Le Mossad contre la Campagne BDS

Photo : Palestine Solidarity Campaign
Photo : Palestine Solidarity Campaign

Par Lina Alsaafin

Israël utilise un certain nombre de tactiques diplomatiques et répressives pour contrer le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

Les révélations récentes confirmant l’implication de l’agence de renseignement israélienne – le Mossad – dans l’opposition à la campagne montante de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël, ne sont pas une surprise pour les militants pro-palestiniens.

Gilad Erdan, ministre israélien des Affaires stratégiques et haut responsable de la lutte d’Israël contre le BDS, a rencontré le président du Mossad, Yossi Cohen, pour discuter de “la lutte contre le boycott”, selon son journal officiel publié en 2018.

Le quotidien israélien Haaretz, qui a le premier évoqué l’affaire, n’a pas donné plus de détails sur la réunion, mais a déclaré que, selon le journal d’Erdan rendu public par une demande d’accès à l’information déposée par le groupe israélien Hatzlaha, le ministre avait également rencontré le chef du Conseil national de sécurité, ainsi que de nombreuses organisations juives.

La plupart des réunions avaient trait à la création d’une société privée, partiellement contrôlée par le gouvernement, appelée “Concert”, dont le principal objectif est de promouvoir des “activités de sensibilisation de masse” dans le cadre de “la lutte contre la campagne de délégitimation” d’Israël au niveau international.

Selon le Palestine Solidarity Campaign (PSC), l’implication du Mossad contre l’activité du BDS n’était “pas surprenante”, compte tenu des efforts israéliens soutenus pour interdire cette campagne de boycott au niveau national et international.

“Nous savons qu’Israël prend la menace du BDS très au sérieux, et que le [Premier ministre] Benjamin Netanyahu l’a considéré en 2015 comme une menace stratégique”, a expliqué dans une déclaration à Al Jazeera le PSC qui est basé à Londres.

“Parmi les actions entreprises par Israël pour réprimer l’activité du BDS au niveau mondial, citons l’introduction de lois restrictives en Israël – avec la volonté de persuader ses alliés de faire de même à l’échelle internationale – pour tenter de criminaliser la campagne BDS, parallèlement à des tentatives plus larges visant à délégitimer cette campagne en la qualifiant d’antisémite ou en établissant de façon mensongère des liens entre les militants du BDS et le terrorisme.”

“Une menace stratégique majeure”

L’appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions contre Israël a été lancé en 2005 par plus de 170 organisations civiles palestiniennes, sous la forme d’un moyen de pression non violent sur Israël.

Le BDS – qui se définit par les objectifs de mettre fin au soutien international vis-à-vis de l’oppression des Palestiniens par Israël, et de faire pression sur ce dernier pour qu’il se conforme au droit international – repose sur trois principes fondamentaux : mettre fin à l’occupation par Israël des territoires palestiniens; garantir l’égalité des droits pour les citoyens palestiniens d’Israël; et faire respecter le droit au retour des réfugiés palestiniens.

L’impact international du BDS a alarmé Israël qui, selon Dov Waxman, professeur de sciences politiques, d’affaires internationales et d’études israéliennes à la Northeastern University, a fini par considérer le mouvement comme une “menace stratégique majeure”.

“Le BDS est considéré comme une menace pour la légitimité et le statut international d’Israël”, a déclaré Waxman à Al Jazeera.

“La plupart des Juifs israéliens perçoivent également le mouvement BDS comme une menace très grave, notamment parce que beaucoup pensent qu’il cherche à détruire Israël et est animé par l’antisémitisme – c’est ce que Netanyahu et d’autres politiciens israéliens d’extrême-droite ont affirmé à plusieurs reprises”.

Mesures anti-BDS

Akiva Eldar, un éditorialiste du journal Al-Monitor, a déclaré que la participation du Mossad aux efforts anti-BDS ne se limitait pas à Israël.

“Ce que nous savons, c’est que des dizaines de millions de dollars sont alloués à ce projet”, a-t-il déclaré à Al Jazeera. “Le Mossad est en contact avec les services secrets américains – la CIA – et les agences [de renseignement] européennes, et ils échangent des informations.”

Eldar a déclaré que l’appareil diplomatique et répressif israélien était impliqué dans l’opération.

“Les ambassades israéliennes, dans le cadre de leur activité diplomatique, se concentrent maintenant sur la collecte d’informations [sur les militants et les activités du BDS] et sur le dépôt de rapports et de plaintes auprès de gouvernements étrangers”, a-t-il déclaré.

“Aux États-Unis, le BDS est en tête de l’agenda d’organisations juives telles que l’AIPAC, qui coopère avec les ambassades israéliennes, y compris les attachés militaires”, a ajouté Eldar, évoquant le puissant groupe de pression.

Waxman a confirmé le fait, affirmant qu’outre le financement d’ONG nationales et étrangères dans la lutte contre le BDS, une autre tactique utilisée par Israël consistait à faire pression sur les gouvernements étrangers et les organisations internationales pour réprimer le mouvement.

“Par le biais des ambassades a été promu une définition de l’antisémitisme qui a souvent été utilisée pour définir le mouvement BDS comme fondamentalement antisémite en raison de son antisionisme”, a-t-il déclaré.

“A la fois publiquement et secrètement, Israël est activement engagé dans une campagne à long terme contre le mouvement BDS”, a-t-il ajouté.

Le mois dernier, l’Allemagne est devenue le premier pays de l’Union européenne à se prononcer sur une motion qualifiant le mouvement BDS d’antisémite.

En réponse, le mouvement a déclaré que la décision de Berlin mettait Israël à l’abri de toute responsabilité vis-à-vis du droit international, tout en “enracinant sa complicité dans les crimes israéliens d’occupation militaire, de nettoyage ethnique, de siège et d’apartheid”.

La Knesset – le parlement israélien – a également adopté un certain nombre de lois visant les partisans du mouvement BDS, a encore expliqué Waxman.

Les citoyens étrangers qui militent pour la campagne BDS ne sont pas autorisés à entrer en Israël, tandis que les citoyens ou groupes israéliens qui appellent publiquement à un boycott d’Israël ou les produits des colonies juives peuvent être poursuivis en dommages et intérêts.

PSC, la campagne pro-palestinienne, a déclaré que les actions d’Israël violaient les principes fondamentaux de la liberté d’expression, qui sont essentiels à l’exercice de la démocratie.

“Au cœur de ce qu’Israël tente de faire, il est question d’empêcher les citoyens du monde entier de répondre à l’appel légitime des Palestiniens à une action pacifique visant à obliger Israël et les organisations complices à répondre de leurs actes pour cause de violations des droits de l’homme”, a-t-il déclaré.

* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie, est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux États-Unis et en Palestine. Jeune palestinienne , elle écrit pour plusieurs médias palestiniens et arabes – Son compte Twitter :@LinahAlsaafin

20 juin 2019 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine