Scolasticide à Gaza : les Israéliens ont détruit le système éducatif, autrefois égalitaire

Selon le ministère de l'éducation et à la date du 27 janvier 2024, 4327 élèves sont tombés en martyrs, 7819 ont été blessés, 231 enseignants et administrateurs sont tombés en martyrs et 756 ont été blessés. En outre, 281 écoles gouvernementales et 65 écoles de l'UNRWA ont été totalement ou partiellement détruites. L'Observatoire euro-méditerranéen des droits de l'homme a documenté le ciblage intentionnel par Israël de 90 % des bâtiments scolaires gouvernementaux, ce qui a entraîné des dommages directs et indirects. De plus, 133 écoles publiques sont utilisées comme abris - Photo : via al-Qods News Network

Par Refaat Ibrahim

Gaza bénéficiait d’une justice éducative. Aujourd’hui, le génocide l’a également anéantie, et pour la première fois depuis de nombreuses années, l’éducation à Gaza n’est encore accessible qu’aux personnes aisées.

Les Palestiniens ont toujours été passionnés par l’apprentissage. À l’époque ottomane, les étudiants palestiniens se rendaient à Istanbul, au Caire et à Beyrouth pour poursuivre leurs études supérieures.

Sous le mandat britannique, face aux politiques coloniales visant à maintenir la population locale dans l’ignorance, les agriculteurs palestiniens ont mis en commun leurs moyens et créé leurs propres écoles dans les zones rurales.

Puis survint la Nakba, et l’occupation et les déplacements de population apportèrent de nouvelles souffrances qui élevèrent la quête d’instruction des Palestiniens à un niveau tout à fait différent.

L’instruction est devenue un espace où les Palestiniens pouvaient sentir leur participation, un espace qui leur permettait de revendiquer certains de leurs droits et de rêver d’un avenir meilleur. L’éducation est devenue un espoir.

À Gaza, l’enseignement a été l’un des premiers services sociaux mis en place dans les camps de réfugiés. Les élèves s’asseyaient sur le sable devant un tableau noir pour apprendre.

Les communautés ont fait tout leur possible pour que tous les enfants aient accès à l’éducation, quel que soit leur niveau de pauvreté. Le premier établissement d’enseignement supérieur de Gaza – l’université islamique – a tenu ses premiers cours sous des tentes ; ses fondateurs n’ont pas attendu la construction d’un bâtiment.

Je me souviens que, lorsque j’étais enfant, je voyais chaque matin les ruelles de notre quartier bondées d’enfants se rendant à l’école. Toutes les familles envoyaient leurs enfants à l’école.

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Lorsque j’ai atteint l’âge d’être à l’université, j’ai vu la même scène : des foules d’étudiants se rendant ensemble à leur université ou à leur école supérieure, rêvant d’un avenir brillant.

Cette quête incessante de l’éducation, pendant des décennies, s’est soudainement arrêtée en octobre 2023. L’armée israélienne ne s’est pas contentée de bombarder les écoles et les universités et de brûler les livres. Elle a détruit l’un des piliers les plus importants de l’instruction palestinienne : la justice éducative.

Rendre l’éducation accessible à tous

Avant le génocide, le secteur de l’éducation à Gaza était florissant. Malgré l’occupation et le blocus, nous avions l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés au monde, atteignant 97 %. Le taux d’inscription dans l’enseignement secondaire était de 90 % et celui dans l’enseignement supérieur de 45 %.

L’une des principales raisons de ce succès est que l’éducation à Gaza était entièrement gratuite dans les cycles primaire et secondaire. Les écoles gérées par le gouvernement et l’UNRWA étaient ouvertes à tous les enfants palestiniens, garantissant ainsi l’égalité des chances pour tous.

Les manuels scolaires étaient distribués gratuitement et les familles recevaient une aide pour acheter des sacs, des cahiers, des stylos et des uniformes scolaires.

De nombreux programmes parrainés par le ministère de l’éducation, l’UNRWA et d’autres institutions avaient été également mis en place pour soutenir les étudiants talentueux dans divers domaines, indépendamment de leur situation économique. Des concours de lecture, des manifestations sportives et des programmes technologiques étaient régulièrement organisés.

Au niveau universitaire, des efforts importants avaient été déployés pour rendre l’enseignement supérieur accessible. Il existait une université gouvernementale dont les frais d’inscription étaient symboliques, sept universités privées dont les frais d’inscription allaient de modérés à élevés (en fonction de l’établissement et de la spécialité) et cinq collèges universitaires dont les frais d’inscription étaient modérés.

Il existait également un établissement d’enseignement professionnel affilié à l’UNRWA à Gaza, qui proposait un enseignement entièrement gratuit.

Les universités ont accordé de généreuses bourses aux étudiants les plus brillants et les plus défavorisés.

Le ministère de l’éducation a également offert des bourses internes et externes en coopération avec plusieurs pays et universités internationales. Il existait un fonds de prêt pour l’enseignement supérieur destiné à couvrir les frais de scolarité.

En d’autres termes, avant le génocide de Gaza, l’éducation était accessible à tous.

Le coût de l’éducation en plein génocide

Depuis octobre 2023, la machine de guerre sioniste a systématiquement pris pour cible les écoles, les universités et les infrastructures éducatives.

Selon les statistiques de l’ONU, 496 écoles sur 564, soit près de 88 %, ont été endommagées ou détruites. En outre, toutes les universités et tous les collèges de Gaza ont été détruits. Plus de 645 000 étudiants ont été privés de salles de classe et 90 000 étudiants universitaires ont vu leur formation interrompue.

Alors que le génocide se poursuivait, le ministère de l’éducation et les universités ont tenté de reprendre le processus éducatif, en organisant des cours en présentiel pour les écoliers et des cours en ligne pour les étudiants.

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Dans les camps de déplacés, des écoles sous tente ont été mises en place, où de jeunes volontaires enseignaient gratuitement aux enfants. Les professeurs d’université ont utilisé des outils d’enseignement en ligne tels que Google Classroom, Zoom, des groupes WhatsApp et des canaux Telegram.

Malgré ces efforts, l’absence d’enseignement régulier a créé un fossé important dans le processus éducatif. Les bombardements incessants et les ordres de déplacement forcé émis par l’occupation israélienne ont rendu l’assiduité difficile. Le manque de ressources a également empêché les écoles sous tente de dispenser un enseignement adéquat.

En conséquence, des centres éducatifs payants ont vu le jour, offrant des leçons privées et une attention individuelle aux étudiants. En moyenne, un centre facture entre 25 et 30 dollars par matière et par mois, et avec huit matières, le coût mensuel atteint 240 dollars – un montant que la plupart des familles de Gaza ne peuvent pas supporter.

Dans le secteur de l’enseignement supérieur, le coût est également devenu prohibitif. Après le premier semestre en ligne, qui était gratuit, les universités ont commencé à demander aux étudiants de payer une partie de leurs frais de scolarité pour poursuivre l’enseignement à distance.

L’enseignement en ligne nécessite également une tablette ou un ordinateur, un accès stable à l’internet et de l’électricité. La plupart des étudiants qui ont perdu leurs appareils à la suite d’un bombardement ou d’un déplacement ne peuvent pas en acheter de nouveaux en raison de leur prix élevé. L’accès à un internet stable et à l’électricité dans des « espaces de travail » privés peut coûter jusqu’à 5 dollars de l’heure.

Tout cela a conduit de nombreux étudiants à abandonner leurs études parce qu’ils n’avaient pas les moyens de payer. Moi-même, je n’ai pas pu terminer le dernier semestre de mon diplôme.

L’effondrement de la justice éducative

Un an et demi de génocide a suffi à détruire ce qui avait mis des décennies à se construire à Gaza : la justice éducative. Auparavant, la classe sociale n’était pas un obstacle à la poursuite des études, mais aujourd’hui, les pauvres sont laissés pour compte.

Très peu de familles peuvent continuer à scolariser tous leurs enfants. Certaines familles sont contraintes de prendre des décisions difficiles : envoyer les enfants plus âgés travailler pour aider à financer la scolarité des plus jeunes, ou ne donner la possibilité qu’à l’enfant le plus doué de poursuivre ses études, et priver les autres.

Il y a aussi les personnes extrêmement pauvres, qui ne peuvent envoyer aucun de leurs enfants à l’école. Pour eux, la survie est la priorité. Au cours du génocide, ce groupe a fini par représenter une grande partie de la société.

La situation économique catastrophique a obligé d’innombrables enfants en âge scolaire à travailler au lieu d’aller à l’école, surtout dans les familles qui ont perdu leur soutien de famille. Je constate cette douloureuse réalité chaque fois que je sors de ma tente et que je me promène.

Les rues sont pleines d’enfants qui vendent des marchandises diverses ; beaucoup sont exploités par des profiteurs de guerre qui vendent des choses comme des cigarettes pour un salaire de misère.

Les petits enfants sont obligés de mendier, de courir après les passants et de leur demander tout ce qu’ils peuvent leur donner.

Je ressens une douleur insupportable lorsque je vois des enfants qui, il y a à peine un an et demi, couraient vers leurs écoles, riaient et jouaient, se tenir aujourd’hui sous le soleil ou dans le froid, à vendre ou à mendier juste pour gagner quelques shekels afin d’aider leurs familles à obtenir un repas de toute façon insuffisant.

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Pour les élèves de Gaza, l’éducation n’a jamais consisté à obtenir un certificat d’études ou un document officiel. Il s’agissait d’optimisme et de courage, d’une forme de résistance à l’occupation israélienne et d’une chance de sortir leurs familles de la pauvreté et d’améliorer leurs conditions de vie.

L’éducation, c’était la vie et l’espoir.

Aujourd’hui, cet espoir a été tué et enterré sous les décombres par les bombes israéliennes.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation dangereuse, où le fossé entre les nantis et les pauvres se creuse, où la capacité d’apprentissage et de réflexion d’une génération entière est réduite, et où la société palestinienne risque de perdre son identité et sa capacité à poursuivre sa lutte.

Ce qui se passe à Gaza n’est pas une simple crise temporaire de l’éducation, mais une campagne délibérée visant à détruire les possibilités d’égalité et à créer une société déséquilibrée et privée de justice.

Nous sommes arrivés à un point où les architectes du génocide en cours sont confiants dans le succès de leur stratégie de « transfert volontaire » – pousser les Palestiniens à un tel niveau de désespoir qu’ils choisissent de quitter volontairement leur terre.

Mais la population palestinienne refuse toujours de céder sa terre. Elle persévère. Même les enfants, les plus vulnérables, n’abandonnent pas.

Je pense souvent aux mots que j’ai entendus lors d’une conversation entre deux enfants vendeurs pendant la dernière fête de l’Aïd. L’un d’eux a déclaré : « Il n’y a pas de joie dans l’Aïd ». L’autre a répondu : « C’est le meilleur Aïd. Il suffit que nous soyons à Gaza et que nous ne l’ayons pas quittée comme le voulait Netanyahu ».

En effet, nous sommes toujours à Gaza, nous ne l’avons pas quittée comme le voulait Israël, et nous la reconstruirons comme l’ont fait nos ancêtres et nos aînés.

19 avril 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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