Comment les syndicats européens peuvent contribuer à mettre fin au génocide à Gaza

5 octobre 2025 - Plus d'un million de personnes ont défilé à Rome contre le génocide à Gaza, avec la participation de nombreux syndicats - Photo : Emanuele Nuccilli, The Palestine Chronicle

Par Samer Jaber

Les actions de protestation du secteur industriel constituent un outil puissant qui peut perturber les chaînes d’approvisionnement de guerre et contraindre les gouvernements à agir.

Un « cessez-le-feu » est en vigueur à Gaza depuis le 10 octobre, mais Israël n’a pas mis fin à ses violences barbares. En l’espace de trois semaines, il a tué plus de 220 Palestiniens. Mardi, il a massacré plus de 100 personnes en 24 heures.

Israël continue de refuser de laisser entrer l’aide humanitaire convenue dans le cadre du cessez-le-feu. Il bloque les matériaux et les équipements nécessaires à la reconstruction et à l’évacuation médicale à grande échelle.

En Cisjordanie occupée, les soldats et les colons israéliens continuent d’attaquer impunément le peuple palestinien et ses biens. Ils ont tué plus de 1000 Palestiniens, dont 213 enfants, depuis le 7 octobre 2023.

Le 16 octobre, des soldats israéliens ont abattu un enfant de neuf ans qui jouait au football avec des amis.

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Il est évident qu’un cessez-le-feu ne mettra pas fin aux massacres tant qu’Israël bénéficiera du soutien politique, militaire et logistique de l’Occident pour poursuivre son occupation et sa colonisation de la Palestine. Depuis deux ans, des manifestations organisées dans le monde entier tentent de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils changent d’attitude envers d’Israël, mais elles n’ont rien obtenu de significatif.

Une mobilisation massive des travailleurs pourrait être la solution. Les syndicats, en particulier en Europe, sont particulièrement bien placés pour jouer un rôle central dans l’affaiblissement du soutien de leurs gouvernements à Israël.

Compte tenu de l’activité commerciale entre Israël et les pays européens et de l’importance logistique des ports européens, les travailleurs de nombreux secteurs pourraient faire la différence en s’organisant pour aider la Palestine.

Pourquoi l’action syndicale est un outil puissant

Au cours des deux dernières années, des millions de personnes ont défilé à travers l’Europe, mais les gouvernements ont largement ignoré les appels à mettre fin au soutien à Israël. Même le gouvernement irlandais, malgré son soutien vocal aux droits des Palestiniens, entretient des relations commerciales à grande échelle avec Israël.

L’Irlande était le troisième importateur de produits en provenance d’Israël en 2024.

Les manifestations publiques servent souvent de soupape de pression, canalisant la dissidence et réduisant la pression sur les gouvernements. Mais pour l’action syndicale ; c’est différent. Les travailleurs sont le moteur de l’économie. Lorsqu’ils refusent de remplir leur rôle, les conséquences peuvent être coûteuses sur le plan politique et économique.

Contrairement aux marches de protestation, les grèves et les actions syndicales peuvent paralyser les chaînes d’approvisionnement, augmenter les coûts de production et obliger à des concessions.

Les syndicats ont l’expérience organisationnelle nécessaire pour intensifier stratégiquement leurs actions – des ralentissements localisés aux grèves à l’échelle nationale – et transformer les perturbations économiques en pression politique.

Dans les démocraties libérales, les syndicats restent l’instrument le plus efficace permettant au peuple de forcer les gouvernements à agir. L’histoire récente en fournit de nombreux exemples.

Par exemple, les syndicats des pays occidentaux ont joué un rôle actif dans la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud.

La grève anti-apartheid irlandaise chez Dunnes Stores en juillet 1984, lorsque les travailleurs ont refusé de s’occuper des marchandises sud-africaines pour protester contre l’apartheid, est devenue un événement marquant dans l’histoire des luttes ouvrières.

De même, en novembre 1984, les dockers de San Francisco ont manifesté leur indignation en refusant de décharger des marchandises en provenance d’Afrique du Sud.

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Ces actions de solidarité des travailleurs, parmi d’autres, ont renforcé la dynamique du mouvement anti-apartheid en Occident, qui a finalement conduit les gouvernements à imposer officiellement des sanctions au régime d’apartheid.

L’Union européenne est le premier partenaire commercial d’Israël, représentant 32 % du commerce total de marchandises d’Israël en 2024. L’UE fournit 34,2 % des importations d’Israël et reçoit 28,8 % de ses exportations.

Une grande partie des fournitures militaires et logistiques d’Israël provient des pays de l’UE. Perturber cette chaîne d’approvisionnement pourrait directement compromettre la machine de guerre israélienne.

Les ports sont des points de passage critiques dans cette chaîne, car ils contrôlent le flux des marchandises. Une action industrielle sélective dans les ports, visant à interrompre les expéditions à destination ou en provenance d’Israël, aurait un impact significatif.

Les marchandises israéliennes ne représentent que 0,8 % du commerce total de l’UE, de sorte que de telles actions frapperaient durement Israël tout en affectant très peu les économies de l’UE.

De plus, la perturbation des ports de l’UE aurait des répercussions au-delà de l’Europe. Une grande partie du commerce d’Israël avec les États-Unis, son premier partenaire commercial avec 55 milliards de dollars d’échanges de biens et de services en 2024, transite par les grands ports européens.

Le blocage des transbordements ou l’augmentation des coûts de fret en obligeant les navires à éviter les hubs de l’UE pourrait faire grimper en flèche le coût de la logistique israélienne.

Les syndicats peuvent également agir en refusant de toucher les marchandises produites dans les colonies israéliennes situées dans les territoires palestiniens occupés.

Ils peuvent également aller plus loin et refuser de traiter tout produit destiné à Israël ou en provenance de ce pays. Cela rendrait le commerce avec Israël très coûteux pour les petites et moyennes entreprises et sociétés européennes.

Ce faisant, les syndicats respecteraient le droit international et agiraient conformément aux principes établis en matière de droits humains.

Compte tenu de la portée considérable que peuvent avoir les actions de protestation dans le secteur privé, les mouvements de solidarité devraient chercher à s’allier avec les syndicats à travers l’Europe. Les groupes de solidarité peuvent se concentrer sur la mobilisation du soutien public, la promotion des boycotts des consommateurs et l’éducation des communautés sur l’histoire de la Palestine et les actions d’Israël.

Ces activités renforcent la légitimité, élargissent la base de soutien et empêchent les populations d’oublier la lutte palestinienne.

Pendant ce temps, les syndicats peuvent mener des actions directes sur les sites de production et dans les ports, afin d’interrompre le flux de marchandises vers Israël.

L’alliance entre les mouvements de solidarité et les syndicats ferait passer la lutte d’une protestation symbolique à une lutte concrète contre les systèmes qui soutiennent la guerre d’Israël. En septembre, des militants et des travailleurs italiens ont démontré l’efficacité d’une telle action combinée en lançant une grève nationale pour Gaza.

Convergence des intérêts en matière de droits du travail et de droits humains

La guerre et la colonisation de la Palestine par Israël reposent sur des relations étroites avec des entreprises, en particulier en Europe et en Amérique du Nord.

Bon nombre de ces entreprises sont également des employeurs importants dans ces pays, où ils exploitent les travailleurs, font baisser les salaires en font pression pour la déréglementation du travail tout en tirant profit de l’occupation et de la guerre.

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Elles font du lobbying auprès des gouvernements pour qu’ils soutiennent Israël et achètent des armes et des technologies testées sur les Palestiniens pour surveiller et réprimer leur propre population.

Ces entreprises oppriment à la fois les Palestiniens et les travailleurs et les mouvements de solidarité et les syndicats ont donc toutes les raisons de s’unir contre cet ennemi commun.

En perturbant la chaîne d’approvisionnement d’Israël, les syndicats peuvent non seulement affaiblir son effort de guerre, mais aussi obliger ces entreprises, qui privilégient les profits au détriment des vies humaines, qu’elles soient palestiniennes ou européennes, à rendre des comptes.

Une telle convergence d’efforts entre le mouvement de solidarité et les syndicats est cruciale, surtout maintenant qu’Israël a diminué le niveau des assassinats et de la famine sous le couvert d’un cessez-le-feu afin d’apaiser l’indignation mondiale.

Nous avons déjà observé ce schéma cyclique de violence génocidaire dans les accords conclus précédemment, et nous savons que les gestes symboliques et les promesses diplomatiques ne suffisent pas à mettre fin au génocide à Gaza. Seule une action coordonnée concrète peut briser la machine de guerre israélienne.

Les syndicats européens peuvent le faire en perturbant la bouée de sauvetage économique d’Israël par des actions stratégiques dans le secteur industriel.

En ciblant les chaînes d’approvisionnement qui alimentent la guerre, les syndicats peuvent faire pression sur les entreprises complices et forcer les gouvernements à abandonner leur rhétorique creuse.

Les manifestations symboliques et les slogans contre la guerre n’empêcheront pas Israël de tuer des enfants palestiniens. Les travailleurs doivent s’unir, prendre fermement position contre la violence coloniale en Palestine et y mettre fin.

2 novembre 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique Palestine – Dominique Muselet

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