D’anciens prisonniers torturés dans les prisons israéliennes témoignent

Photo: Oren Ziv/Activestills.org
Palestine occupée - Action contre l'utilisation de la torture, 2011 - Photo: Oren Ziv/Activestills.org

Par Abdallah Aljamal, Ramzy Baroud

Alors qu’Israël s’apprête à durcir les conditions de vie des prisonniers palestiniens, nous avons demandé à six anciens détenus de nous raconter ce qu’ils ont vécu.

Plus tôt dans le mois, le ministre israélien de la Sécurité publique, Gilad Erdan, a annoncé son intention de “dégrader” les conditions de vie déjà horribles des prisonniers palestiniens dans les prisons d’Israël.

Selon le groupe palestinien de défense des droits des prisonniers Addameer, il y a près de 5 500 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, dont 230 enfants et 54 femmes. Sur ce nombre, 481 prisonniers sont détenus sans jugement – au titre d’une pratique illégale connue sous le nom de “détention administrative”.

S’adressant aux journalistes le 2 janvier, Erdan a révélé certains aspects de son plan, mais il manquait d’odieux éléments de contexte dans sa déclaration.

Le ministre a déclaré que les prisonniers seraient privés du “droit de cuisiner”, oubliant de mentionner que de nombreux prisonniers, notamment pendant la première période de leur détention, sont déjà entièrement privés de nourriture et torturés. “Le plan prévoit également d’empêcher les membres de la Knesset de rendre visite aux détenus palestiniens “, a ajouté Erdan, sans préciser que des centaines de prisonniers palestiniens se voient déjà régulièrement privés des visites de leur avocat ou de leur famille.

Il n’y a aucune raison de douter des propos du ministre israélien lorsqu’il promet de dégrader les conditions de détention des prisonniers palestiniens, bien que les conditions horribles dans lesquelles des milliers de Palestiniens sont détenus dans les prisons israéliennes – et qui constituent en soi une violation de la quatrième Convention de Genève – aient déjà atteint un degré que l’on ne peut que qualifier d’inhumain au regard des normes minimales fixées par les lois internationales et humanitaires.

Personne n’est aussi qualifié pour décrire les conditions de détention en Israël que les prisonniers palestiniens qui ont subi toutes les formes possibles de torture physique et psychologique et qui ont passé des années, parfois des décennies, à défendre leur dignité d’être humain, à toute heure du jour et de la nuit.

Nous avons interviewé six prisonniers libérés, dont deux femmes et un enfant. Ils nous ont raconté leur histoire, afin que leur témoignage aide le monde à comprendre le réel contexte du dernier plan d’Erdan.

Wafa’ Samir Ibrahim al-Bis

Je n’avais que 16 ans lorsque j’ai décidé de porter une ceinture explosive et de me faire sauter au milieu des soldats d’occupation israéliens. C’est tout ce que je pouvais faire pour venger Muhammad al-Durrah, cet enfant palestinien de 12 ans qui avait été brutalement tué par des soldats israéliens devant des caméras de télévision en septembre 2000.

Quand j’ai vu les images de Muhammad blotti contre son père, pendant que les soldats les couvraient de balles, je me suis sentie impuissante. Pauvre enfant ! Mais j’ai été arrêtée, et ceux qui m’avaient formée pour cette mission ont été tués trois mois après que je sois emprisonnée.

Photo : avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal
Wafa’ Samir Ibrahim al-Bis est née dans le camp de réfugiés de Jablaiya à Gaza. Elle avait 16 ans lorsqu’elle a été arrêtée le 20 mai 2005. Elle a été condamnée à 12 ans de prison après avoir été reconnue coupable d’avoir voulu se suicider au milieu de soldats israéliens. Elle a été libérée en 2011 lors d’un échange de prisonniers entre la Résistance palestinienne et Israël – Photo : avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal

J’ai été torturée pendant des années dans la tristement célèbre cellule 9 de la prison de Ramleh, une salle de torture réservée aux gens comme moi. J’ai été pendue au plafond et battue. Ils m’ont mis un sac noir sur la tête et m’ont frappée et interrogée pendant des heures et des jours.

Ils ont lâché des chiens et des souris dans ma cellule. Je n’ai pas pu dormir pendant des jours. Ils m’ont déshabillée et m’ont laissée toute nue pendant des jours.

Ils ne m’ont pas laissée rencontrer un avocat ni même recevoir la visite de la Croix-Rouge.

Je dormais sur un vieux matelas sale et dur comme des clous. J’ai passé deux ans à l’isolement dans la cellule numéro 9. J’avais l’impression d’être enterrée vivante. Une fois, ils m’ont pendue pendant trois jours sans arrêt. J’ai crié de toutes mes forces, mais personne n’est venu me détacher.

En prison, je me sentais très seule. Puis un jour, j’ai vu un petit chat passer et je me suis mise à lui jeter de la nourriture pour m’en faire un ami. Un jour, il est entré dans ma cellule et il a pris l’habitude de rester longtemps avec moi. Quand les gardiennes ont découvert qu’il me tenait compagnie, elles lui ont tranché la gorge devant moi. J’ai plus pleuré sur son sort que sur le mien.

Quelques jours plus tard, j’ai demandé une tasse de thé à la gardienne. Elle l’a apportée et m’a dit : “Passe la main à travers les barreaux pour prendre la tasse”. Je l’ai fait, et elle m’a versé de l’eau bouillante sur la main, me causant des brûlures au troisième degré. J’ai encore des cicatrices aujourd’hui et j’ai encore besoin d’aide pour soigner ma main.

Je pleure pour Israa’ Ja’abis, dont tout le corps a été brûlé et qui est toujours dans une prison israélienne.

Je pense souvent à toutes les femmes que j’ai laissées derrière moi en prison.

Sana’a Mohammed Hussein al-Hafi

En mai 2015, j’ai voulu rendre visite à ma famille qui vit en Cisjordanie. Ils me manquaient terriblement car je ne les avais pas vus depuis des années. Mais dès que je suis arrivée au check-point de Beit Hanoun (Eretz), j’ai été arrêtée par des soldats israéliens.

Mon calvaire a commencé ce jour-là vers 7 h 30 du matin. Les soldats m’ont fouillée d’une manière très humiliante. Ils ont examiné toutes les parties de mon corps. Ils m’ont forcé à me déshabiller complètement. Je suis restée comme ça jusqu’à minuit.

À la fin, ils m’ont enchaînée les mains et les pieds et m’ont bandé les yeux. J’ai supplié l’officier responsable de me permettre d’appeler ma famille parce qu’ils m’attendaient toujours de l’autre côté du check-point. Les soldats me l’ont permis à condition que je dise : “Je ne rentre pas à la maison ce soir”, et rien d’autre.

Photo : avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal
Sana’a Mohammed Hussein al-Hafi est née en Cisjordanie. Elle a déménagé dans la bande de Gaza après avoir rencontré son futur mari. Elle a passé 10 mois en prison et cinq mois en résidence surveillée pour avoir transféré de l’argent à une “entité hostile (Hamas)” – Photo : avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal

Puis d’autres soldats sont arrivés. Ils m’ont jetée à l’arrière d’un gros camion militaire. J’ai senti la présence de nombreux chiens et hommes autour de moi. Les chiens aboyaient et les hommes riaient. J’étais terrifiée.

On m’a emmenée à la prison militaire d’Ashkelon, où j’ai été fouillée à nouveau de la même manière dégradante, et placée dans une très petite cellule sombre. Ça sentait très mauvais. Il faisait très froid, bien qu’on soit au début de l’été. Le lit était petit et sale. Les couvertures aussi. Les soldats ont pris tout ce que j’avais avec moi, y compris ma montre.

Je n’arrivais pas à dormir, car on m’interrogeait toutes les quelques heures. On m’asseyait sur une chaise en bois pendant de longues périodes de temps et on me soumettait à la même routine : cris, insultes et injures ordurières. On m’a gardée à la prison d’Ashkelon pendant sept jours. On m’a laissée me doucher une seule fois, avec de l’eau glacée.

La nuit, j’entendais des voix d’hommes et de femmes qu’on torturait, des cris de colère en hébreu et en mauvais arabe, des claquements de portes. C’était très effrayant.

À la fin de la semaine, on m’a transférée à la prison de HaSharon, et j’ai été soulagée de me retrouver avec d’autres détenues palestiniennes, des mineures, des mères comme moi et des femmes âgées.

Tous les deux ou trois jours, on me faisait sortir de ma cellule pour d’autres interrogatoires. Je partais à l’aube et revenais vers minuit. Parfois, on me mettait dans un gros camion militaire avec d’autres femmes et on m’emmenait devant un tribunal militaire. Nous étions enchaînées individuellement ou les uns aux autres. Nous attendions des heures avant d’apprendre que la séance avait été reportée à une date ultérieure.

Dans les cellules, nous luttions pour survivre. Les conditions de vie étaient terribles et nous ne recevions pas de soins. Une fois une vieille prisonnière s’est évanouie. Elle était diabétique et ne recevait aucun soin. On s’est toutes mises à crier et à pleurer. Je ne sais pas comment elle a survécu.

J’ai passé dix mois en prison. Quand j’ai finalement été libérée, j’ai été assignée à résidence à Jérusalem pour 5 mois supplémentaires. Ma famille me manquait. J’y pensais à chaque heure du jour. Il n’y pas de mots pour décrire l’horreur de ce que j’ai vécu, l’horreur d’être privée de liberté, de vivre sans dignité et sans droits.

Il n’y a pas de mots …

Fuad Qassim al-Razam

J’ai subi des tortures psychologiques et physiques dans les prisons israéliennes, et j’ai été forcé d’avouer des choses que j’ai faites et d’autres que je n’ai pas faites.

Photo: avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal
Fuad Qassim al-Razam est né dans la ville palestinienne de Jérusalem. Il a passé 31 ans en prison pour le meurtre d’un soldat israélien et d’un colon armé, entre autres accusations – Photo: avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal

La première phase de détention est généralement la plus difficile car la torture est plus forte et plus fréquente et les méthodes sont plus brutales. On m’a privé de nourriture et de sommeil et on m’a laissé pendu au plafond pendant des heures. Parfois, on me laissait debout sous la pluie, nu, attaché à un poteau, avec un sac sur la tête.

Je restais comme ça toute la journée, et de temps en temps des soldats me donnaient des coups de poing, des coups de pied et des coups de bâton.

On m’a interdit de voir ma famille pendant des années, et quand j’ai finalement eu le droit de voir ma mère, elle était mourante. Une ambulance l’a amenée à la prison de Beir Al-Saba, et on m’a mis des menottes pour aller la voir. Elle était en très mauvaise santé et ne pouvait plus parler. Je me souviens des tubes qui sortaient de ses mains et de son nez. Ses bras étaient meurtris et bleus à l’endroit où les aiguilles perçaient sa peau délicate.

Je savais que ce serait la dernière fois que je la verrais, alors je lui ai lu le Coran avant qu’on me ramène dans ma cellule. Elle est morte 20 jours plus tard. Je sais qu’elle était fière de moi. Lorsque j’ai été libéré, en 2011, on ne m’a pas laissé aller sur sa tombe lire des versets du Coran. On m’a déporté à Gaza immédiatement après l’échange de prisonniers.

Un jour, j’irai sur sa tombe.

Mohammed Abul-Aziz Abu Shawish

J’ai été arrêté sept fois par Israël, la première fois à l’âge de six ans. C’était en 1970. Puis, ils m’ont accusé de jeter des pierres sur les soldats israéliens. J’ai été arrêté aussi quand j’étais adolescent. Cette fois-là, j’ai été battu et un officier israélien a allumé une allumette sous mes parties génitales. Ils m’ont déshabillé et mis mes sous-vêtements dans ma bouche pour étouffer mes cris.

J’ai eu mal quand j’allais aux toilettes longtemps après.

Photo : avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal
Mohammed Abul-Aziz Abu Shawish est né dans le camp de réfugiés de Nuseirat à Gaza en 1964. Sa famille est originaire de Barqa, un village du sud de la Palestine qui a fait l’objet d’un nettoyage ethnique en 1948. Il a passé 9 ans en prison après avoir été accusé de possession d’arme et d’appartenance au Fatah – Photo : avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal

Ma dernière incarcération a été la plus longue. J’ai été arrêté le 23 avril 1985 et je suis resté en prison pendant 9 ans. j’ai été libéré après la signature des accords d’Oslo.

