Le coup-fourré israélo-américain qui prétend “sauver” Gaza

Photo : Ali Jadallah
Le 14 mai 2018, l'armée israélienne a massacré près de 60 manifestants palestiniens à la clôture de Gaza, le tout avec la bénédiction américaine - Photo : Ali Jadallah
Ramzy BaroudIsraël veut changer complètement les règles du jeu. Avec le soutien inconditionnel de l’Administration Trump, Tel Aviv voit une occasion en or de redéfinir ce qui constitue depuis des décennies le fondement juridique et politique du mal-nommé “conflit israélo-palestinien”.

Bien que la politique étrangère du président américain Donald Trump ait été jusqu’ici erratique et imprévisible, la “vision” de son administration en Israël et en Palestine est systématique et inébranlable. Cette cohérence semble s’inscrire dans une vision plus large visant à sortir le “conflit” des limites du droit international et même de l’ancien “processus de paix” parrainé par les États-Unis.

En effet, la nouvelle stratégie a jusqu’à présent pris pour cibles le statut de Jérusalem-Est en tant que ville palestinienne occupée et le droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Elle a pour objectif d’imposer une nouvelle réalité sur le terrain où Israël atteindra ses objectifs stratégiques tandis que les droits des Palestiniens se limiteront à de simples questions humanitaires.

Sans surprise, Israël et les États-Unis exploitent à leur avantage la division existant entre les factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas. Le Fatah domine l’Autorité palestinienne (AP) à Ramallah tandis que le Hamas administre la bande de Gaza.

Un scénario de la carotte et du bâton s’applique avec persévérance. Alors que, pendant des années, le Fatah a reçu de nombreux avantages financiers et politiques de la part de de Washington, le Hamas a survécu dans l’isolement, sous un siège permanent et un état de guerre constant. Il apparaît que l’Administration Trump – sous les auspices du conseiller principal et beau-fils de Trump, Jared Kushner – veut renverser la situation.

La raison pour laquelle l’Autorité palestinienne n’est plus la direction palestinienne “modérée” qu’elle était dans le programme de Washington, est que Mahmoud Abbas a décidé de boycotter Washington en réponse à la reconnaissance de la totalité de Jérusalem comme capitale israélienne. Certes, la soumission d’Abbas a été maintes fois avérée dans le passé mais sous la nouvelle administration, les États-Unis exigent une “soumission” totale, donc une obéissance absolue.

Le Hamas, qui est enfermé à Gaza entre des frontières verrouillées de toutes parts, discute indirectement avec Israël à travers une médiation égyptienne et qatarie. Cet engagement a jusqu’à présent abouti à une trêve à court terme, tandis qu’un cessez-le-feu à long terme est toujours en discussion.

Les derniers développements sur ce front ont été la visite de M. Kushner, accompagné de l’envoyé spécial du Moyen-Orient, Jason Greenblatt, au Qatar le 22 août. Gaza était à cette occasion le principal sujet de discussion.

Alors, pourquoi Gaza, qui a été isolée (également par l’Autorité palestinienne), est-elle devenue la nouvelle porte par laquelle les hauts responsables américains, israéliens et régionaux, veulent réactiver leur diplomatie au Moyen-Orient?

Ironiquement, la suffocation de Gaza est particulièrement intense ces jours-ci. Toute la bande de Gaza s’enfonce dans ce qui est maintenant une véritable crise humanitaire, le mois d’août ayant été l’un des mois les plus éprouvants.

Une série de réductions de l’aide financière des États-Unis a ciblé les infrastructures socio-économiques qui permettaient à Gaza de survivre malgré l’extrême pauvreté et le blocus économique.

Le 31 août, le magazine Foreign Policy a rapporté que l’administration américaine était en train de refuser tous leurs versements à l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA – laquelle a déjà subi des réductions financières massives depuis janvier. C’est l’avenir même de l’organisation qui est maintenant en péril.

Ces inquiétantes nouvelles sont arrivées une semaine seulement après une autre annonce dans laquelle les États-Unis ont décidé de réduire de près de 200 millions de dollars l’aide allouée aux Palestiniens cette année, principalement des fonds pour le développement en Cisjordanie et l’aide humanitaire à Gaza.

Alors, pour quelle raison les États-Unis provoquent-ils une crise humanitaire importante à Gaza – ce qui convient bien au gouvernement fascisant de Benjamin Netanyahu – tout en engageant des discussions sur le besoin urgent de mettre fin aux problèmes humanitaires de Gaza ?

La réponse réside dans la nécessité pour les États-Unis de manipuler l’aide aux Palestiniens afin d’obtenir des concessions politiques pour le plus grand profit d’Israël.

Des mois avant que des pourparlers indirects parrainés par l’Égypte aient commencé entre Israël et le Hamas, il y a eu un changement indéniable dans l’attitude des Israéliens et des États-Unis concernant l’avenir de Gaza:

Le 31 janvier, Israël a présenté à une conférence de haut niveau à Bruxelles, des “plans d’assistance humanitaire” pour Gaza d’un coût estimé à 1 milliard de dollars. Le plan est principalement axé sur le traitement de l’eau, l’électricité, les infrastructures gazières et la modernisation de la zone industrielle commune au passage d’Erez entre Gaza et Israël. En substance, le plan israélien est désormais au centre des discussions sur l’éventuel cessez-le-feu à long terme.

Greenblatt a assisté à la réunion, ainsi que Kushner qui est chargé de mettre en œuvre la vision tordue de Trump, qualifiée de manière inappropriée “l’accord du siècle”.

Deux mois plus tard, Kushner a accueilli de hauts responsables de 19 pays pour discuter de la crise humanitaire à Gaza.

Il y a un dénominateur commun dans toute cette agitation.

Depuis que les États-Unis ont décidé de défier le droit international et de déplacer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem en décembre dernier, ils ont cherché une nouvelle stratégie pour contourner l’Autorité palestinienne à Ramallah.

Le président de l’Autorité palestinienne, Abbas – dont l’appareil politique est essentiellement tributaire de la coordination policière et répressive avec l’occupant israélien, de l’accord politique américain et des aides financières – n’a pas grand chose à négocier.

Le Hamas possède un capital politique relativement plus important car il a moins dépendu du camp israélo-américain. Mais des années d’un siège constant, interrompues par des guerres israéliennes massives et meurtrières, ont poussé Gaza dans une crise humanitaire permanente.

Alors qu’une trêve temporaire entre Israël et les groupes palestiniens dirigés par le Hamas à Gaza est entrée en vigueur le 15 août, un cessez-le-feu à long terme est toujours en cours de négociation. Selon le quotidien israélien Haaretz, citant des responsables israéliens, la trêve comprendrait un cessez-le-feu général, l’ouverture de tous les points de passage vers l’extérieur, l’élargissement de la zone de pêche autorisée au large de la côte de l’enclave et la remise en état des infrastructures économiques détruites de Gaza.

Parallèlement, les responsables palestiniens à Ramallah sont en train de fumer de colère. Le négociateur en chef, Saeb Erekat, a accusé le Hamas d’essayer de “détruire le projet national palestinien” en négociant un accord séparé avec Israël. L’ironie, c’est que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dominée par le Fatah, et l’Autorité palestinienne s’efforcent de détruire ce même projet depuis plus de 25 ans…

Cependant, dissocier l’avenir de Gaza du sort de tous les Palestiniens peut effectivement avoir des conséquences dramatiques.

Indépendamment du fait qu’une trêve permanente soit instaurée entre Israël et les organisations de la résistance dans Gaza dirigées par le Hamas, la triste vérité est que, quelle que soit l’illusion dont se bercent Washington et Tel Aviv en ce moment, celle-ci repose presque entièrement sur l’exploitation des divisions palestiniennes. La direction palestinienne doit dans son intégralité être jugée responsable.

Ramzy Baroud * Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.

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5 septembre 2018 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

1 Commentaire

  1. Je me demande parfois si Israël et les USA n’ont pas décidé de faire de Gaza “l’État Palestinien” (un grand camp de réfugiés à ciel ouvert). Le reste de la Palestine étant entièrement annexé par Israël…

    l’OLP devrait se réveiller, dissoudre l’AP, et organiser des manifestations permanentes sur le modèle de celles de Gaza. Également rappeler au monde que les Bantoustans d’Afrique du Sud et de Namibie étaient une ignominie qui a fini par tomber (fusion à l’intérieur de l’Afrique du Sud unifié et égalitaire et indépendance de la Namibie) et qu’Israël entretient deux des derniers grands bantoustans du monde, la Cisjordanie et Gaza.

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