Mes amis, étudiants et prisonniers

Des étudiants palestiniens assistent à leur cérémonie de remise de diplômes à l'Université Birzeit, près de la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 16 juin 2013 - Photo: Issam Rimaw

Par Isra Musafer

« Je parle de la liberté qui n’a pas de prix, la liberté qui est elle-même le prix ».

Cette citation de Ghassan Kanafani est la première chose qui m’est venue à l’esprit quand j’ai appris que mes collègues et amis avaient été emprisonnés.
En automne 2019, j’ai commencé mon dernier semestre à l’Université de Bir Zeit en Cisjordanie, heureux de rejoindre les classes et anticipant avec joie la cérémonie de ma graduation.

Mais les circonstances et parmi elles, l’arrestation de mes amis, ont jeté une ombre sur cette joie.

Hier seulement, je voyais chaque jour mes camarades au campus universitaire et entendais leurs voix, leurs rires et les moqueries qui fusaient de leurs rangs. Les soldats israéliens ont maintenant chassé leurs sourires du campus universitaire, autant dire le soleil qui éclairait nos yeux.

Ils étaient militants et participaient aux élections estudiantines mais les Israéliens, plutôt que de leur dire de façon claire pourquoi ils avaient été arrêtés, leur balançaient pendant les interrogatoires de vagues accusations d’appartenance à des organisations terroristes.

L’amour du pays est-il un crime pour lequel des étudiants universitaires devraient être arrêtés et empêchés de finir leurs études?
Notre nationalité palestinienne est-elle un crime pour lequel nous devons être punis chaque jour ?

Nous résistons, aimons la vie et brillons en dépit de nos souffrances. Ainsi va la vie d’un étudiant palestinien quand il est délibérément empêché de vivre sa vie d’étudiant.

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Je n’ai pas personnellement vécu les affres de la prison mais j’ai goûté à son amertume à travers ce que m’ont dit mes amis des souffrances physiques et psychologiques qu’ils ont endurées dans les geôles obscures.

L’esprit de résistance

J’entends encore résonner dans le campus les rires de mon ami Hazboun, un gars aussi solide que l’acier, un ami loyal de ses amis. Il était en quatrième année d’ingénierie mécanique.

Pendant les premiers moments de votre arrestation, m’a raconté plus tard Ameer, une peur intense vous envahit, surtout que c’est votre première expérience. Vous n’avez pas l’habitude de d’avoir des armes pointées sur vous et d’être violemment jeté à terre.

Dans ces moments, on est dans l’inconnu et on commence à se poser des questions « suis-je en train de rêver ? Serai-je battu ? Comment devrai-je me comporter quand je serai soumis à des interrogatoires? Un film bourré d’images et de souvenirs se déroule dans votre tête.

Après un temps où vous subissez coups et violences, alors que vous vous sentez submergé, vous décidez de ne pas vous laisser briser. Vous tentez ensuite de vous adapter aux bandeau et aux menottes en plastique. Vous ne pouvez pas marcher, sauf si un des soldats vous tient et marche avec vous, vous êtes alors envahi d’un grand sentiment de faiblesse et d’impuissance.

Vous êtes jeté dehors dans le froid pendant des heures, et comme tout prisonnier dans la même situation, vous vous sentez de plus en plus faible mais vous faites l’effort de rester calme. Pendant toute la détention, ils tentent de de vous isoler et de vous affaiblir et vous souffrez.

Université de Birzeit, Palestine occupée – Photo : via We Are Not Numbers

Vous essayez de préserver votre esprit de résistance et votre force en vous rappelant des situations où vous avez été fort, en vous rappelant aussi combien vous comptez et êtes aimé par votre famille et vos proches

Un étudiant d’à peine vingt ans, ou tout humain, mérite- t’il de tels tourments ?

Je me rappelle les activités des étudiants ce semestre– là, les élections, le climat démocratique qui régnait à l’université ainsi que le désir des étudiants de choisir leurs représentants devant l’administration de l’université.

La participation des étudiants aux prises de décisions est un de leurs droits, pourquoi alors l’occupation israélienne persécute- t’elle les étudiants quand ils participent à la vie politique de façon légitime ?

J’ai beaucoup d’amis et de collègues toujours derrière les murs des prisons. Ils sont soumis quotidiennement à des mauvais traitements, surtout pendant les interrogatoires qui comportent des tortures morales et physiques.

Interrogatoires brutaux

Q.M était étudiant d’informatique en troisième année quand il a été arrêté le 02 septembre 2019. Il a passé une année et demi en prison en Israël. Comme les autres, il a vécu une dure expérience dès le moment où il a été arrêté.

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Il m’a demandé de ne pas utiliser son nom complet à cause des menaces qui pèsent chaque jour sur les étudiants universitaires palestiniens du fait de l’occupation.
Son arrestation s’est déroulée de façon extrêmement choquante : porte de la maison défoncée, hurlements d’ordres et d’injures envahissant la maison, violence, intimidation, immobilisation et coups sur le corps devant sa famille.

« Une chose qu’ils m’ont dite et qui est restée gravée dans mon esprit : vous, les Palestiniens n’êtes rien et ne deviendrez jamais des êtres humains. Vous êtes des animaux et nous aimons faire de vous notre gibier. »

Université de Bir Zeit

Q.M m’a décrit la peur et l’angoisse qu’il a vécues pendant les interrogatoires alors que les noms de ses amis et de sa famille étaient utilisés pour le forcer à avouer des choses qu’il n’avait pas faites.  « Pendant mon arrestation, au moment où ils me mettaient dans la Jeep militaire, les soldats ont délibérément nommé certaines personnes dont je savais qu’elles n’avaient pas été arrêtées. Ils parlaient d’une opération à laquelle ils pensaient que j’avais participé. Ils ont fait une vidéo d’eux-mêmes dans laquelle ils m’accusaient en hébreu d’avoir fait partie du groupe qui avait fait cette opération » – un piège pour l’amener à une confession- « mais j’ai été capable de comprendre ce dont ils discutaient parce que je connais l’hébreu. J’ai attendu le moment propice pour me défendre. Je leur ai dit que je n’avais rien fait de tout cela parce que je n’avais rien à voir avec tous ces faits.»

Rassemblement des candidats aux élections des représentants des étudiants en 2018 à l’université de Birzeit. Photo : Mohammad Abu Zaid

Le pire de ce que font subir les Israéliens aux étudiants détenus, aussi bien pendant leur arrestation que dans leur détention, ce sont les atteintes à leur santé psychologique et physique. « Pendant l’enquête, on m’a cassé plusieurs dents et j’avais des douleurs si intenses que je ne pouvais pas manger la nourriture qu’il me donnaient », raconte Q.M.

Pour ces dents cassées, je n’ai reçu aucun traitement à part une pilule antalgique par jour. Quand je suis sorti de l’interrogatoire, on m’a mené vers une clinique assez misérable et sous-équipée dans laquelle on m’a extrait les dents sans anesthésie.

Amir et Q.M ne sont que deux parmi d’innombrables cas. Le nombre de détenus dans les prisons israéliennes fin mars 2021 était de 4450 comprenant 37 femmes dont 3 étaient des étudiantes. Le nombre d’enfants était de 140.

L’occupation israélienne gâche nos vie d’étudiants en l’encombrant de toutes sortes d’obstacles et surtout, en faisant planer sur nos têtes le risque d’être arrêté à tout moment sans accusation.

Tout cela exige l’intervention des organisations pour les droits humains. La voix des étudiants palestiniens doit être entendue. Je suis un étudiant palestinien. J’ai le droit de finir tranquillement mes études et de jouir de la sécurité dans l’enceinte de l’université.

J’ai le droit de dire haut et fort « je mérite une vie décente et je ne suis pas un chiffre mentionné dans les informations rapportées par les médias.

6 septembre 2021 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui