
15 septembre 2025 - Sept bébés attendent d'être enterrés à l'hôpital Al-Nasser de Khan Younis, dans la bande de Gaza. Parmi eux, quatre fœtus morts dans le ventre de leur mère et trois prématurés décédés dans leur couveuse. Des sources médicales ont attribué ces décès à la malnutrition sévère des mères, à la peur et au stress psychologique permanents, ainsi qu'à l'épuisement causé par les déplacements forcés sous le génocide israélien à Gaza. L'hôpital a fait remarquer que de telles tragédies se produisent presque quotidiennement en raison de la malnutrition, du manque de ressources médicales et de la pénurie de médicaments essentiels, ce qui reflète la situation sanitaire catastrophique dans la bande de Gaza assiégée et bombardée - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Hesham Gaafar
Tout un peuple a été rendu structurellement exécutable, ses souffrances et sa mort étant transformées en marchandises à des fins lucratives.
Depuis le début de la guerre menée par Israël contre Gaza en octobre 2023, il m’apparaît clairement que le massacre des Palestiniens n’est pas seulement une tragédie locale. Il s’agit d’un sombre aperçu de l’avenir commun de l’humanité.
Les atrocités commises à Gaza s’inscrivent dans un contexte plus large de massacres à grande échelle qui ont également marqué les conflits au Yémen, au Soudan, en Syrie, au Mexique, en Ukraine et ailleurs.
La violence prend aujourd’hui de multiples formes, des guerres conventionnelles entre États aux guerres civiles, en passant par la violence armée liée au crime organisé. Ensemble, elles suggèrent que les massacres sont en train de devenir un critère mondial.
Les gouvernements et les militaires justifient régulièrement cette violence en invoquant la « légitime défense », la « sécurité nationale » et les « menaces existentielles », des arguments ancrés dans des idéologies extrémistes qui normalisent, voire sanctifient, le meurtre de l’Autre.
Dans le dernier chapitre de mon prochain ouvrage, je tente de fournir un cadre analytique complet pour comprendre le génocide à Gaza, en synthétisant les conclusions des instituts de recherche, des groupes de défense des droits humains et du journalisme d’investigation.
L’un des aspects les plus alarmants de la guerre à Gaza est la normalisation de la violence systématique. Après plus de 22 mois de bombardements, de famine et de destruction, une grande partie du système international, et même de nombreuses sociétés arabes, se sont adaptées à l’horreur permanente.
La vie continue comme si le meurtre délibéré d’enfants et de femmes, la coupure de l’eau et de l’électricité, le bombardement d’hôpitaux et d’écoles et la destruction de quartiers entiers étaient des événements courants et acceptables.
Les caractéristiques du génocide
Les déclarations des dirigeants politiques, des responsables militaires, des commentateurs et des intellectuels israéliens ont à plusieurs reprises laissé transparaître une intention génocidaire, suggérant que la plupart, voire la totalité, des Palestiniens de Gaza sont responsables ou soutiennent l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023.
La déshumanisation est une condition préalable à cette violence. Les Palestiniens sont depuis longtemps considérés comme « moins qu’humains », un discours qui remonte aux premiers jours de la colonisation sioniste et au déplacement de la population palestinienne.
Un rapport publié en juillet 2025 par l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, intitulé « Notre génocide », documente l’ampleur, l’intention et l’exécution de l’attaque israélienne contre Gaza.
Il conclut que les dirigeants israéliens ont agi avec l’intention claire et coordonnée de détruire la société palestinienne à Gaza, pleinement conscients des conséquences dévastatrices de leurs politiques de massacre, de famine et de destruction systématique des infrastructures civiles.
Selon le ministère de la Santé de Gaza, depuis octobre 2023, plus de 62 000 Palestiniens ont été tués et plus de 145 000 blessés. Plus de 11 000 autres sont portés disparus. Au moins la moitié des personnes tuées étaient des femmes et des enfants, et 83 % sont des civils.
Les avions de combat israéliens F-35, décrits comme des « instruments de massacre » dans un rapport publié par le groupe de défense Arms Embargo Now, ont été utilisés pour bombarder des maisons, des camps de réfugiés et même des « zones de sécurité » désignées, avec des munitions telles que des bombes antibunker de près de 900 kg.
Le massacre du 13 juillet 2024 dans le camp d’al-Mawasi, une zone dite « sûre », a vu huit bombes de ce type tuer au moins 90 Palestiniens et en blesser 300 autres, frappant des tentes, une cuisine communautaire et une usine de dessalement d’eau.
L’ONU a condamné cette attaque, affirmant qu’elle soulignait qu’« aucun endroit n’est sûr à Gaza ».
La campagne menée par Israël vise à rendre Gaza inhabitable de multiples façons. Elle a détruit le système de santé, entraînant des décès infantiles et une explosion du taux de fausses couches, tandis que les fournitures médicales ont été bloquées ou pillées.
La famine est généralisée, les agriculteurs sont privés de leurs terres, les récoltes sont détruites et les communautés rurales sont victimes d’attaques. Plus de 2000 Palestiniens ont été tués dans des points de distribution de nourriture.
Le système éducatif a également été décimé, avec plus de 90 % des écoles de Gaza endommagées ou détruites ; beaucoup ont été bombardées alors qu’elles abritaient des familles déplacées.
Les journalistes ont été systématiquement pris pour cible, avec plus de 240 morts depuis octobre 2023, faisant de Gaza l’endroit le plus meurtrier pour les médias depuis des décennies. Les survivants de la détention israélienne font état de tortures systématiques, d’agressions sexuelles et d’abus sadiques.
Pourquoi les massacres continuent-ils ?
Pour comprendre la longévité de ce génocide, nous devons examiner son architecture économique et politique, ce que la philosophe féministe Nancy Fraser appelle le « capitalisme cannibale » : un système qui se nourrit de la destruction de ses propres fondements sociaux et écologiques, y compris la vie humaine elle-même.
Le capitalisme dépend de populations structurellement « jetables », des groupes privés de protections politiques et juridiques, rendus vulnérables à l’expropriation et à l’anéantissement.
Les hiérarchies impériales et raciales définissent qui peut être tué et qui ne peut pas l’être. À Gaza, la déshumanisation des Palestiniens permet à la fois leur destruction physique et la marchandisation de cette destruction.
Le concept de Fraser résume bien cette situation : la mort et la souffrance humaine deviennent des marchandises, échangées et consommées à des fins lucratives. La guerre à Gaza, tout comme celle en Ukraine, est une mine d’or pour les fabricants d’armes, qui peuvent ainsi tester leurs armes en situation réelle.
Une étude réalisée en juillet 2025 dans le cadre du projet « Costs of War » (Coûts de la guerre) de l’université Brown a révélé qu’entre 2020 et 2024, le Pentagone américain a attribué 2400 milliards de dollars de contrats, soit 54 % de ses dépenses discrétionnaires totales, à des entreprises privées.
Environ un tiers de cette somme a été versé à cinq grandes entreprises d’armement : Lockheed Martin, Boeing, RTX, General Dynamics et Northrop Grumman. Ce montant éclipse les 356 milliards de dollars dépensés pour la diplomatie, le développement et l’aide humanitaire au cours de la même période.
Les entreprises d’armement israéliennes, telles qu’Elbit Systems, commercialisent ouvertement des armes comme étant « éprouvées au combat », tirant ainsi directement profit des morts palestiniens.
Les États occidentaux arment Israël avec des munitions meurtrières, tout en réprimant simultanément les voix pro-palestiniennes, utilisant les accusations d’antisémitisme comme une arme pour faire taire les universitaires, les politiciens et les journalistes critiques.
Fraser soutient que les crises du capitalisme contemporain sont profondément liées : l’exploitation des classes, l’oppression des genres, la domination raciale et impériale, l’effondrement environnemental et le vide des autorités publiques se renforcent mutuellement.
À Gaza, ces dynamiques convergent. Les Palestiniens sont structurellement considérés comme des cibles légitimes ; leurs souffrances et leur mort sont commercialisées à des fins lucratives ; le contrôle démocratique et le droit international sont sapés ; et la machine de guerre et de profit continue de tourner.
La question n’est plus de savoir si un génocide est en cours à Gaza, mais comment les systèmes économiques et politiques mondiaux – animés par une logique capitaliste cannibale et protégés par la complicité politique – continuent de transformer les êtres humains en ressources jetables, en produits commercialisables ou en spectacles destinés à la consommation.
C’est cette logique qui soutient non seulement la destruction continue de Gaza, mais aussi la normalisation des massacres comme une caractéristique permanente de notre avenir mondial commun.
Auteur : Hesham Gaafar
* Hesham Gaafar est un chercheur spécialisé dans la pensée et les mouvements islamiques ainsi que dans la résolution des conflits. Il a été rédacteur en chef de la section arabe du portail IslamOnline.net de 2000 à 2010. Il a cofondé le Centre régional pour la médiation et le dialogue et est consultant auprès de plusieurs institutions internationales dans le domaine de la résolution des conflits.
28 août 2025 – Middle-East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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