La reconnaissance de l’État palestinien : une manœuvre contre le peuple palestinien

20 septembre 2025 - Des milliers de Palestiniens déplacés font la queue sous un soleil de plomb à Khan Yunis, dans la bande de Gaza, dans l'attente d'un seul repas distribué par une petite cuisine solidaire afin d'apaiser leur faim, alors que le siège étouffant imposé par Israël a transformé l'accès à la nourriture en une lutte quotidienne pour la survie - Photo : Doaa Albaz /Activestills

Par Tom Martin

Ce lundi 22 septembre 2025, Emmanuel Macron et d’autres chefs d’État doivent annoncer lors de l’Assemblée générale des Nations unies la reconnaissance officielle de « l’État de Palestine ».

Du Parti Socialiste à une large partie de la gauche dite « radicale » en passant par Alain Finkielkraut, cette reconnaissance est largement soutenue en France. A cette occasion, une partie du mouvement de solidarité avec la Palestine ressuscite ladite « solution à deux États » et les incantations à la paix alors que Gaza City est sous le feu de l’artillerie israélienne.

Mais de quoi parle-ton ? Est-ce que tout ceci répond aux exigences anticolonialistes que nous devons porter en faveur du peuple palestinien qui fait face à un terrible génocide depuis près de deux ans ?

Qu’est-ce que « l’État palestinien » ?

En 1964, l’Organisation de Libération de la Palestine déclare dans sa charte lors du premier Conseil national palestinien : « La Palestine avec ses frontières de l’époque du mandat britannique constitue une unité régionale indivisible. »

A sa suite, l’ensemble du mouvement national palestinien moderne a défendu la perspective de la libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain avec Al Qods comme capitale. Des organisations telles que le Fatah et le Front Populaire de Libération de la Palestine [FPLP] ont publié d’innombrables textes d’orientation politique définissant cette perspective stratégique, à l’image de La révolution palestinienne et les juifs du Fatah en 1970 ou Rien n’est plus précieux que la liberté de George Habash, cofondateur du FPLP.

Depuis le programme en 10 points de 1974 jusqu’à la déclaration d’indépendance de la Palestine à Alger en 1988, la direction du Fatah incarnée par Yasser Arafat a pris un autre chemin en imposant une stratégie diplomatique autour de la perspective de la défense de la « solution à deux États » et la reconnaissance implicite puis explicite de l’État sioniste.

En d’autres termes, la défense d’une entité palestinienne en Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, c’est-à-dire à peine 22% de la Palestine historique…

Cette stratégie a atteint son paroxysme avec la signature des accords d’Oslo en 1993 qui ont entériné la trahison des positions historiques du mouvement national palestinien, en premier lieu desquelles la défense du droit au retour des réfugiés palestiniens et la libération de toute la Palestine.

Trente ans plus tard, le bilan est sans appel. La colonisation sioniste de la Palestine s’est poursuivie inlassablement de la mer au Jourdain. L’Autorité Palestinienne qui était censée être la structure pour administrer ce nouvel « État » ne l’a nullement empêché, au contraire. Elle s’est révélée être l’instrument d’une bourgeoisie compradore [2] complètement soumise aux intérêts de l’impérialisme et du sionisme.

Reconnaître « l’État palestinien », le mirage des accords d’Oslo

Alors que le génocide se poursuit dans la bande de Gaza depuis quasiment 2 ans, on voit se développer les mots d’ordre autour de « la reconnaissance de l’État palestinien » dans plusieurs pays occidentaux, allant même jusqu’à être soutenu par plusieurs gouvernements. Même si à première vue cela pourrait paraître avoir une portée symbolique positive, tant le gouvernement israélien actuel est radicalisé, cette perspective n’est rien d’autre qu’un outil pour imposer à nouveau l’horizon de la stratégie de « la solution à deux États ».

Mais les droits nationaux et sociaux du peuple palestinien, tels que le droit au retour des réfugiés, ne seraient pas renforcés par cette reconnaissance. Au contraire, elle ne ferait que justifier et normaliser une fois de plus la division de la Palestine et la colonisation sioniste.

« Les efforts visant à rechercher la reconnaissance diplomatique d’un État palestinien imaginaire sur une fraction de la Palestine historique sont une stratégie de désespoir de la part d’une direction palestinienne qui est à court d’options, a perdu sa légitimité et est devenue un obstacle sérieux sur la voie du rétablissement de ses droits par les Palestiniens » rappelle le journaliste palestinien Ali Abunimah dans un article paru sur Al Jazeera en 2011.

En réalité, cette reconnaissance n’est même pas un geste dit symbolique et ne sert qu’à offrir une issue politique afin de garantir les intérêts et la pérennité d’Israël profondément fragilisés par sa politique génocidaire.

En ce sens, Abdallah Silawi de Boussole Palestine a interpellé le mouvement de solidarité avec la Palestine en soulignant que « reconnaître un micro État palestinien et cibler Netanyahu sont deux stratégies aboutissant à contenir notre mouvement, à préserver les intérêts sionistes et maintenir l’hégémonie occidentale ».

« Proposer « l’État palestinien » en ce moment et de cette manière vise à isoler sérieusement la résistance et à saper sa base populaire de masse. C’est le moyen d’imposer la reddition au peuple palestinien, car une telle capitulation ne peut être imposée tant que le mouvement de résistance est capable de maintenir sa position de seul représentant de sa volonté » déclare l’écrivain et révolutionnaire palestinien Ghassan Kanafani en 1971 au lendemain de la défaite de Septembre Noir. Un commentaire qui résonne avec la séquence actuelle.

La France et l’Arabie Saoudite contre le peuple palestinien

Aujourd’hui, l’opération génocidaire impérialo-sioniste à Gaza se poursuit mais n’a toujours pas réussi à imposer la complète capitulation aux organisations qui s’y opposent dans l’ensemble du Monde Arabe.

Dans ce contexte, on voit émerger des contradictions inter-impérialistes à propos de leurs objectifs tactiques à court et moyen terme.

D’un côté, le bloc États-Unis/Israël considère que la reddition palestinienne passe par l’intensification de l’offensive génocidaire à Gaza en utilisant tous les moyens à sa disposition. Cela a pour effet de provoquer un certain isolement avec ses propres alliés, comme en témoigne les réactions occidentales qui ont « dénoncé » en parole le lancement de l’opération terrestre à Gaza City en septembre 2025.

De l’autre, le rôle de l’impérialisme français et des régimes réactionnaires arabes, et à sa tête l’Arabie Saoudite, qui tentent d’imposer une voie alternative en faisant la promotion d’une issue diplomatique visant à liquider la cause palestinienne.

C’est comme cela qu’il faut comprendre la séquence ouverte par ladite reconnaissance de l’Etat palestinien et les annonces attendues la semaine prochaine. Cette reconnaissance n’est pas la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien sur sa terre. Elle n’est que la reconnaissance de l’exercice du pouvoir de l’Autorité Palestinienne sur 22% de la Palestine historique (et en réalité à peine 10%).

Par ailleurs, ce projet insiste sur la volonté d’imposer la gestion des territoires palestiniens à une frange de la bourgeoisie compradore palestinienne et arabe, mais aussi généraliser la normalisation dans la droite ligne des Accords d’Abraham de 2020.

En ce sens, la Déclaration des Nations Unies votée par 140 pays le 22 septembre dernier à New-York souligne leurs réelles intentions : désarmer et isoler le Hamas et ses alliés, les exclure de toute administration de Gaza avec comme perspective stratégique un micro-territoire démilitarisé, dépendant économiquement de l’occupant, digne d’un bantoustan [1] permettant de liquider les aspirations du peuple palestinien.

Le fait que les États-Unis, Israel et leurs alliés s’y soient opposés soulignent seulement leur désaccord tactique sur les moyens à utiliser pour éradiquer la cause palestinienne.

En réalité, la prétendue « solution à deux États » ne vise qu’à légitimer et garantir la stabilité de l’entité sioniste et abandonner les droits nationaux du peuple palestinien (avec en premier lieu le droit au retour) en échange d’une entité palestinienne démembrée sur les dernières îles assiégées de Cisjordanie et de Gaza soumises à la domination impérialiste.

En ce sens, l’Autorité Palestinienne est à rejeter fermement (ainsi que ses relais locaux en France autour de la prétendue ambassadrice de Palestine). Cette « autorité » a multiplié ces derniers mois les attaques contre le peuple palestinien et ses organisations dans le but d’accompagner le projet de liquidation voulu par les occidentaux.

Cela passe évidemment par sa coordination sécuritaire en Cisjordanie et son accompagnement de la plus grande offensive de contre-insurrection depuis plus de 20 ans dans la zone (notamment à travers la destruction des camps de réfugiés) mais aussi en annulant le versement d’allocations pour 1612 familles de prisonniers palestiniens ou encore en soutenant le projet de désarmement des camps palestiniens au Liban.

Face à la confusion ambiante, il faut sans cesse rappeler que dans une lutte de libération nationale il n’y a que deux voies : la résistance ou la capitulation. La « reconnaissance de l’État de Palestinien » est définitivement une expression capitularde qu’il s’agit de démasquer et de combattre.

Soutenir la libération de la Palestine de la mer au Jourdain

Plutôt que de demander aux puissances occidentales, co-responsables de l’occupation de la Palestine, la reconnaissance d’un bantoustan, nous devons nous mobiliser pour défendre la perspective de la libération totale des terres palestiniennes de la mer au Jourdain.

Cela passe par affirmer la centralité politique de la résistance du peuple palestinien dans sa lutte contre plus de 76 ans de colonisation de peuplement. Les luttes victorieuses des peuples algérien ou haïtien nous permettent de comprendre que cette perspective est possible.

En ce sens, il est plus que jamais nécessaire de participer à la mobilisation mondiale qui vise à délégitimer l’État d’Israël en tant que projet colonial et ainsi se mobiliser pour l’isoler sur la scène internationale. « Ce qu’ils doivent faire, c’est non pas reconnaître un État palestinien, mais retirer leur reconnaissance d’Israël. C’est la seule façon d’aboutir à un résultat antiraciste et démocratique décolonisé », résume l’universitaire palestinien Joseph Massad.

Pour cela, il faut affirmer que les États impérialistes feront toujours partie du problème et jamais de la solution. De la déclaration Balfour de 1917 jusqu’à l’armement du génocide à Gaza aujourd’hui, ils ont toujours soutenu l’État sioniste pour ce qu’il est : la base avancée de leurs intérêts dans la région.

Au contraire, nous devons relayer et soutenir l’aspiration du peuple palestinien à la libération totale de sa terre tel qu’il l’a exprimé par plus de 100 ans de résistance contre l’impérialisme et le sionisme et enterrer définitivement la voie d’Oslo et de ses conséquences funestes.

Notes :

[1] Le terme « bantoustan » désigne une enclave territoriale où des populations autochtones discriminées sont parquées après l’accaparement de leurs terres.
[2] Dans la terminologie marxiste, la bourgeoisie « compradore » désigne la classe bourgeoise qui, dans les pays colonisés, bénéficie de sa position d’intermédiaire dans les échanges commerciaux avec les pouvoirs dominants étrangers.

20 septembre 2025 – Transmis par l’auteur.

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