
« Les enfants de Gaza méritent la vie » lors d'une manifestation à Umm al-Fahm, le 24 mai 2025 - Photo : avec l'aimable autorisation de l'auteur via Arab 48
Par Yoav Haifawi
La ville palestinienne d’Umm al-Fahm est en première ligne de la lutte des Palestiniens de 1948 contre le génocide à Gaza et la terreur infligée à leurs communautés par l’État israélien depuis le 7 octobre.
Alors que les images d’enfants brûlés, de familles affamées et d’hôpitaux bombardés à Gaza deviennent la bande sonore constante de la vie quotidienne, les communautés palestiniennes qui ont survécu à la Nakba et sont restées sur les terres occupées par Israël en 1948 (appelées « Palestiniens de 1948 ») sont remplies de colère, de frustration, d’un sentiment de vide et d’impuissance.
Face à cette paralysie générale, Umm al-Fahm, la principale ville palestinienne de la « région du Triangle du Nord », se distingue.
Les militants palestiniens de la ville, unis autour du « comité populaire » local, continuent d’essayer de briser les barrières de la répression et de la peur qui se sont installées dans leur communauté depuis le 7 octobre. La dernière tentative a eu lieu le samedi 24 mai.
Le comité populaire d’Umm al-Fahm a appelé à une manifestation nationale soutenue par le Comité Supérieur de Suivi des Citoyens Arabes – la direction unifiée des communautés palestiniennes de 1948 – aux côtés du Comité de Solidarité avec le Détenu Administratif Raja Eghbarieh.
L’appel à manifester était assorti de trois slogans : « Nous sommes avec notre peuple ! Non au nettoyage ethnique et au génocide ! Liberté pour le professeur Raja et tous les autres détenus ! »
Même si la manifestation avait été autorisée, la police ne l’a pas laissée se dérouler pacifiquement. Alors que nous nous rassemblions à Dawar al-‘Uyun, des « détectives » en civil ont commencé à attaquer les manifestants et à déchirer certaines banderoles qui leur déplaisaient. J’ai remarqué qu’ils s’opposaient en particulier aux banderoles « Non au génocide » et « Non au nettoyage ethnique ».
Cette pratique, qui consiste pour la police à censurer les banderoles lors d’une manifestation, est typique de l’hostilité flagrante dont fait actuellement preuve la police sous le commandement du ministre de la Sécurité Nationale d’extrême droite Itamar Ben-Gvir.
Même si les manifestants ne cherchent pas la confrontation, la police locale veut prouver son adhésion à ses supérieurs. Elle prétend que certaines banderoles « pourraient troubler l’ordre public » et attaque les personnes qui les portent.
Lorsque nous avons voulu commencer à marcher, la police a bloqué la route. Il y a eu quelques bousculades et les gens ont commencé à contourner la police. Finalement, la police a compris qu’il ne serait pas facile d’arrêter la manifestation et s’est « souvenue » que notre marche était initialement autorisée.
L’une des conditions pour obtenir l’autorisation d’organiser des manifestations aujourd’hui est que le drapeau palestinien ne puisse pas être brandi. Alors que nous défilions, la police a remarqué que certains manifestants tenaient (sans les brandir) des drapeaux. Elle a violemment dispersé la foule et arraché les drapeaux des mains de ceux qui les tenaient. Dans la confusion qui a suivi, elle a violemment arrêté un manifestant.
Umm al-Fahm en première ligne
Il n’est pas surprenant que ce soit à Umm al-Fahm que les Palestiniens de 1948 tentent le plus régulièrement d’organiser des manifestations contre le génocide à Gaza. Issue d’une longue histoire de lutte, Umm al-Fahm est le berceau du mouvement radical de gauche palestinien Abnaa al-Balad (Les fils du pays), fondé en 1969.
La ville a également été le centre et la forteresse imprenable du Mouvement islamique « du Nord », interdit par Israël en 2015. Naji al-Ali, le dessinateur révolutionnaire palestinien, a écrit un jour que « Umm al-Fahm est le nom de guerre de la Palestine ».
Au début des années 2020, les communautés palestiniennes de 1948 ont été victimes de la terreur des gangs criminels et escrocs formés par les services secrets israéliens, le Shabak. Les habitants d’Umm al-Fahm ont réagi par un exemple rare de mobilisation populaire contre le crime organisé et la violence sociale dans la communauté.

Manifestation à Umm al-Fahm, le 24 mai 2025 – Photo : avec l’aimable autorisation de l’auteur via Arab 48
De nouvelles initiatives de jeunes se sont associées aux anciens dirigeants politiques pour organiser des manifestations de masse contre la complicité de la police avec les gangs criminels.
Ce même mouvement unifié « Fahmawi » a atteint de nouveaux sommets lors de ce que nous appelons « Habbat al-Karameh », ou « soulèvement de la dignité » de mai 2021, également appelé « Intifada de l’unité ».
La manifestation de masse qui a débuté par la lutte contre le nettoyage ethnique dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem s’est rapidement transformée en une lutte unifiée à travers toute la Palestine historique, du fleuve à la mer.
La première manifestation des Palestiniens de 48 contre le génocide à Gaza a eu lieu à Umm al-Fahm, le 19 octobre 2023 — nous avions tenté de l’organiser la veille à Haïfa, mais nous avons été immédiatement réprimés.
La police d’Umm al-Fahm a utilisé cette manifestation contre la guerre pour piéger deux leaders éminents du mouvement de jeunesse contre la criminalité, Muhammad Taher Jabareen et l’avocat Ahmad Khalifah.
Ils ont été arrêtés, torturés et inculpés pour « incitation au terrorisme ». Ahmad et Muhammad ont passé respectivement quatre et huit mois en prison et sont désormais assignés à résidence partielle dans l’attente de leur condamnation.
L’esprit de lutte revient dans les rues
Au cours de la dernière année et demie, alors que les crimes de guerre d’Israël continuent de s’intensifier, le Comité Populaire d’Umm al-Fahm continue d’organiser des manifestations de rue pour tenter de sortir la population de l’état de terreur, dans l’espoir de transformer le désespoir en action.
La plupart de ces manifestations ont lieu presque chaque semaine, dans le rond-point central près de l’entrée de la ville, devant le nouveau bâtiment de la municipalité. Elles rassemblent généralement des dizaines de participants venus de la ville et des villages environnants.
Nous avons un groupe d’activistes à Haïfa qui continue d’essayer de manifester contre le génocide, mais nous sommes régulièrement attaqués et dispersés par la police ; nous avons donc pris l’habitude de rejoindre les manifestations à Umm al-Fahm.
Nous y rencontrons des activistes d’autres régions de 48, tous venus encourager les efforts les plus constants pour organiser des activités anti-génocide par les Palestiniens de 48.
Parmi ceux qui se joignent régulièrement à nous, il y a des militants radicaux de la société juive en Palestine, habitués à se porter volontaires comme « boucliers humains » en Cisjordanie pour protéger les Palestiniens contre les attaques de l’armée d’occupation et des colons.
Pendant plus de six mois après le 7 octobre, il était totalement impossible pour les Palestiniens d’obtenir une autorisation pour toute manifestation contre la guerre.
Au fil du temps, le comité populaire d’Umm al-Fahm a réussi à en obtenir une et, au cours de l’année dernière, le Comité Supérieur de Suivi a organisé plusieurs « marches nationales » à Umm al-Fahm, auxquelles ont participé des centaines de manifestants.
En janvier dernier, le Comité de Suivi a voulu organiser une manifestation à Sakhnin, au centre de la Galilée, mais il n’a pas pu obtenir d’autorisation.
Après qu’Israël ait rompu le cessez-le-feu à Gaza en lançant des attaques toujours plus meurtrières, le Comité Populaire a décidé d’aller plus loin en appelant à manifester contre la guerre à l’entrée d’Umm al-Fahm, près de la route 65 qui relie Tel-Aviv à la Galilée orientale.
Cette rue, également connue sous le nom de route de Wadi ‘Ara, a été bloquée par des manifestants palestiniens à de nombreuses reprises dans le passé.
Si la fermeture des routes n’est pas rare lors des manifestations en Israël et est généralement « maîtrisée » par la police, la possibilité que les Palestiniens se livrent à de telles actions est considérée par le régime comme une « menace pour la sécurité ».
Le 5 avril, au lieu des dizaines de personnes qui participent habituellement à la plupart des manifestations contre la guerre, des centaines de personnes se sont rassemblées près de la route principale. La police a été surprise et a déclaré que le rassemblement était illégal, mais elle n’avait pas les moyens de le disperser.
La route principale n’a pas été bloquée, mais il en est résulté une confrontation tendue. On avait l’impression que l’esprit de lutte était de retour dans les rues.
Après minuit, le 9 avril, la police israélienne et les forces du Shabak ont fait irruption au domicile de Raja Eghbarieh, 63 ans, leader d’Abnaa al-Balad à Umm al-Fahm et figure historique la plus éminente de ce mouvement.
Après une semaine d’interrogatoire par le Shabak, et faute de pouvoir prouver qu’il avait commis une infraction, il a été placé en détention administrative, c’est-à-dire emprisonné sans inculpation ni procès.

Manifestation de milliers de personnes dans le Naqab contre la démolition de villages, 29 mai 2025 – Photo : avec l’aimable autorisation de l’auteur via Arab 48
Au début de la guerre, des centaines de Palestiniens de 1948 ont été arrêtés. La plupart d’entre eux ont été accusés d’« incitation à la terreur » sur la base de publications sur les réseaux sociaux en faveur du peuple de Gaza. En tant que « prisonniers de sécurité », ils ont été jetés, avec des milliers de leurs compagnons de captivité de Cisjordanie, dans les cachots tristement célèbres de l’occupation.
Sous l’impulsion du gouvernement d’extrême droite et de l’hystérie anti-palestinienne qui s’est emparée de l’opinion publique, ces prisons sont devenues des centres de torture impitoyables, sans précédent dans l’histoire. Alors qu’au début de la guerre, il y avait de nombreuses inculpations et peu de détentions administratives pour les Palestiniens de 1948, le Shabak a récemment élargi le recours à la détention administrative.
Pour les Palestiniens de Cisjordanie, le nombre de détenus administratifs est passé de quelques centaines à plusieurs milliers après le 7 octobre. Nous ne connaissons pas le nombre exact pour les Palestiniens de 1948, car la plupart des familles des détenus sont terrorisées et craignent que toute information n’entraîne des représailles contre leurs proches. Pourtant, le nombre de cas connus continue d’augmenter par dizaines.
La détention de Raja Eghbarieh est considérée comme une escalade significative pour les Palestiniens de 1948, car elle vise clairement les dirigeants politiques palestiniens. Avec sa détention, le fantôme de la détention administrative a enfin un nom et un visage qui peuvent être rendus publics.
Cela a contribué à organiser la lutte. Les manifestations qui ont suivi à Umm al-Fahm n’étaient pas seulement contre le génocide à Gaza, mais aussi contre la détention administrative.
La fois suivante, lorsque le comité populaire a appelé à une manifestation près de la route de Wadi ‘Ara, à l’entrée principale d’Umm al-Fahm, le 10 mai, la police a décidé de l’empêcher. Elle a menacé les organisateurs de procéder à l’arrestation de tous les participants s’ils maintenaient la manifestation. Il était clair que cette fois-ci, la police serait présente en force et que les conséquences pourraient être graves.
Les organisateurs ont décidé d’annuler la manifestation à la dernière minute.
Une autre manifestation, restreinte, eut lieu le 17 mai, puis le 24 mai, la dernière marche nationale. La confrontation lors de la manifestation du 24 mai, qui s’est déroulée comme prévu malgré les provocations de la police et une tentative de dernière minute pour la bloquer, a constitué une nouvelle étape dans les efforts constants visant à briser le silence qui a empêché la solidarité avec Gaza.
Le reste du pays va-t-il s’en inspirer ?
Parallèlement au génocide à Gaza et aux attaques de plus en plus violentes contre les Palestiniens en Cisjordanie, Israël a également intensifié sa politique de démolition des maisons, des infrastructures et des bâtiments commerciaux arabes à l’intérieur de la « Ligne verte ».
Des dizaines de milliers de maisons, dans tout le pays, sont sous le coup d’ordres de démolition.
Dans le Naqab, où se trouvent des centaines de « concentrations » de Bédouins palestiniens non reconnues, la démolition des maisons palestiniennes est la principale priorité du régime, la police lançant des campagnes très médiatisées pour détruire des villages entiers.
Le climat de « guerre » et la terreur générale qui règne parmi la population ont entravé la résistance aux démolitions. Mais le jeudi 29 mai, une grève générale sans précédent de la population palestinienne du Naqab a eu lieu.
Le matin de la grève générale, des milliers de personnes se sont rassemblées dans la capitale régionale, Bir al-Sabe’, pour une manifestation organisée devant les bureaux du gouvernement responsables de la confiscation des terres et du nettoyage ethnique dans la région.
La même nuit, dans la ville d’Arraba al-Batof, au centre de la Galilée, des centaines de personnes ont répondu à l’appel du comité populaire local et se sont rassemblées pour défendre la maison d’un des habitants contre une démolition imminente. La maison a été sauvée, du moins pour l’instant.
Enfin, après une longue lutte politique et juridique, une large coalition de mouvements et d’ONG, dont le Parti communiste est le plus important, a obtenu l’autorisation de manifester à Haïfa contre la guerre pour la première fois depuis le 7 octobre.
La manifestation est prévue aujourd’hui, 31 mai, et les organisateurs s’attendent à une large participation.
Auteur : Yoav Haifawi
* Yoav Haifawi est un militant antisioniste qui tient les blogs Free Haifa et Free Haifa Extra.
31 mai 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – YG
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