Le plan israélo-US pour Gaza est une véritable horreur dystopique

9 mai 2025 - Une foule nombreuse, dont beaucoup d'enfants, se rassemble pour recevoir de la nourriture distribuée par l'association Al-Rahman à Khan Younis, Gaza - Photo : Abed Rahim Khatib / Anadolu

Par Muhammad Shehada

Le plan, rejeté par les Nations unies et d’autres groupes d’aide, n’est rien d’autre qu’un « sinistre » mécanisme de contrôle déguisé en aide.

Alors que la famine à Gaza atteint des niveaux catastrophiques après qu’Israël ait interdit toute aide alimentaire et humanitaire dans l’enclave depuis plus de 70 jours, l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, a fièrement annoncé vendredi une avancée imminente : Israël et les États-Unis sont en train de finaliser un nouveau mécanisme pour reprendre l’approvisionnement alimentaire de l’enclave.

« Le président Trump a clairement indiqué que l’une des choses les plus urgentes à faire est d’acheminer l’aide humanitaire à Gaza », a souligné M. Huckabee.

Mais l’annonce de M. Huckabee, apparemment destinée à paraître bienveillante, a suscité de vives réactions internationales ainsi qu’une opposition importante à l’intérieur de Gaza.

En effet, nous savons désormais que ce mécanisme sera géré par une nouvelle fondation privée, mettant ainsi fin au système d’aide mis en place depuis longtemps à Gaza sous l’égide de l’ONU et le remplaçant par un processus étroitement contrôlé visant à fournir une aide vitale à environ 60 % de la population de l’enclave.

« L’ensemble de l’ONU, du secrétaire général aux différentes agences, y compris l’UNRWA, rejette ce plan », m’a déclaré Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures et de la communication de l’UNRWA. Un haut responsable européen l’a qualifié de « dystopique » et « sinistre », tandis qu’un autre l’a jugé « extrêmement dangereux ».

Un mémo privé, rédigé par des agences des Nations Unies et plus de 20 organisations non gouvernementales internationales (ONGI) que j’ai pu consulter, tire la sonnette d’alarme et demande aux États de ne pas financer ni s’engager dans ce mécanisme, avertissant que cela pourrait équivaloir à « aider et assister des actes internationalement illicites, et exposer les États et les donateurs à une responsabilité juridique et politique ».

Une chercheuse en droits humains et mère allaitante à Gaza m’a déclaré qu’il fallait être « complètement fou » pour se rendre dans ces camps, même si elle-même souffrait de malnutrition aiguë et s’évanouissait régulièrement ces derniers temps.

« Nous ne voulons pas d’aide, nous voulons d’abord que les tueries cessent », a-t-elle ajouté.

Alors que Gaza meurt de faim, les Israéliens bombardent un centre alimentaire de l’UNRWA

Ces préoccupations sont soulignées par le fait qu’« Israël a très vite adhéré au plan », ce qui « soulève également d’autres questions », m’a confié H.A. Hellyer, chercheur au Royal United Services Institute de Londres.

Même le ministre d’extrême droite Bezalel Smotrich, qui avait précédemment déclaré qu’il pouvait être « juste et moral » d’affamer Gaza, a voté en faveur du plan.

Recyclage d’idées totalement rejettées

Selon le plan américano-israélien, l’aide serait gérée et distribuée uniquement par une organisation privée inconnue et nouvellement créée, appelée « Gaza Humanitarian Foundation » (GHF), récemment enregistrée en Suisse.

Un haut diplomate suisse m’a confié que la GHF avait été enregistrée par un homme d’affaires arménien et deux Américains.

La structure de l’organisation ne semble inclure aucun Palestinien ni aucun ressortissant arabe et n’implique aucune des organisations déjà présentes à Gaza qui possèdent une grande et longue expérience, ce qui a poussé Hellyer à la qualifier de « structure très louche ».

Le GHF n’ouvrirait que quatre « sites de distribution sécurisés » dans le sud de Gaza, remplaçant ainsi les plus de 400 points de distribution de l’aide humanitaire de l’ONU déjà présents à travers le territoire assiégé.

Chaque « centre » du GHF fournirait de la nourriture, de l’eau, des kits d’hygiène et des médicaments « en fonction uniquement des besoins » à 300 000 Palestiniens à Gaza (1,2 million au total), ce qui signifie que seulement un peu plus de la moitié de la population de Gaza bénéficierait de ce mécanisme, tandis que le sort du reste resterait incertain, Israël n’autorisant l’aide que par l’intermédiaire du GHF.

Les sites de distribution seraient gérés par des « mercenaires américains armés ayant déjà servi dans le cadre de ce genre de mission en Irak et en Afghanistan », selon les médias israéliens.

9 mai 2025 – Des Palestiniens font la queue pour recevoir des repas chauds distribués par des organisations caritatives à Gaza – Photo : Saeed Mohammed / Anadolu

Ces sites seraient « surveillés et gardés par les forces israéliennes ou des sociétés militaires privées », selon la note confidentielle.

Les bénéficiaires de l’aide seraient appelés individuellement à se rendre dans les centres militarisés du GHF pour recevoir un colis de 50 repas pour toute une famille, chacun contenant 1750 calories. Chaque repas coûterait 1,30 dollar, un montant qui, selon le GHF, comprendrait tous les frais de transport, de sécurité et de distribution.

Ça fait quoi de mourir de faim ?

Ce mécanisme a incité l’ONU et les ONG internationales travaillant à Gaza à le relier à des idées israéliennes antérieures telles que les « bulles de sécurité » (alias « îlots humanitaires » et « communautés fermées »), qui reposaient sur l’utilisation de l’aide comme arme contre la population civile de Gaza afin d’imposer des objectifs militaires et politiques.

Un piège mortel

Les bénéficiaires individuels de ce plan devront d’abord passer par un contrôle biométrique aux points de contrôle israéliens et dans les couloirs équipés de technologie de reconnaissance faciale lors de leur trajet vers et depuis les centres GHF hautement sécurisés, où des contrôles d’identité supplémentaires seront effectués.

« Cela signifie qu’aucun homme âgé de 12 à 100 ans n’osera s’approcher de ces lieux », m’a confié un diplomate européen, soulignant que l’armée israélienne procède régulièrement à des enlèvements arbitraires d’hommes de cette tranche d’âge à Gaza, sans procédure régulière, sans soupçon d’infraction, sans procès, sans assistance juridique, sans inculpation et sans visite de la Croix-Rouge.

Un autre diplomate européen a fait remarquer qu’une telle opération de contrôle individuel et de collecte de données à grande échelle ferait des Palestiniens de Gaza « le peuple le plus surveillé de la planète ».

Israël peut également utiliser cet appareil à des fins militaires, en attirant des individus dans un piège avec la promesse d’une aide, où ils peuvent être kidnappés, interrogés ou tués à ces points de contrôle.

En outre, l’ONU a documenté des cas de soldats israéliens commettant des agressions sexuelles systématiques contre des Palestiniens aux points de contrôle, notamment le déshabillage forcé d’hommes, de femmes et d’enfants, le harcèlement sexuel, la torture et les violences physiques.

La note conjointe de l’ONU et des OING souligne que « la structure prévue créerait également des conditions propices aux punitions collectives, aux détentions arbitraires, à l’exploitation et aux abus à l’encontre des civils, tout en écartant les acteurs extérieurs qui pourraient surveiller, atténuer ou signaler ces actes répréhensibles ».

Le personnel local, le personnel étranger et les bénéficiaires potentiels seraient soumis à un contrôle et à une vérification par les autorités israéliennes dans le cadre d’un processus secret, non transparent et sans recours.

La note de l’ONU et des OING avertit que « l’expérience montre que les contrôles imposés par Israël ne sont ni neutres ni transparents. Ils ont été utilisés pour refuser arbitrairement l’accès à des personnes et à des organisations sans procédure régulière ni explication ».

Cela signifie qu’Israël conserverait le pouvoir ultime de choisir quels Palestiniens peuvent recevoir de l’aide et qui sera laissé mourir de faim.

Cela ouvre la porte au gouvernement israélien pour continuer à instrumentaliser l’aide à un niveau individuel afin de punir des individus tels que des journalistes ou des critiques, ou pour faire chanter les bénéficiaires afin qu’ils collaborent et travaillent comme informateurs.

Israël le fait déjà depuis des décennies, exploitant le besoin des Palestiniens en soins médicaux comme arme de chantage et de punition.

La note conjointe de l’ONU et des OING conclut que le nouveau plan d’aide américano-israélien « vise à officialiser » l’« instrumentalisation de l’aide par Israël […] comme outil politique et militaire (par exemple lors de négociations de cessez-le-feu ou pour obtenir de nouveaux gains territoriaux) ».

« Si ce n’est pas une instrumentalisation de l’aide, alors nous ne savons pas ce que c’est », m’a déclaré Alrifai.

Famine à Gaza : toute une journée à chercher de quoi manger et de l’eau potable

La note de l’ONU et des ONG internationales met également en garde contre le fait que le nouveau mécanisme vise à établir « un système de contrôle militaire illégitime et de consolidation territoriale sous le couvert de l’acheminement de l’aide ».

Camps de concentration

La mise en place de centres de distribution dans le sud de Gaza uniquement et l’exclusion délibérée de la moitié nord suggèrent « une politique potentielle de déplacement forcé », a averti l’agence d’aide humanitaire des Nations unies (OCHA) dans une note d’information publiée la semaine dernière.

La note privée de l’ONU et des ONG internationales souligne que « les civils qui n’ont d’autre choix que de se déplacer pour survivre sont, par définition, transférés de force ».

Elle a en outre averti que le nouveau mécanisme d’aide comporte un « risque d’internement et de conditions inhumaines », les personnes étant contraintes de se rendre dans des « zones de confinement clôturées ou des sites de distribution », ce qui « priverait les Palestiniens de leur dignité et de leurs droits, exacerbant la crise humanitaire et entravant tout redressement significatif ».

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a clairement exprimé cet objectif dimanche dernier lorsqu’il a déclaré, selon le journal israélien Maariv, devant une commission parlementaire israélienne que « l’aide serait conditionnée au fait que les Gazaouis qui la reçoivent ne retournent pas dans les lieux d’où ils sont arrivés sur les sites de distribution ».

Le journal a cité Netanyahu qui a déclaré : « Nous démolissons de plus en plus de maisons, ils n’ont nulle part où retourner. La seule issue évidente sera que les Gazaouis souhaitent émigrer hors de la bande de Gaza ».

Smotrich, le ministre des Finances ultranationaliste d’Israël, a également souligné que Gaza serait « totalement détruite », sa population étant « concentrée » dans une petite zone à la frontière égyptienne qu’il a qualifiée de zone « humanitaire », ce qui correspond aux nouveaux centres créés récemment.

Le média israélien +972 a averti en avril que « la dernière vision d’Israël pour Gaza a un nom : camp de concentration ».

Ce n’est pas un moyen d’empêcher le pillage

Le prétexte invoqué par l’administration Trump pour approuver et co-concevoir ce plan d’aide largement rejeté est d’empêcher le pillage de l’aide ou son détournement par le Hamas pour « acheter des armes », comme l’a déclaré l’ambassadeur Huckabee.

Israël utilise le prétexte du pillage pour interdire toute aide à Gaza, bien que l’envoyé humanitaire de Joe Biden, David Satterfield, ait admis en février dernier qu’« aucun responsable israélien n’a […] présenté à l’administration des preuves spécifiques de détournement ou de vol de l’aide fournie par l’ONU dans le centre et le sud de Gaza depuis le 21 octobre [2023] ».

12 mai 2025 – Des Palestiniens, principalement des enfants, attendent avec des récipients vides pour recevoir de la nourriture distribuée par des organisations caritatives alors que la crise alimentaire s’aggrave en raison du blocus israélien, à Nuseirat, dans la bande de Gaza – Photo : Moiz Salhi / Anadolu

L’ambassadeur d’Israël auprès de l’UE, Haim Regev, avait déclaré à la mi-octobre 2023 qu’« il n’y a aucune preuve que l’aide de l’UE soit allée au Hamas ».

Ironiquement, les seules preuves de vol systématique et organisé de l’aide proviennent de gangs criminels qui, selon certaines informations, opèrent dans certains cas sous la protection totale de l’armée israélienne.

Hellyer m’a dit que ce nouveau mécanisme était « contre-productif » et « rétrograde » pour empêcher tout pillage. Il a expliqué que « le pillage est dû à la pénurie… si le pillage n’a pas lieu au moment de la réception, il peut avoir lieu par la suite ».

Il a ajouté que le Hamas « ne pille certainement pas la nourriture et les médicaments pour fabriquer des armes, et il est ahurissant de devoir même le dire », car il est largement reconnu que la principale source de réarmement du groupe est les bombes non explosées d’Israël à Gaza.

La note de l’UN-INGO indique également qu’« il n’y a aucune preuve de détournement d’aide à grande échelle ». Elle ajoute que le meilleur moyen de réduire les pillages est d’augmenter l’aide qui parvient à Gaza afin de réduire les besoins et de stabiliser les prix.

Allons-nous continuer à rester les bras croisés pendant que Gaza meurt de faim ?

Ce point tombe sous le sens : actuellement, les Gazaouis ont en grande partie épuisé leurs réserves de farine de blé, ce qui a fait grimper le prix d’un sac de 25 à 50 kg à 1 500-2 500 NIS (420-700 dollars), incitant ainsi au pillage par désespoir ou en raison de la valeur élevée des denrées alimentaires.

Mais, selon la note, lorsque l’aide a été augmentée à Gaza pendant le cessez-le-feu, les prix sont revenus à la normale et le pillage n’était plus rentable.

Fournir de la nourriture à la moitié de Gaza tout en laissant l’autre moitié mourir de faim est un moyen sûr d’encourager le pillage, de provoquer l’effondrement de la société et d’aggraver la fragmentation sociale.

Masquer la famine persistante

Selon le FNU, dans le cadre du nouveau plan d’aide, Israël n’autoriserait que 60 camions par jour à entrer dans Gaza pour rejoindre les centres militarisés du GHF. Cela ne représente que 10 % du nombre de camions qu’Israël autorisait à entrer dans Gaza pendant le cessez-le-feu.

M. Alrifai, de l’UNRWA, a déclaré que les besoins minimaux de Gaza avant la guerre étaient de 500 camions par jour. Après les fermetures et les restrictions prolongées au cours des 19 derniers mois, ainsi que la destruction systématique des usines et de l’agriculture de Gaza, 500 camions par jour seraient même insuffisants pour répondre aux besoins.

Avant le 7 octobre, Israël autorisait parfois l’entrée à Gaza de plus de 850 camions par jour.

Cela signifie qu’Israël utiliserait ce nouveau mécanisme pour prétendre qu’il n’empêche plus l’aide d’entrer à Gaza, tout en réduisant cette aide à une fraction de ce qui est nécessaire pour la survie de base.

En outre, l’aide accordée uniquement aux centres de coordination de GHF entraînerait la perte de services essentiels et vitaux, selon la note de l’INGO des Nations unies.

Par exemple, le plan israélo-américain ne prévoit aucune stratégie pour fournir de l’eau potable ou remédier à l’effondrement des services d’assainissement, qui a contribué à l’apparition de maladies.

Il ne prévoit pas non plus l’entrée d’équipements et de carburants essentiels pour relancer le secteur sanitaire effondré de Gaza, ni d’équipements pour les logements temporaires, le déblaiement des décombres, la reconstruction ou l’éducation.

La note avertit que les maigres rations alimentaires ne suffiraient pas à la survie de la population, car la famine et la malnutrition prolongées ne peuvent être traitées uniquement par l’alimentation, mais nécessitent également des soins médicaux pour permettre la guérison.

Le plan d’aide américano-israélien est « logistiquement irréalisable », comme l’a déclaré Alrifai.

Il suppose qu’un Palestinien vivant dans les zones nord de Jabalia ou Beit Hanoun parcourrait 41 km (environ 25,5 miles) à pied une fois par semaine jusqu’à Rafah, à travers des rues détruites, des montagnes de décombres et des postes de contrôle israéliens, sous des bombardements constants et sous une chaleur torride, pour aller chercher un lourd colis contenant 50 repas, puis rentrer chez lui à pied en parcourant à nouveau 41 km.

« Les personnes vulnérables, les personnes âgées, les jeunes, les enfants, les handicapés, toutes ces personnes ne peuvent pas se déplacer, elles ne peuvent pas se déplacer à Gaza pour aller chercher de la nourriture », a déclaré M. Alrifai.

L’ONU dispose déjà de la plus grande infrastructure d’aide humanitaire à Gaza et d’un vaste réseau de personnel local capable d’atteindre les personnes dans le besoin, tandis que ce nouveau plan « ignore complètement l’ONU », a ajouté M. Alrifai.

Le plan de distribution d’aide par Israël est inhumain et vise à exercer un chantage par la famine

Le plan GHF soutenu par Trump n’est pas une solution humanitaire, mais un mécanisme dystopique de contrôle déguisé en aide.

En institutionnalisant la famine, la surveillance et les déplacements sous couvert d’aide humanitaire, il cherche à remplacer la compassion par la coercition et la dignité par la domination.

Au lieu d’atténuer les souffrances, il les renforce en militarisant l’alimentation, en fragmentant la société et en officialisant l’apartheid par des portiques biométriques et des complexes d’« aide » sécurisés.

Alors que les institutions mondiales réagissent avec inquiétude, le monde doit reconnaître que ce plan n’est pas un acte de sauvetage bienveillant, mais un projet visant à provoquer l’effondrement et l’effacement forcé.

Soutenir ou financer un tel projet, ce n’est pas apporter de l’aide, c’est se rendre complice d’un crime contre l’humanité et d’un génocide.

13 mai 2025 – Zeteo – Traduction : Chronique de Palestine

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