Même en prison, notre n’avons jamais cessé de nous battre pour nos droits. Nous faisions la grève de la faim et eux nous mettaient à l’isolement ou nous torturaient. Quand l’administration pénitentiaire cédait à nos revendications, pour mettre fin à une grève de la faim, elle ne tardait pas à nous retirer progressivement tout ce que nous avions obtenu.

On nous privait de nourriture, de visites familiales, et on nous empêchait même de parler à nos camarades de prison. On nous confisquait nos livres et d’autres supports éducatifs sans aucune raison.

Lorsque j’ai été libéré le 8 janvier 1994, j’ai rejoint l’unité de réadaptation des détenus du ministère du Travail. J’ai aidé de mon mieux les prisonniers libérés. Depuis que j’ai pris ma retraite, j’ai écrit un livre intitulé : Avant que mon tortionnaire ne meure, qui décrit mes années de prison.

Je ne suis pas un écrivain de formation, je veux juste que le monde sache ce que nous subissons.

Shadi Farah

J’ai été arrêté le 30 décembre 2015, je n’avais que 12 ans. J’ai été libéré le 29 novembre 2018. À l’époque, j’étais le plus jeune prisonnier palestinien dans les prisons israéliennes.

Photo: avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal
Shadi Farah a été arrêté à son domicile à Jérusalem à l’âge de 12 ans. Il était accusé d’avoir tenté de tuer des soldats israéliens avec un couteau trouvé chez lui – Photo: avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal

Mon interrogatoire a eu lieu à la prison de Maskoubiah à Jérusalem, en particulier dans la cellule numéro 4. Après des jours de torture physique, de privation de sommeil et de mauvais traitements, ils ont emprisonné toute ma famille – ma mère, mon père et mes frères et sœurs.

Ils m’ont dit que ma famille était retenue prisonnière à cause de moi et qu’ils ne seraient libérés que si j’avouais mes crimes. Ils m’ont injurié en proférant des blasphèmes que je ne peux pas répéter. Ils ont menacé de faire des choses innommables à ma mère et à mes sœurs.

Après chaque séance de torture, je retournais dans ma cellule, complètement épuisé. Mais je ne pouvais pas dormir, les soldats me réveillaient en me giflant, en me donnant des coups de pied avec leurs bottes et en me frappant dans le ventre.

J’aime ma famille, et quand on les empêchait de me rendre visite, ça me brisait le cœur.

Jihad Jamil Abu-Ghabn

En prison, mes geôliers ont essayé de briser mon esprit et de m’enlever ma dignité, non seulement par la violence, mais aussi par des techniques destinées à m’humilier et à me démoraliser.

Photo : avec l'aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal
Jihad Jamil Abu-Ghabn a passé près de 24 ans dans les prisons israéliennes pour avoir participé à la première Intifada et pour avoir été impliqué dans le meurtre d’un colon israélien. Il a été libéré en 2011 – Photo : avec l’aimable autorisation de Ramzy Baroud et Abdallah Aljamal

Ils me mettaient souvent un sac qui puait terriblement sur la tête, ce qui me faisait vomir dans le sac. Une fois le sac retiré, je me retrouvais avec un visage gonflé et un mal de tête épouvantable à cause du manque d’oxygène.

Tout au long de mon interrogatoire (qui a duré des mois), ils m’ont fait asseoir sur une chaise aux pieds inégaux pendant des heures. Je n’ai jamais pu trouver une position confortable, et j’ai toujours constamment mal dans le dos et le cou.

Parfois, ils amenaient des “prisonniers” dans ma cellule, qui prétendaient être membres de la Résistance palestinienne. Je découvrirai plus tard que ces prisonniers étaient en fait des collaborateurs qui essayaient de me faire avouer. Nous appelions ces collaborateurs assafir (oiseaux).

Les prisonniers palestiniens sont des héros. Aucun mot ne peut décrire leur ténacité légendaire ni la grandeur de leurs sacrifices.


22 janvier 2019 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet