est décédée à l’hôpital Nasser, des suites de malnutrition due à une pénurie de lait et à l’indisponibilité des traitements nécessaires pour les enfants dans la bande de Gaza – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Dans ce cadre, si la violence à Gaza est perçue comme inférieure à cette norme – par exemple, en l’absence d’images emblématiques de chambres à gaz –, il devient plus facile pour les sceptiques de rejeter l’étiquette de génocide.
De plus, le terme « zio-nazisme » fréquemment utilisé par le Hamas est imprécis. Bien qu’il existe des similitudes, notamment la promotion d’une idéologie de suprématie raciale, le sionisme est un projet colonialiste, contrairement au nazisme.
Si les deux ont commis des crimes graves, ces crimes diffèrent dans leur substance et leur objectif. Les politiques israéliennes à Gaza s’inscrivent davantage dans la continuité historique de la violence coloniale que dans la répétition directe des méthodes nazies.
Sur le plan technique et politique, cette analogie risque d’occulter la logique structurelle de la violence israélienne et permet à Israël de rejeter cette accusation en discréditant la comparaison.
Lorsque le Hamas a choisi d’utiliser les comparaisons avec l’Holocauste et le nazisme, son public cible était clairement la communauté internationale occidentale. Cela révèle deux problèmes connexes :
- Le premier est une mauvaise interprétation de la nature structurelle du soutien occidental à Israël — qui semble supposer que la position de l’Occident est motivée par l’ignorance ou l’aveuglement moral, plutôt que par des intérêts stratégiques et coloniaux de longue date qui font d’Israël un allié stratégique dans la région. Selon ce point de vue, la perception occidentale des Palestiniens et de la résistance pourrait être inversée si le public était amené à voir Israël sous un angle moral différent, tel que celui de l’Holocauste.
- Le second est qu’il surestime également l’impact possible de la pression publique occidentale sur la politique de l’État, évalue mal les alliances viables et limite ses tactiques diplomatiques à des cadres fixés par d’autres. Dans un tel contexte, l’analogie avec l’Holocauste n’échoue pas seulement à convaincre, mais elle signale une posture stratégique sous-jacente qui risque d’entraver la capacité du mouvement à convertir ses gains sur le champ de bataille en avantage politique à long terme.
La résistance et la libération ne consistent pas uniquement à récupérer des terres, mais aussi à récupérer l’imagination, la conscience et le langage. À première vue, parler de décoloniser les cadres de connaissance pendant une guerre d’extermination peut sembler secondaire, mais cela reste essentiel.
Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza n’est pas un événement exceptionnel, ni ne ressemble à l’Holocauste tel que l’Occident l’a construit dans son imagination morale. Il s’agit plutôt de la continuation d’un long héritage colonial qui a façonné non seulement le destin des Palestiniens, mais aussi celui d’autres peuples du Sud.
Il est essentiel de considérer le présent de Gaza comme s’inscrivant dans ce continuum colonial plus large afin de construire de nouvelles alliances dans un ordre géopolitique en mutation.

10 septembre 2024 – Les Palestiniens recherchent les survivants ou enterrent les victimes après que les forces coloniales israéliennes ont attaqué le camp de tentes d’Al-Mawasi, tuant au moins 40 personnes et en blessant 60, de nombreuses personnes étant toujours portées disparues sous le sable. Désigné comme « zone de sécurité » dans le sud de la bande de Gaza, le quartier Al-Mawasi de Khan Younis était bondé de Palestiniens dormant dans des tentes lorsqu’il a été bombardé tôt dans la matinée. Les frappes ont laissé de grands cratères dans une zone où les Palestiniens s’abritaient. L’assaut génocidaire contre Gaza entre dans son douzième mois, avec plus de 41 000 Palestiniens assassinés et des milliers d’autres encore ensevelis sous les décombres des bâtiments détruits – Photo : Doaa Albaz / Activestills
L’histoire coloniale de la région offre de nombreux cadres comparatifs pour dénoncer les atrocités, sans renforcer les régimes moraux qui, après plus de deux ans, n’ont apporté que des résultats diplomatiques et politiques très limités à la lutte palestinienne.
La manière dont nous nommons ce qui se passe n’est pas un acte symbolique ; elle façonne fondamentalement la trajectoire de la réflexion stratégique et est un indicateur de la façon dont nous percevons les choses et dont nous pensons être perçus par les autres.
Décoloniser les cadres à travers lesquels nous nous exprimons n’est donc pas seulement un objectif symbolique, mais une voie stratégique vers une pratique politique et diplomatique capable de traduire les gains tactiques sur le terrain en victoires stratégiques à long terme, en utilisant des termes que nous définissons nous-mêmes, plutôt que ceux imposés de l’extérieur.
Auteur : Amena el-Ashkar
* Amena El-Ashkar est une journaliste et photographe qui vit dans le camp de réfugiés de Burj al-Barajne à Beyrouth.
29 août 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – YG
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