
13 août 2025 - Les Palestiniens pleurent Awdah Hathaleen lors de ses funérailles dans son village d'Umm Al-Khair, en Cisjordanie, après que les autorités israéliennes aient finalement restitué son corps, le 7 août 2025. Son corps a été retenu pendant onze jours par les forces coloniales israéliennes, qui ont tenté d'imposer des conditions pour les funérailles. Même si un accord a été conclu hier soir pour permettre à tout le monde d'assister aux funérailles, l'armée et la police ont bloqué la zone et empêché de nombreuses personnes d'y assister. Al-Hathalin a été abattu par un Israélien connu pour ses attaques contre les Palestiniens, Yinon Levi, alors que celui-ci effectuait des fouilles près de maisons palestiniennes - Photo : Mosab Shawer / Activestills
Par Qassam Muaddi
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a publié une carte illustrant le projet israélien d’annexer plus de 80 % de la Cisjordanie. Ce projet n’est pas loin d’être partagé par le reste de la classe politique israélienne, y-compris l’opposition « pragmatique ».
Plus de 80 % de la Cisjordanie occupée serait bientôt intégré à Israël, selon une nouvelle proposition d’annexion rédigée lundi par le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich.
Le ministre, connu pour ses positions radicales, a présenté une carte montrant l’ensemble de la Cisjordanie comme faisant partie d’Israël, y compris Bethléem, la vallée du Jourdain et toute la campagne palestinienne.
Seules six villes palestiniennes – Jénine, Tulkarem, Naplouse, Jéricho, Ramallah et Hébron – n’y étaient pas intégrées parce qu’elles sont destinées à servir de ghettos isolés pour les Palestiniens.
Smotrich a déclaré que si l’Autorité palestinienne (AP) s’opposait à son plan, Israël « la déracinerait comme il l’a fait avec le Hamas ». » Smotrich a également appelé Netanyahu à mettre en œuvre sa proposition s’il souhaitait « entrer dans l’histoire comme un grand leader ».
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Le jour même de la présentation de Smotrich, les forces israéliennes ont kidnappé le maire d’Hébron, Tayseer Abu Sneineh. Hébron est la plus grande ville palestinienne de Cisjordanie et compte 800 000 Palestiniens.
Quelque 500 colons messianiques israéliens occupent la vieille ville depuis les années 1980, et Abu Sneineh est célèbre pour son rôle dans une cellule du Fatah qui a planifié et exécuté le meurtre de six colons israéliens et juifs dans la vieille ville en 1980, une opération connue localement sous le nom d’« opération Dabuya ».
Après son arrestation initiale, Abu Sneineh a été libéré en 1983 dans le cadre d’un échange de prisonniers avec d’autres membres de la cellule.
L’arrestation d’Abu Sneineh est survenue quelques jours après que les médias israéliens ont rapporté que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, envisageait la création d’un « émirat » tribal à Hébron, distinct de l’Autorité palestinienne, qui a fait son apparition pour la première fois dans les pages du Wall Street Journal en juillet dernier.
Les médias palestiniens locaux ont émis l’hypothèse que l’arrestation d’Abu Sneineh pourrait être un prélude à l’élimination des sources potentielles d’opposition locale à l’annexion, compte tenu notamment du passé d’Abu Sneineh et de son statut de figure nationaliste locale influente à Hébron.
Ces événements, ajoutés à plusieurs autres développements qui ont précédé la proposition de Smotrich, ont propulsé la question de l’annexion potentielle de la Cisjordanie par Israël au premier plan des priorités du gouvernement israélien et ont laissé des millions de Palestiniens de Cisjordanie dans l’incertitude quant à leur avenir.
Le contexte
Le cabinet israélien s’est réuni dimanche dernier pour la deuxième fois en deux semaines afin de discuter des options d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie.
Cette réunion a été suivie d’une rencontre entre le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, et le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, au cours de laquelle Saar a informé Rubio de l’intention d’Israël d’« imposer la souveraineté israélienne » sur le territoire palestinien, selon le site d’information israélien Walla.
Dans le même temps, Israël a mené une démonstration de force contre l’Autorité palestinienne en lançant plusieurs raids sur les principales villes de Cisjordanie qui composent la zone A en vertu des accords d’Oslo, qui représentent environ 18 % de la Cisjordanie et sont censées être sous la juridiction de l’Autorité palestinienne.
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L’armée israélienne a lancé la semaine dernière un raid militaire plus important qu’à l’ordinaire sur Ramallah, et a occupé le centre-ville de la capitale de facto de l’Autorité palestinienne avec des centaines de soldats accompagnés d’équipes de médias israéliens pendant plus de trois heures.
Le lendemain, l’armée israélienne a lancé un raid similaire à Naplouse, le deuxième centre de pouvoir le plus important de l’Autorité palestinienne.
Bien qu’Israël affirme que ses dernières mesures visant à annexer la Cisjordanie sont une réponse à l’annonce par plusieurs États européens de leur intention de reconnaître la Palestine comme un État, l’annexion de la Cisjordanie par Israël se prépare depuis des années.
En 2019, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’était engagé pendant sa campagne électorale à annexer la vallée du Jourdain. La première administration Trump aurait empêché Israël à deux reprises, en janvier et en juin 2020, d’annoncer officiellement l’annexion.
Cependant, cette même administration Trump a annoncé en 2020 son plan « Deal of the Century » (accord du siècle), qui prévoyait l’annexion de la majeure partie de la Cisjordanie, y compris toute la vallée du Jourdain.
Trump a également avalisé la souveraineté d’Israël sur les colonies illégales en Cisjordanie, sur le plateau du Golan syrien occupé et sur l’ensemble de Jérusalem en tant que capitale d’Israël.
Les Palestiniens ont massivement rejeté ce plan.
Le plan d’annexion actuel d’Israël est basé sur le « plan décisif » de Smotrich de 2015, qui vise à empêcher la création d’un État palestinien et à expulser les Palestiniens en encourageant ce qu’il appelle la « migration volontaire ».
Smotrich a également déclaré que les Palestiniens de Cisjordanie devraient soit se soumettre au pouvoir israélien, soit quitter le pays, sinon les forces israéliennes « s’occuperaient d’eux ».
Après le 7 octobre, Smotrich a déclaré que l’annexion de la Cisjordanie devrait être la réponse d’Israël à l’attaque du Hamas. Il a ensuite déclaré que l’expulsion par Israël de la moitié de la population de Gaza « créerait un précédent » pour faire de même en Cisjordanie.
Les attaques contre l’Autorité palestinienne
Au cours des deux dernières années, Smotrich a intensifié les efforts pour étrangler financièrement l’Autorité palestinienne, notamment en bloquant les recettes douanières palestiniennes qu’Israël perçoit au nom de l’Autorité palestinienne conformément aux accords d’Oslo.
Smotrich a également menacé à plusieurs reprises d’interdire aux banques israéliennes de traiter avec les banques palestiniennes, et a entre-temps contraint les banques israéliennes à limiter les montants que les banques palestiniennes peuvent transférer vers les banques israéliennes.
Ces deux mesures ont plongé l’Autorité palestinienne dans une crise financière persistante, l’empêchant de verser l’intégralité des salaires mensuels des fonctionnaires, des médecins, des enseignants et de sa police pendant des mois.
Si Smotrich parvient à interdire toutes les transactions financières entre les banques israéliennes et palestiniennes, cela entraînerait un effondrement financier total en Cisjordanie, menaçant l’existence même de l’Autorité palestinienne.
Affaiblir l’Autorité palestinienne à ce point vise à la rendre inutile aux yeux des Palestiniens pour ouvrir la voie à l’annexion. Smotrich n’est que le visage visible de cette récente campagne visant à isoler et asphyxier l’Autorité palestinienne.
Il est l’un des nombreux ministres israéliens essentiels à la continuité du gouvernement Netanyahu, parmi lesquels Itamar Ben-Gvir, Amichai Elyahu et Orit Strock, qui représentent tous la droite religieuse et contrôlent la majorité de la Knesset israélienne.
La Knesset prépare également depuis des années le terrain juridique pour l’annexion de la Cisjordanie. En 2018, elle a adopté la loi sur l’État-nation israélien, qui stipule que le seul droit à l’autodétermination entre le Jourdain et la Méditerranée appartient au peuple juif.
En juillet dernier, la Knesset a adopté un projet de loi rejetant la création d’un État palestinien entre le fleuve et la mer, et un an plus tard, en juillet dernier, elle a adopté un projet de loi permettant l’annexion de la Cisjordanie.
Le rôle des États-Unis
Le prélude à l’annexion officielle du territoire palestinien ne se limite pas aux mesures israéliennes, mais comprend également les initiatives jusqu’ici symboliques des États-Unis qui soutiennent le projet d’Israël.
Alors que des États européens, dont la France, le Royaume-Uni et la Belgique, annoncent leur intention de reconnaître un État palestinien lors de l’Assemblée générale des Nations unies à la fin du mois, les États-Unis, pour leur part, ont révoqué les visas des responsables palestiniens, dont le président Mahmoud Abbas, qui devaient assister à l’Assemblée générale.
Cette décision a été suivie par celle de Washington de cesser de délivrer des visas à tous les détenteurs de passeports palestiniens.
En substance, cela signifie que les États-Unis soutiennent implicitement le plan israélien d’étouffer dans l’œuf tout possibilité d’établir un État palestinien ainsi que d’étendre le contrôle d’Israël à tous les territoires palestiniens.
Bien que le dernier plan de Smotrich ait été qualifié de « maximaliste », l’orientation générale des législateurs israéliens, même l’opposition prétendument « pragmatique », représentée par Yair Lapid et Benny Gantz, ne s’oppose pas à l’annexion au sens propre du terme.
Les principales divergences qui existent entre les Israéliens ne portent pas sur l’annexion en soi, mais sur son ampleur.
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Les législateurs israéliens les moins « maximalistes » réclament soit l’annexion de toutes les colonies israéliennes, soit l’annexion de la zone C (qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie), soit l’annexion de la vallée du Jourdain.
Mais toutes ces versions priveraient les Palestiniens de toute continuité géographique, de tout contrôle sur les ressources naturelles et les frontières, ou de toute perspective de croissance démographique future.
En substance, l’ensemble de la classe politique israélienne est déterminée à rendre impossible la création d’un État palestinien. C’est parmi ces différents courants politiques que les États-Unis doivent choisir celui qu’ils soutiendront.
En fin de compte, ce sont les États-Unis qui décideront si l’annexion sera officialisée ou pas. Axios a cité deux responsables américains anonymes selon lesquels il était « peu probable » que Trump soutienne une telle mesure. Mais même si Washington met un terme à l’annexion de jure de la Cisjordanie, il proposera très probablement une « alternative » qui consolidera l’annexion de facto.
Auteur : Qassam Muaddi
* Qassam Muaddi est un journaliste palestinien basé à Ramallah. Il couvre l’actualité palestinienne : événements politiques, mouvements sociaux, questions culturelles ... Il écrit pour les quotidiens libanais Assafir et Al Akhbar, les sites Middle East Eye, Mondoweiss et The New Arab, ainsi que pour les journaux électroniques palestiniens Metras et Quds News Network.Son compte twitter.
4 septembre 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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