
17 mai 2025 - Plus de 100 000 personnes manifestent aux Pays-Bas pour demander la fin du soutien à Israël. Soutenus par plus de 80 organisations, les manifestants sont descendus dans les rues sous le slogan « Puisque le Premier ministre Schoof refuse de tracer la ligne rouge, nous le ferons ». La manifestation condamnait le soutien inconditionnel du gouvernement néerlandais à Israël, malgré le massacre de plus de 50 000 Palestiniens à Gaza et les violations graves et persistantes des droits humains. Les manifestants ont appelé le gouvernement à changer de position et à faire pression pour mettre fin à l'agression et permettre l'acheminement de l'aide humanitaire vers la bande de Gaza assiégée - Photo : Activestills
Par Haidar Eid
« Le colonialisme ne se contente pas de tenir un peuple sous son emprise et de vider l’esprit de l’indigène de toute forme et de tout contenu. Par une sorte de logique pervertie, il se tourne vers le passé du peuple opprimé, le déforme, le défigure et le détruit ». Frantz Fanon.
Il n’y a pas deux parties égales au “conflit” ! D’une part, Israël génocidaire est une société coloniale qui pratique la discrimination raciale, le nettoyage ethnique systématique et le Génocide. Nous, les Palestiniens opprimés, représentons la partie colonisée qui a le droit internationalement reconnu de résister. Nous ne sommes pas des voisins ; les voisins sont généralement égaux en droits et en devoirs, et respectent les droits de voisinage.
Cela illustre-t-il la nature de la relation entre les occupants israéliens de la Palestine et les Palestiniens, qui souffrent d’un système d’oppression à plusieurs niveaux pratiqué par le « voisin » israélien, animé par une idéologie profondément raciste ?
Dans cette optique, nous devrions nous demander si le colonisateur français a été un voisin généreux pour l’Algérien arabe. Les colons blancs d’Afrique du Sud, sous le régime de l’apartheid, ont-ils exercé des « droits de voisinage » à l’égard de la population noire africaine ? Et les racistes blancs du Sud américain ont-ils fait preuve de « générosité » à l’égard de leurs voisins d’origine africaine, les anciens esclaves ?
Dans la République sud-africaine de l’apartheid, le maître blanc a fait ce qu’il considérait comme des « concessions généreuses » en autorisant la création de bantoustans raciaux – des zones de ségrégation réservées aux Noirs qui ont été établies sur 12 % des terres sud-africaines pour que la population africaine puisse y vivre.
Ces bantoustans étaient dirigés par de faux Noirs choisis par le maître blanc pour servir de médiateurs avec lui afin d’améliorer les conditions de vie de la population africaine. Ces dirigeants étaient fiers d’avoir servi le maître blanc et recherchaient désespérément ses faveurs.
La même expérience s’est répétée en Inde et en Algérie, et dans de nombreux autres pays qui ont souffert du fléau du colonialisme, en particulier du colonialisme de peuplement.
Même en Palestine, dans les années 1930, les « Groupes de la Paix » ont collaboré avec le colonisateur britannique.
L’identification au maître et les efforts inlassables des peuples opprimés et colonisés pour gagner l’approbation du maître prennent différentes formes. Souvent, il y a un état de déni, parfois accompagné de tentatives persistantes de mettre en évidence l’aspect « humain » de la relation entre les deux « voisins » !
Cependant, les pires cas d’identification se produisent lorsque l’esclave croit qu’il est devenu « libre » et, en conséquence, recourt à des méthodes répressives à l’encontre du reste des esclaves. Ces méthodes sont même similaires à celles utilisées par le maître. Tout ceci résulte du fait que le maître vise l’esprit de l’esclave dans le but de le soumettre complètement.
Les termes « nègre de maison » et/ou « Oncle Tom » ont été inventés pour exprimer cet état.
Ainsi, les Palestiniens vivent dans un état d’engagement continu avec les multiples formes d’oppression pratiquées par Israël. La plus dangereuse d’entre elles est la bataille pour façonner la conscience collective palestinienne en un « projet de libération », qui ne considère pas l’amélioration des conditions d’oppression et de répression comme une forme de liberté.
La résistance palestinienne est fondée sur un projet anticolonial qui considère la décolonisation de l’esprit comme un prélude nécessaire à la libération de la terre et du peuple.
Elle considère l’égalité complète entre les êtres humains comme l’antithèse du projet sioniste, tout comme l’égalité entre tous les Sud-Africains était l’antithèse du système d’apartheid blanc en vigueur dans ce pays.
Au plus fort de la répression de l’apartheid, au milieu des années 80, qui aurait pu imaginer que Nelson Mandela sortirait des prisons de l’apartheid en 1990 ? Qui, parmi les présidents détestés des bantoustans, les Oncle Toms d’Afrique du Sud, s’attendait à ce que Mandela devienne président, même pour les Blancs, et à ce que les bantoustans soient relégués dans les poubelles de l’histoire ?
Avant d’être assassiné à la fin des années 1960, le leader américain des droits civiques et de la lutte contre le racisme Martin Luther King avait déclaré qu’il avait un rêve – un rêve fondé sur la libération de l’esprit et la création d’une forme de « Conscience Noire », terme utilisé par le fondateur du Mouvement de la Conscience Noire en Afrique du Sud, l’activiste Steve Biko, qui a été assassiné par des interrogateurs blancs dans ce pays en 1977.
Ce rêve a porté le premier président noir au sommet du pouvoir en Afrique du Sud.
Dans le cas palestinien, il est nécessaire de procéder à un examen critique du climat créé par les accords de normalisation d’Oslo de 1993, conformément à la définition de la normalisation acceptée par toutes les forces politiques actives et l’écrasante majorité des secteurs de la société civile palestinienne.
Cet examen critique est une condition préalable essentielle à la décolonisation. La normalisation introduite par Oslo donne une fausse représentation de la situation – un état de conflit entre un colon israélien oppresseur et colonial et un Palestinien opprimé et colonisé. Au contraire, elle présente l’occupation de la Palestine comme une situation où « deux parties égales » se disputent des terres « contestées ».
Lors des négociations d’Oslo en 1993, on a dit aux Palestiniens que le « dialogue » et les « négociations » par l’intermédiaire d’un médiateur américain conduiraient finalement à une « solution juste » et que « les deux parties » devaient « lutter contre le terrorisme » pour parvenir à une « paix » qui garantisse « la sécurité d’Israël ».
Par conséquent, le côté palestinien est maintenant représenté comme celui qui doit « briser les barrières psychologiques » et éradiquer la « haine » qu’il cultive par le biais d’une éducation et de programmes « haineux » et « antisémites » !
Toute cette « haine » a culminé dans l’attaque du 7 octobre, ignorant le fait que le génocide en cours a été rendu possible par 77 ans de violence sans précédent et une rhétorique de supériorité raciale, religieuse et civilisationnelle qui renforce le sentiment de droiture, et qu’Israël génocidaire est une colonie de peuplement gérée par une idéologie de hiérarchie raciale.
Cependant, la réalité actuelle indique que des décennies de négociations entre les deux parties inégales ont conduit les Palestiniens à la situation suivante : soit ils acceptent les diktats des États-Unis et d’Israël, soit ils ne les acceptent pas.
La première option exige que la partie palestinienne (l’esclave) reconnaisse la « légitimité » du système à plusieurs niveaux de l’occupation militaire, de l’apartheid, des colonies israéliennes sur les terres palestiniennes et de la judéité d’Israël, en échange d’une enclave ethnique avec une souveraineté réduite – et tous les bantoustans sont ainsi par nature – sur des parties de la Cisjordanie.
Cela équivaut à un suicide collectif de la part des Palestiniens et à un coup final dans la liquidation de l’ensemble de la question palestinienne.
La seconde option, qui consiste à rejeter la « médiation » américaine, conduira à la culpabilisation des victimes, comme d’habitude, et exposera ainsi les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie à une attaque féroce et effrayante (« l’enfer » selon les termes du président américain Donald Trump) qui sera parmi les pires que les Palestiniens aient jamais connues, au-delà du Génocide en cours que nous vivons en ce moment même !
Tout cela s’inscrit dans le contexte du climat créé par la mentalité du « voisin », selon laquelle l’amélioration des conditions d’oppression est considérée comme la meilleure chose que l’on puisse obtenir, à tel point que les gouvernements israélien et américain, avec l’accord des gouvernements arabes, veulent nommer des Judernat et des Kapos palestiniens pour aider à l’administration du camp de la mort de Gaza !
La décolonisation de l’esprit palestinien est donc de la plus haute importance. C’est précisément ce que le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) dirigé par les Palestiniens en général, et la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) en particulier, cherchent à réaliser : poursuivre ce qu’Edward Said, Mahmoud Darwish, Ghassan Kanafani, Naji al-Ali et de nombreux autres penseurs critiques avant eux ont commencé, dans des œuvres littéraires et critiques qui ont transcendé les contraintes idéologiques limitées.
Ces travaux s’inscrivent dans le prolongement de la libération et de la lutte populaire menée par le peuple palestinien au cours du siècle dernier et s’inspirent des enseignements tirés des luttes des peuples qui ont subi des formes similaires d’oppression coloniale.
Il convient ici de souligner les résultats sans précédent de ces campagnes, qui expriment l’esprit palestinien libre menant le mouvement international de boycott avec des méthodes efficaces qui ont permis des percées et des bonds qui ont surpris Israël, même l’Amérique et, bien sûr, ceux qui prônent le « bon voisinage ».
Il y a encore quelques années, critiquer Israël aux États-Unis était considéré comme un tabou, alors qu’aujourd’hui, c’est presque devenu une pratique courante, même parmi les membres du parti démocrate et les membres du Congrès.
Le mouvement BDS, qui n’est pas fondé sur la rhétorique de la charité, de la bienveillance ou de l’amélioration des conditions d’oppression, est ce qui incite tant d’artistes et de personnalités culturelles à prendre position contre les crimes commis par l’État génocidaire d’Israël.
Comme Avraham Burg, ancien président de la Knesset (parlement israélien) et ancien président de l’Agence juive (organisation encourageant les juifs à immigrer en Israël), l’avait prévenu bien avant le 7 octobre 2023, l’aspect le plus important de BDS était que la pression publique mondiale commençait à influencer les gouvernements.
Ces gouvernements avaient commencé à prendre des mesures concrètes contre Israël, ce qui rendait les sanctions contre Israël inévitables. En effet, après un an et demi d’un horrible génocide, le régime sioniste se trouve dans un état d’isolement sans précédent.
Les Palestiniens ne peuvent que s’investir dans ces efforts créatifs pour combler l’énorme déséquilibre de pouvoir entre Israël, qui possède prétendument l’une des armées les plus puissantes du monde, dotée d’armes destructrices massives, et le peuple palestinien, qui possède la force morale suprême en sa seule faveur.
Cela nécessite toutefois l’intervention de forces populaires mondiales dotées d’une conscience humaine, du même type que les forces de solidarité qui sont intervenues au nom du peuple noir opprimé en Afrique du Sud et qui ont travaillé sous leur direction pour isoler le régime de l’apartheid.
De même que la campagne internationale de boycott repose sur l’exercice d’une pression populaire maximale sur les gouvernements, il est plus approprié que les forces populaires palestiniennes exercent une pression accrue sur l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et l’Autorité Palestinienne pour qu’elles mettent un terme à toutes les pratiques de normalisation flagrantes qui sapent les réalisations de la campagne BDS.
Dans le film « Django », réalisé en 2012 par l’éminent réalisateur américain Quentin Tarantino sur l’esclavage aux États-Unis, apparaît un esclave Noir qui supervise le travail d’un maître blanc avec un dévouement extraordinaire afin d’obtenir ses faveurs. Cet esclave s’efforce de découvrir toute conspiration qu’il sent se tramer contre le maître et/ou toute tentative de libérer d’autres esclaves travaillant dans les plantations de coton.
L’aspect « le plus étonnant » du film est l’accusation portée contre les esclaves « ingrats », et que le mieux qu’ils puissent faire est d’améliorer leurs conditions de vie. Mais le héros Noir, un esclave qui se libère l’esprit, exprime le rêve de l’esclave et n’a d’autre choix que d’affronter le maître blanc pour libérer sa femme.
De même, BDS est simplement un acte de décolonisation, une confrontation directe avec l’Israël de l’Apartheid, qui ne croit pas en une trêve, qu’elle soit à court ou à long terme.
BDS et l’esprit palestinien libre ne croient pas que l’amélioration des conditions actuelles d’oppression, en particulier celles établies par le génocide israélien à Gaza – comme autoriser 50 grammes de ciment, 3 boîtes de médicaments contre le cancer et 5 bouteilles de lait maternisé à travers les portes de la prison – justifie l’échange de baisers et de larges sourires avec les criminels de guerre.
En d’autres termes, BDS est un acte permanent de résistance palestinienne qui se poursuivra et gagnera en force et en influence tant que l’occupation militaire, la discrimination raciale, le nettoyage ethnique et le génocide israélien persisteront.
Un point c’est tout !
Auteur : Haidar Eid
* Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger.Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.Son compte twitter.
16 mai 2025 – Palestine chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – YG
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