Yahya Sinwar : « la lutte contre l’occupation n’est pas une guerre de religion »

Gaza, mai 2021 - Scène de rue après l'annonce du cessez-le-feu. En Palestine occupée, la résistance palestinienne est comme un poisson dans l'eau - Photo : Réseaux sociaux

Par Mai Abu Hasaneen

Israël pourrait assassiner le chef du Hamas Yahya Sinwar, suite à l’attaque à la hache dans la ville d’Elad.

C’est devant une photo des forces israéliennes en train de prendre d’assaut l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa, le 15 avril, que le chef du Hamas, Yahya Sinwar, a prononcé son discours, le 30 avril, lors de la cérémonie annuelle qui célèbre la fin du Ramadan, le mois sacré musulman, en présence des chefs des factions armées palestiniennes, des dirigeants politiques, des femmes, des jeunes et des groupes tribaux.

Le vendredi 15 avril, les forces israéliennes avaient tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur la foule palestinienne à l’intérieur même de la mosquée de Jérusalem et arrêté 470 personnes, dans le seul but de débarrasser l’esplanade des fidèles palestiniens pour permettre aux colons israéliens d’y entrer pour célébrer la Pâque.

Sinwar a montré la photo en disant : « Cette situation ne se répétera pas. On ne verra plus de telles images. Quiconque laisserait une telle chose se reproduire ouvrirait la voie à la violation de milliers de synagogues dans le monde. »

Il a poursuivi : « Nous ne voulons pas transformer la lutte contre l’occupation en une guerre de religion. Mais si l’occupation et les extrémistes veulent transformer la guerre contre les Palestiniens en une guerre religieuse, alors, nous acceptons le défi ».

Sinwar a dénoncé le racisme du traitement qu’Israël fait subir aux musulmans de Jérusalem en prenant d’assaut la mosquée Al-Aqsa et en voulant leur en interdire l’accès à certaines heures – pour attribuer des plages horaires aux juifs – ce qui modifierait le statut actuel de la mosquée et permettrait la construction d’un prétendu troisième temple juif sur ses ruines.

Il a également souligné qu’Israël avait appliqué le même traitement aux chrétiens, en leur interdisant l’accès de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem pour célébrer le samedi saint le 23 avril.

En outre, a-t-il dit, Israël marginalise les juifs qui ne sont pas affiliés au mouvement sioniste dans certains quartiers de Jérusalem, comme à Meah Shearim et Kerem Avraham.

Sinwar a également promis qu’une première salve de 1111 roquettes seraient tirée sur Israël lors de la prochaine guerre. Il a expliqué : « Le nombre de roquettes fait référence à la date de la mort du leader Yasser Arafat [11 novembre 2004]. »

S’adressant aux Palestiniens vivant en Israël, il a déclaré : « Celui qui a une arme à feu doit la préparer, et celui qui n’en a pas doit préparer son hachoir, sa hache ou son couteau. »

Il a aussi déclaré que le Hamas veut aider la résistance populaire à Jérusalem, en Cisjordanie et aux Palestiniens d’Israël à croître et à se développer.

Le 5 mai, jour de l’indépendance d’Israël, deux Palestiniens ont tué trois Israéliens et en ont blessé plusieurs autres avec une hache lors d’une attaque dans un parc de la ville israélienne d’Elad, à l’est de Tel Aviv.

En réaction, Itamar Ben Gvir, membre d’extrême droite de la Knesset, a tweeté le 5 mai : « L’armée de l’air israélienne devrait tirer des roquettes sur la maison de Sinwar dans la bande de Gaza car il est l’instigateur de l’attaque. » Et des journalistes israéliens ont appelé à l’assassinat de Sinwar.

En réponse aux menaces israéliennes d’assassiner Sinwar, Abu Obeida, porte-parole militaire des Brigades Izz ad-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas, a déclaré le 7 mai : « Nous avertissons l’ennemi et ses dirigeants corrompus que s‘attaquer à Yahya Sinwar ou à tout autre chef de la résistance provoquera un tremblement de terre dans la région, et que la bataille de l’épée de Jérusalem [en référence au conflit de 11 jours à Gaza en mai 2021] semblera anodine comparée à ce que nous ferons subir à l’ennemi. »

Sinwar a déclaré dans son discours que le Hamas va travailler avec d’autres membres de « l’axe de Jérusalem » – en référence à l’Iran et à d’autres forces, notamment le Hezbollah et le régime d’Assad en Syrie – pour mettre en place une ligne maritime entre la bande de Gaza et d’autres pays, pour briser le blocus israélien.

Il a déclaré que les consultations et les préparatifs battent leur plein et que l’inauguration de la ligne est proche.

Le porte-parole du Hamas, Hazem Qassem, a déclaré à Al-Monitor : « Les menaces d’assassiner Sinwar reflètent le comportement terroriste de l’establishment sécuritaire [israélien] et des médias sionistes. L’occupation incite au meurtre de Sinwar pour cacher son échec à endiguer les opérations palestiniennes [à l’intérieur d’Israël]. »

Il a ajouté que “mettre à exécution la menace d’assassiner Sinwar ou tout autre leader de la résistance serait une déclaration de guerre de l’occupation contre le peuple palestinien et la résistance palestinienne, et entraînerait une réponse sans précédent “.

Il a averti : « L’occupation israélienne sera pleinement responsable des conséquences de l’assassinat de Sinwar ou de tout autre leader de la résistance palestinienne. »

Hosam al-Dajani, professeur de sciences politiques à l’université Umma basée à Gaza, a déclaré à Al-Monitor : « Selon des sources proches de Sinwar, ce dernier voulait dire dans son discours, que le silence de la communauté internationale sur l’assaut de la mosquée Al-Aqsa, les tentatives d’interdire son accès aux Palestiniens une partie du temps et de modifier son statu juridique et historique [car la garde de la mosquée Al-Aqsa a été confiée à la Jordanie en 1954] pourrait transformer la lutte des Palestiniens contre l’occupation israélienne en un conflit religieux. »

Il a dit : « Sinwar voulait dire à la communauté internationale qu’il faut mettre fin aux continuelles attaques israéliennes contre la mosquée Al-Aqsa, pour que le conflit ne se transforme pas en une guerre de religion. C’est ainsi qu’il faut comprendre le discours de Sinwar ».

Dajani a ajouté : « Sinwar veut rester fidèle au manifeste politique du Hamas de 2017, qui affirme clairement dans son article 16 que le conflit avec l’entité sioniste n’est pas un conflit avec les Juifs en raison de leur religion, mais plutôt avec le mouvement sioniste en raison de l’occupation des terres palestiniennes.

Selon l’article 37 du manifeste, le Hamas refuse de s’ingérer dans les affaires intérieures des autres pays et adopte une politique d’ouverture avec tous les pays. »

Ibrahim Ibrash, professeur de sciences politiques à l’université Al-Azhar dans la bande de Gaza, a déclaré à Al-Monitor : « Le discours de Sinwar est adressé au public palestinien de Gaza et ne constitue véritablement une menace pour l’occupation. Il intervient dans un contexte de crise interne au sein du Hamas, dont une partie est attachée aux accords conclus avec Israël après la guerre de mai 2021, stipulant que le Hamas s’engage à ne mener aucune action militaire en réponse aux actions israéliennes contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée et à Jérusalem, en échange de la promesse israélienne de ne pas cibler les dirigeants de la résistance et de ne pas bloquer l’aide humanitaire et les fonds [vers Gaza]. »

Selon lui, le discours de Sinwar est le reflet d’un désaccord entre les dirigeants du Hamas dans la bande de Gaza, qui provient du fait que la plupart de ceux qui élaborent la stratégie n’habitent pas dans les territoires palestiniens.

Il a ajouté : « Exagérer les menaces d’assassinat, dont Sinwar fait l’objet, rend service à Israël, car cela détourne l’attention des Palestiniens de la véritable lutte contre l’occupation israélienne à Jérusalem et en Cisjordanie occupées. »

Talal Okal, journaliste et analyste politique au journal local Al-Ayyam, a déclaré à Al-Monitor : « La politique israélienne d’assassinats de dirigeants politiques et militaires palestiniens n’est pas nouvelle. »

Il a ajouté : « Ces assassinats ne mèneront à rien, car le peuple palestinien remplace les dirigeants assassinés par des dirigeants encore plus engagées dans la défense des droits des Palestiniens. Par conséquent, cela n’a aucun sens de rechercher des solutions sécuritaires ni la paix économique avec l’occupation israélienne. La solution au conflit doit être politique. Il faut reconnaître les droits du peuple palestinien et établir un État palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale. »

15 mai 2022 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet